Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du 29 novembre 2017 à 21h15
Loi de finances pour 2018 — Enseignement scolaire

Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord vous remercier de tous les propos que je viens d’entendre.

Vos interventions montrent bien, je crois, la passion qui existe dans notre pays pour l’éducation. Vous avez d'ailleurs été nombreux à rappeler que l’éducation était le premier sujet, non seulement d’un point de vue budgétaire, mais aussi du point de vue de la société dans son ensemble.

En vous écoutant, j’ai également eu le sentiment, partagé par plusieurs de ceux qui sont intervenus à la tribune, qu’il était possible de trouver un consensus national, une unité nationale autour de l’école. En disant cela, je n’essaie pas de gommer certaines des différences exprimées ici ou là. J’essaie simplement de faire référence aux pays qui vont bien en ce moment, aux pays dont les systèmes scolaires connaissent la réussite et qui ont réussi à bâtir une « école de la confiance », expression que vous avez été plusieurs à reprendre et qui représente en effet la clef de la réussite d’un système.

Une école fonctionne lorsque la société a confiance en elle et lorsque l’école à son tour produit de la confiance. Pour produire de la confiance, il faut évidemment un budget solide – je crois que ce budget est solide et vais essayer de le montrer –, mais il faut aussi que ce budget corresponde à des objectifs qualitatifs. Le premier de ces objectifs qualitatifs, vous le savez, c’est de donner les savoirs fondamentaux à tous les élèves à la sortie de l’école primaire. Si nous n’atteignons pas cet objectif, nous ne réussirons pas le reste.

Cette après-midi, j’assistais en Sorbonne à une conférence appelée « Les Controverses de Descartes », où il était justement question de cet accès aux savoirs fondamentaux et de la qualité des apprentissages. Devant une assemblée qui était cette fois-ci davantage scientifique, j’ai été frappé de voir que, là encore, de nouveaux consensus étaient envisageables, tout simplement parce que nous continuons d’apprendre avec le temps sur ces sujets.

En France, nous sommes déjà passés par nombre de batailles, de disputes, de querelles sur l’école. Aujourd’hui, il est possible d’espérer, non pas la fin des débats, car il en faudra toujours, mais, en tout cas, le franchissement d’un seuil, grâce à l’identification des leviers de la réussite.

Pendant la conférence dont je viens de parler, Érik Orsenna a déclaré que les savoirs fondamentaux, c’était « l’accès à l’accès ». Il s’agit de l’une des meilleures synthèses que j’ai entendues sur cette question ! Cet accès à l’accès constitue en effet la condition même de la réussite de la République. Les citoyens de notre pays auront besoin d’avoir accès à l’accès, et ce tout au long de leur vie, qui sera toujours plus longue et qui se caractérisera toujours plus par la formation tout au long de la vie. Or, fondamentalement, cet accès à l’accès se crée au cours des premières années de la vie.

C’est pourquoi la première caractéristique de ce budget est la priorité donnée à l’école primaire : lire, écrire, compter et respecter autrui sont les quatre piliers du primaire. Derrière cette priorité budgétaire, il existe un volontarisme pédagogique. L’objectif est d’attaquer la difficulté scolaire à la racine.

Vous êtes plusieurs à l’avoir rappelé : c’est le sens du dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones d’éducation prioritaire. Après 2 500 classes dédoublées cette année, nous souhaitons en dédoubler 6 000 autres au cours de la rentrée scolaire 2018. Ce sera l’année la plus importante pour l’accomplissement de cet engagement présidentiel.

En 2019, nous continuerons cette politique, avec le dédoublement des CE1 en REP. En réponse à certains orateurs, je tiens d'ailleurs à souligner que cette mesure sera mise en œuvre. Je ne sais pas ce qui laisse imaginer qu’il pourrait en être autrement !

Nous sommes au mois de novembre 2017 et nous évoquons une mesure qui doit entrer en vigueur au début du mois de septembre 2018. Nous travaillons avec les communes pour que la dimension physique de cette mesure de dédoublement des classes puisse se concrétiser. Cela ne va pas de soi et demande évidemment du travail, dans la mesure où nous rencontrons quelques difficultés dans un certain nombre de cas.

Toutefois, je me souviens que le scepticisme était également de mise au mois de juin dernier, lorsque nous déclarions que nous réussirions à mettre en œuvre la mesure pour les CP en REP+. Ce scepticisme a duré jusqu’au 4 septembre dernier, date à laquelle nous étions en mesure de dédoubler physiquement les classes dans 85 % des cas, et d’accomplir la mesure dans 100 % des cas, c’est-à-dire de disposer de deux maîtres.

Nous sommes donc tout à fait sereins et optimistes sur le fait que nous atteindrons cet objectif. Je note avec grand plaisir qu’il s’agit précisément d’une mesure socle, qui a reçu, me semble-t-il, un assentiment général à cette tribune.

Cette disposition est d’autant plus fondamentale qu’elle ne concerne pas que les élèves directement visés, qui sont plusieurs dizaines de milliers. Elle joue aussi un rôle, celui d’être la pointe avancée de notre politique de l’école primaire, qui se caractérise autant par ses aspects pratiques et pédagogiques que par son aspect psychologique.

Nous allons à la racine même des difficultés et des inégalités sociales, puisque l’objectif est réellement de faire le maximum pour compenser les difficultés qui apparaissent au cours des premières années de la vie, dans les territoires les plus défavorisés. En effet, nous savons que c’est là que se concentre, non pas la totalité, mais une bonne partie de la difficulté scolaire.

À ce moment de mon intervention sur l’enseignement primaire, je voudrais insister sur les effets de la politique qui est conduite sur la ruralité.

Notre action dans les réseaux de l’éducation prioritaire renforcée touche beaucoup les milieux urbains, et seulement en partie les milieux ruraux. Toutefois, elle s’accompagne d’une action attentive et qualitative vis-à-vis des écoles rurales. Avec le sénateur Alain Duran, qui s’est impliqué dans l’analyse des contrats départementaux que nous signons en la matière, je me suis engagé à poursuivre cette politique, mais surtout à l’approfondir.

Nous ne voulons plus nous trouver sur la défensive en matière de politique scolaire rurale. Et pour être à l’offensive dans les années à venir et contribuer à un renouveau rural, il faudra être capable de conduire des projets qualitatifs pour les écoles et pour les collèges ruraux, lesquels contribueront à leur rendre leur attractivité, à restaurer toute leur qualité pédagogique et à leur donner toute leur pertinence sur le plan budgétaire, ainsi que toute leur efficacité.

Nous voulons accompagner les élèves vers la réussite dans tous les territoires, qu’il s’agisse des territoires urbains, des territoires dits « périphériques » ou des territoires ruraux.

Le projet de loi de finances pour 2018 traduira cette ambition. Il le fera également au travers de l’accomplissement de l’engagement présidentiel en matière de rémunération des personnels en réseau d’éducation prioritaire renforcée : nous travaillons au versement d’une prime dont le montant pourrait s’élever jusqu’à 3 000 euros. Cette mesure est évidemment prévue dans le budget à partir du mois de septembre. Je discuterai avec les organisations syndicales au cours des prochains mois pour déterminer les conditions exactes de la mise en œuvre de cette disposition.

Accompagner les élèves vers la réussite passe d’abord par l’école primaire, mais cet objectif se poursuit évidemment avec le collège.

C’est tout le sens du programme « Devoirs faits », et je remercie les uns et les autres de l’avoir souligné à cette tribune. Nous sommes là aussi devant une mesure qui fait consensus, tout simplement parce que chacun voit bien l’intérêt d’encourager le travail individuel et collectif des élèves, leur travail personnel, et cela sur une base qui permette d’atténuer, voire de diminuer de façon décisive les inégalités liées au milieu familial. C’est pourquoi une enveloppe budgétaire considérable de l’ordre de 220 millions d’euros est consacrée à ce dispositif.

Le soutien des élèves les plus en difficulté va de pair avec une logique de l’excellence.

C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité le rétablissement des classes bilangues, ainsi que celui des classes de latin et de grec là où elles avaient été supprimées. C’est également la raison pour laquelle nous encourageons les sections européennes et les sections internationales. Sur ce sujet, j’ai également entendu les raisonnements des différents intervenants. J’aimerais que nous parvenions, là encore, à des convergences sur cette question, parce qu’il est démontré que l’existence de ces sections ne profite pas seulement aux élèves concernés ; elle contribue aussi à la requalification des collèges qui les proposent.

Aujourd’hui, si l’on veut de la mixité sociale, si l’on veut que les collèges ruraux et les collèges de banlieue attirent de nouveau les élèves, il convient de prendre des initiatives de ce type. J’ai fréquemment visité des collèges qui avaient réussi dans cette voie. Dans le passé, nous avons su prendre des mesures spécifiques. C’est par la différenciation, grâce au projet éducatif de chaque établissement, et par notre capacité à donner davantage aux établissements les plus fragiles, que nous réussirons à diminuer les inégalités sociales et à tendre concrètement vers davantage d’égalité. Ce n’est certainement pas par une politique d’uniformité.

La difficulté scolaire est donc prise en compte dans ce budget. Cette prise en considération se traduit notamment par le dispositif « Devoirs faits ». Elle se concrétise également par les stages de réussite pendant les vacances, qui auront beaucoup d’importance : les crédits alloués passent ainsi de 15 millions d’euros à 35 millions d’euros. Elle se manifeste enfin par une évolution sur la question du redoublement, mesure dont je tiens à dire qu’elle est au cœur de l’actualité aujourd'hui, parce que nous venons de transmettre un projet de décret aux organisations syndicales sur le sujet.

Pour être tout à fait clairs, nous ne souhaitons pas qu’il y ait davantage de redoublements à l’avenir – cela n’a jamais été l’objectif ; nous voulons seulement prévenir le redoublement de façon efficace grâce à ces mesures de soutien scolaire.

Prévenir le redoublement, c’est justement le rendre crédible et faire en sorte que les professeurs, comme les parents et les chefs d’établissement, soient placés dans une situation qui leur permette de prendre des décisions rationnelles, en sachant que ces situations sont différentes d’un enfant à l’autre, d’un élève à l’autre.

La question des difficultés scolaires sera traitée, non pas en cassant les thermomètres ou en en finissant avec ce qui permet de mesurer les difficultés et d’en tirer les conséquences, mais en prenant cette difficulté en amont, notamment par le soutien scolaire, au travers – je le répète – du dispositif « Devoirs faits » et des stages de réussite pendant les vacances.

Il faut également traiter les difficultés sociales, la pauvreté et la grande pauvreté, qui touchent évidemment le système scolaire. Environ un élève sur dix peut être touché par cette grande pauvreté. Aussi devons-nous la regarder en face si nous voulons être efficaces à l’avenir.

C’est pourquoi nous revalorisons de 25 % les bourses de collège attribuées sur critères sociaux, disposition qui est effective depuis la rentrée scolaire 2017 et qui représente 43 millions d’euros supplémentaires dans le budget qui vous est soumis.

Derrière ces difficultés sociales, il y a évidemment des enjeux de santé, qui ont été évoqués tout à l’heure. Sur ce point également, je tiens à dire que l’enjeu est davantage qualitatif que quantitatif : nous ne manquons pas de postes de médecins scolaires, mais l’école manque d’attractivité pour les médecins.

Après s’être réunis dans un cadre interministériel, les ministères de la santé et de l’éducation nationale ont décidé de faire évoluer cette politique, en rendant les postes plus attractifs et, surtout, en tentant de mobiliser des médecins non scolaires. L’objectif est de faire en sorte que la visite médicale prévue pour tous les élèves français de moins de six ans puisse avoir lieu dans les faits. Nous savons que cette mesure sociale, cette mesure sanitaire, aura des effets pédagogiques et éducatifs à terme.

Il s’agit d’un travail en profondeur qui, là encore, est novateur. Même s’il ne se traduit pas dans ce budget par une hausse de crédits, il y a bien là une politique, clairement conduite.

De même, l’école inclusive va évidemment faire des progrès à la faveur de ce budget. L’accueil des élèves en situation de handicap est une priorité, partagée par les différentes majorités. Il nous faut mener des actions de long terme sur cette question.

Pour ce faire, nous devons d’abord être attentifs aux contrats aidés consacrés à cette politique. Vous le savez, quelles que soient les difficultés dans ce domaine, nous avons maintenu pour la rentrée le nombre de contrats aidés pour l’accueil des élèves en situation de handicap : ils sont désormais au nombre de 50 000. Nous avons également maintenu le nombre d’AESH, c'est-à-dire d’accompagnants des élèves en situation de handicap, qui étaient 11 200. Nous en avons même accru les effectifs, puisque nous en avons embauché 8 000 de plus pour cette rentrée. Il y en a donc désormais 20 000.

À la rentrée prochaine, nous créerons de nouveaux postes d’AESH, dont certains se substitueront aux contrats aidés. Cet engagement est cohérent avec notre politique en matière de contrats aidés : nous cherchons en effet à accroître le nombre des contrats les plus robustes.

Je le répète, l’enjeu quantitatif ne doit pas gommer l’enjeu qualitatif qui est encore plus important. Ce qui sera efficace en la matière, c’est la formation des professeurs et des personnels dédiés à cette problématique. La secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, et moi-même y travaillons actuellement. De nombreuses évolutions sont donc à attendre en la matière.

Nous allons vers une école plus inclusive, mais également vers une école capable de travailler davantage avec les collectivités locales. Sur ce point, il est très important de le souligner, nous allons conduire avec les départements la politique rurale dont j’ai parlé tout à l’heure, mais aussi travailler sur les enjeux sociaux et les enjeux pédagogiques qui concernent parfois les collectivités. En disant cela, je fais référence à la fois au plan numérique, puisqu’il en a été question, et à tout ce qui concerne les manuels scolaires.

En ce qui concerne le plan numérique, nous considérons que des investissements ont été engagés. Nous les honorerons. Toutefois, une fois encore, l’objectif n’est pas seulement quantitatif, il est qualitatif. Nous avons davantage besoin de former les professeurs dans ce domaine que de tablettes numériques déversées sans discernement dans les collèges. Nous poursuivrons donc les politiques d’équipement, mais nous donnerons la priorité aux politiques pédagogiques et de formation.

S’agissant des manuels scolaires, je sais que certains d’entre vous ont déposé des amendements sur cette question. C’est pourquoi je tiens à préciser à cette tribune que je n’ai jamais dit qu’il y aurait un transfert de charges vers les départements. Je souhaite que le débat puisse s’engager sur cette question, sans qu’il y ait de préjugés en la matière. Je me suis contenté de souligner qu’il y avait quelque chose d’irrationnel à faire peser cette charge sur l’État quand il s’agit des manuels du collège, alors que la charge incombe aux communes quand il s’agit des manuels du primaire et sur les régions quand ce sont ceux du lycée.

Je n’ai donc jamais dit qu’il fallait transférer cette charge aux départements. On pourrait même imaginer l’inverse §et interpréter mes propos comme exprimant la volonté de faire supporter le coût des manuels, du primaire au lycée, à l’État !

En réalité, je n’ai affirmé ni l’un ni l’autre.

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