Intervention de Bernard Jomier

Réunion du 30 novembre 2017 à 14h30
Loi de finances pour 2018 — Santé

Photo de Bernard JomierBernard Jomier :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, on ne peut pas étudier la mission « Santé » du projet de loi de finances sans la remettre en perspective.

Le périmètre de cette mission a fortement évolué au cours de ces dernières années : les financements de la Haute Autorité de santé, de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, du Fonds d’intervention régional, de l’Agence de biomédecine et de l’École des hautes études en santé publique ont été transférés à l’assurance maladie, en 2018 pour les deux dernières.

D’entrée se pose donc la question de la cohérence du périmètre du programme 204, qui devient bien difficile à percevoir.

Il en est ainsi du pilotage de la politique de santé publique : la hausse apparente des crédits correspond en fait à celle des frais de justice, et en particulier ceux liés au dispositif d’indemnisation des victimes du valproate de sodium.

Le mouvement de fusion des agences mené par la précédente ministre de la santé a permis la création d’un opérateur essentiel, l’Agence nationale de santé publique. Encore faut-il que ses moyens soient à la hauteur de ses nombreuses et essentielles missions. J’y reviendrai.

Par ailleurs, on ne peut qu’être surpris du fait que la plus importante baisse de crédits concerne deux actions qui sont pourtant inscrites parmi les objectifs prioritaires de la stratégie nationale de santé : celles auprès des publics les plus vulnérables, qui baissent de 47 %, et celles en faveur de la santé environnementale, qui diminuent de 5, 6 %.

Je souligne aussi que, s’agissant des violences faites aux femmes et de la lutte contre les mutilations sexuelles, il ne reste plus que 110 000 euros pour financer les actions destinées à sensibiliser, former, mobiliser et informer le grand public et les professionnels de santé. Ce n’est manifestement pas dans ce budget que la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Mme Schiappa, a obtenu les moyens transversaux, dont elle nous a fait part, ici même, il y a deux jours. Dans ce cadre budgétaire, c’est plutôt un coup de rabot !

La faiblesse et la baisse des moyens consacrés à la santé environnementale sont également un sujet de préoccupation.

Les facteurs d’exposition déclinés dans le « bleu Santé » du troisième plan national santé environnement sont présents : la surveillance aérobiologique, l’amiante, le bruit, le saturnisme et le monoxyde de carbone. Mais où sont la pollution de l’air, qui est responsable de 48 000 morts par an, les polluants chimiques de l’environnement intérieur et de l’alimentation, ou encore les perturbateurs endocriniens ?

Où est l’enjeu crucial de l’exposition in utero, au sujet de laquelle la recherche a considérablement progressé et qui appelle maintenant une politique nationale forte de protection de l’enfant à naître et du nourrisson ?

Les progrès pour la santé humaine dans les décennies à venir viendront en grande partie d’une meilleure maîtrise des facteurs environnementaux, qui dégradent notre santé. Nous sommes là au cœur de la prévention, mise à avant à juste titre par la ministre de la santé.

Il est vrai que de nombreux acteurs ne sont pas dans le champ sanitaire : l’urbanisme, l’alimentation, les transports et le logement sont au premier rang. Mais parce que la ministre chargée de la santé porte cette thématique essentielle, elle a la légitimité et la responsabilité d’impulser et de produire l’expertise et les évaluations nécessaires. Elle doit en avoir les moyens.

À la veille de la journée mondiale de lutte contre le sida, quelques mots sur ce virus. La victoire est possible. Les épidémiologistes ont une position convergente à ce sujet ; ONUSIDA le confirme et a d’ailleurs lancé une stratégie mondiale pour éradiquer le VIH à l’horizon 2030 avec des objectifs intermédiaires en 2020.

Il me semble que vaincre un virus sans vaccin serait une première dans l’histoire de la médecine. Quelle émotion pour les chercheurs, en particulier les deux prix Nobel français, pour les personnes séropositives, pour les associations qui luttent depuis tant d’années et pour celles et ceux qui ont été victimes, directement ou non, de l’épidémie !

Cette perspective d’éradication doit nous rassembler. Ne tardons pas à compléter les mesures prises par Marisol Touraine sur la prophylaxie préexposition – PrEP – et sur les autotests pour réussir à intensifier le dépistage dans les populations clefs : les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, dits HSH, les migrants, les travailleuses du sexe et les personnes transgenres. C’est la clef du succès.

Malheureusement – d’une certaine façon… –, le niveau actuel de l’épidémie est trop faible pour susciter une mobilisation suffisante de la société et trop élevé – encore 6 000 nouvelles contaminations par an – pour qu’elle s’éteigne.

Nous avons donc un défi commun à relever et les élus que nous sommes ont une belle responsabilité, celle d’entraîner notre société dans un dernier et fructueux effort.

Enfin, je ne voudrais pas terminer mon propos sur le programme 204 sans dire quelques mots sur l’Agence nationale de santé publique. Elle est encore en émergence et le mouvement est prometteur. Ses principes fondateurs sont bons : une approche intégrée de la prévention, qui concerne l’ensemble des politiques publiques et valorise les échelons locaux ; un continuum entre épidémiologie et prévention ; une gouvernance ouverte, à la fois scientifique, participative et citoyenne.

Il faut prendre garde à ce que des ressources trop peu diversifiées, une réduction du plafond d’emplois, une articulation encore insuffisante avec les autres acteurs, dont les agences régionales de santé, ne fragilisent une agence qui doit devenir une référence en santé publique.

J’en viens, pour terminer, au programme 183 et à l’aide médicale d’État.

Tous ceux qui analysent ce régime avec les lunettes de la santé publique et l’objectif de parcours de soins efficients arrivent à la même conclusion : il faut intégrer l’AME à l’assurance maladie. C’est l’analyse de l’Inspection générale des affaires sociales depuis plusieurs années. C’est aussi celle de l’Académie de médecine depuis quelques mois.

Tous ceux qui regardent ce régime avec les lunettes de l’efficience économique arrivent, monsieur le rapporteur spécial, à la même conclusion et retiennent les économies d’échelle que produirait cette intégration. C’est l’avis de l’Inspection générale des finances.

Et puis, il y a ceux qui regardent l’AME avec les lunettes de leurs positions sur la politique migratoire et qui, selon leur opinion, veulent soit la maintenir et l’étendre, soit la supprimer ou la couper en morceaux, sans que l’on comprenne très bien la logique sanitaire desdits morceaux…

Il est temps d’agir de façon rationnelle, à partir d’une connaissance précise des éléments concernant tant la santé et les parcours de soins que les données économiques de l’AME et les conséquences de son éventuelle intégration à l’assurance maladie.

C’est pourquoi j’ai déposé un amendement demandant au Gouvernement de mener ce travail d’expertise. Nous ne devons pas en rester au statu quo !

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