Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 29 novembre 2016 à 14h30
Projet de loi de finances pour 2017 — Discussion générale

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne saurais en cinq minutes faire l’inventaire de tous les points, de toutes les incertitudes, voire de toutes les insincérités qui justifient l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable. Je me focaliserai donc sur les sujets qui relèvent des travaux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes.

Plusieurs de nos rapporteurs se sont émus d’observer que notre politique européenne n’était plus inscrite comme objectif prioritaire de la mission « Action extérieure de l’État ». Bien que cela ait surtout une portée symbolique, je rappellerai que, depuis 2004, le Conseil constitutionnel estime que les questions européennes ne peuvent plus être considérées comme des questions internationales, mais comme des sujets d’ordre intérieur, au même titre que la sécurité, la santé ou toute autre politique publique. Dès lors, et ce n’est pas si choquant, la politique européenne pourrait, si l’on suit le raisonnement du Conseil constitutionnel, être imputée à bon droit sur la coordination de l’action du travail gouvernemental ou sur les crédits dédiés au ministère de l’intérieur.

Je partage cette idée et, à ce titre, il est manifeste que notre maquette budgétaire et notre découpage administratif ne sont plus en phase avec la réalité des questions européennes et la dynamique de l’Union. Aussi, je profite de ce débat pour proposer, parallèlement au ministère des affaires étrangères, et au même rang que lui, la création d’un véritable ministère des affaires européennes de plein exercice.

Depuis 2002 – c’est honteux pour nous –, nous avons eu douze ministres délégués et secrétaires d’État aux affaires européennes. Or l’Union est devenue à ce point incontournable qu’on ne peut plus envoyer aux réunions ministérielles un simple secrétaire d’État, qui, quelles que soient ses qualités, ne bénéficie pas de l’autorité suffisante pour se faire entendre de ses pairs étrangers. Ce ministre serait compétent pour toutes les questions de nature européenne et disposerait de la tutelle sur le réseau diplomatique français orienté vers les pays européens. Ainsi, les vingt-huit États membres de l’Union européenne seraient considérés non plus comme des puissances étrangères, mais comme des pays voisins dont les relations réciproques seraient suivies et entretenues par ce grand ministère européen.

Nous devons en effet nous préparer aux mouvements à venir dans l’Union. À titre d’exemple, le Brexit posera fatalement la question du rôle des États en matière de financement de l’Union européenne. Le Brexit rouvrira donc la question des rabais, dont la France ne bénéficie guère, et celle des modalités de compensation de l’effort que les pays entrés en 2004 dans l’Union, la Pologne notamment, ont dû consentir au moment de la renégociation du rabais britannique lors du Conseil européen de juin 2005. Une bataille diplomatique et budgétaire se dessine donc dès maintenant au sein de l’Union de l’après-Brexit, et il serait opportun d’avoir un département ministériel dédié à ce type d’enjeux.

Nous pourrions d’ailleurs symboliquement installer ce nouveau ministère sur le site de l’îlot Saint-Germain. Ce serait en effet un symbole fort que d’installer sur l’ancien site du ministère de la guerre, là où le général de Gaulle avait son bureau, ce grand ministère de la paix. Du moins, ce serait un exemple de gestion plus stratégique du patrimoine immobilier de l’État que le projet prévu pour l’heure d’une vente à bas prix de ce site à la Ville de Paris, alors que celle-ci dispose déjà d’un capital immobilier de plus de 25 milliards d’euros.

Le ministère des affaires étrangères pourrait ainsi se redéployer opportunément vers les aires extra-européennes, notamment l’Asie et l’Afrique. Cette nouvelle orientation stratégique faciliterait par ailleurs la gestion du patrimoine de ce ministère, mise en cause par le travail de notre commission. Ce redéploiement ne concernerait que marginalement notre politique d’aide au développement, qui gagnerait à être fédéralisée à l’échelon de l’Union.

Contre ceux qui pensent que le fédéralisme est une dissolution des nations, je crois au contraire, à l’instar de Robert Schuman, qu’il s’agit de construire des solidarités concrètes entre États. Après la CECA, la PAC et l’euro, nous gagnerions à fédéraliser l’APD. En effet, bien que la compétence APD soit partagée entre les Vingt-Huit et l’Union selon l’article 208 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’ensemble européen fournit environ 55 % de l’aide publique au développement et constitue ainsi le tout premier bailleur mondial, pour un montant collectif de près 55 milliards d’euros en moyenne.

Le Consensus européen pour le développement de 2005 a fait de l’élimination de la pauvreté, dans le cadre d’un développement durable, le principal objectif de l’aide, mais, en pratique, l’émiettement du financement nuit à son efficacité. Nous observons tantôt, selon les équilibres de la gouvernance européenne, que l’aide bénéficie soit à l’aire moyen-orientale et africaine, soit à l’Europe de l’Est. Ce mouvement de balancier est d’autant plus dommageable que, si nous parvenions à consolider ce levier de 55 milliards d’euros, nous pourrions effectivement conduire des projets de grande ampleur, notamment à destination de l’aire méditerranéenne, qui nous inquiète actuellement et qui souffre gravement des écarts de développement entre l’Union et de nombreux pays africains.

Avec une politique d’APD consolidée au niveau fédéral, le plan pour l’électrification de l’Afrique de Jean-Louis Borloo pourrait être intégralement financé en quelques années, sans nuire pour autant à l’accompagnement de notre partenariat oriental. Ces flux financiers soulageraient également notre politique de sécurité aux frontières, notamment au regard du sort réservé à tous ces migrants qui empruntent les routes maritimes de la Méditerranée pour rejoindre le sol européen.

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