Je voudrais aborder la question du transport ferroviaire de marchandises.
Le défi est à la mesure de la situation préoccupante de l’économie de notre pays, c’est-à-dire gigantesque. La part du rail étant seulement de 10 % des volumes – elle atteignait encore 15 % en 2002 –, le fret est assuré principalement par la route. Le volume transporté est en faible augmentation, et il se partage à égalité entre le pavillon français et le pavillon étranger. De surcroît, le transport de marchandises sur route et sur rail est passé, entre 2005 et 2015, d’un peu plus de 350 milliards à 315 milliards de tonnes-kilomètres, soit une baisse de 11 % en dix ans, alors qu’il augmentait partout ailleurs en Europe.
Bien que la France constitue la proue de l’Europe sur l’Atlantique, le port du Havre ne figure pas dans les cinquante premiers ports mondiaux, et plus de 50 % des marchandises arrivant en France transitent par des ports étrangers. Or, en matière de transport de marchandises, les enjeux maritimes, fluviaux et ferroviaires se rejoignent.
Pendant ce temps, après avoir repris et modernisé les ports du Pirée, en Grèce, la Chine ambitionne de contrôler le réseau ferroviaire de ce pays pour mieux irriguer le cœur de l’Europe, et, avant même la montée en puissance de l’ambitieux projet de la route de la soie, elle assure déjà une liaison régulière avec l’Allemagne.
L’Allemagne affichant un excédent commercial de 240 milliards d’euros et la France un déficit commercial de 60 milliards d’euros, ne doit-on pas rapprocher la baisse du fret de l’effondrement de l’industrie dans notre pays sur la même période ? À ceux qui considèrent que la décroissance du transport de marchandises en France est la conséquence de la décroissance industrielle, on peut légitimement opposer qu’elle en est peut-être plutôt l’une des causes, au vu du développement du fret ferroviaire chez nos voisins européens. À cet égard, même le cas de la Grande-Bretagne, souvent brocardé, mérite d’être analysé.
Au moment où le Premier ministre limite la vitesse à 80 kilomètres par heure sur la route, il n’est pas forcément besoin d’infrastructures à grande vitesse : il suffit que le fret circule à 40 kilomètres par heure pour qu’il traverse la France en vingt-quatre heures. Toutefois, encore faut-il pouvoir accéder aux infrastructures. Quand on sait que, en la matière, il faut réserver les sillons deux ans à l’avance, sans garantie sur le délai d’acheminement, on peut s’interroger…
Si la responsabilité de la SNCF dans ce quasi-sinistre du transport ferroviaire de marchandises ne saurait être dégagée, celle de l’État est entière, en raison de l’abandon constant, depuis plus de vingt ans, d’un secteur qui relève d’abord de sa volonté politique, c’est-à-dire du Gouvernement et de lui seul. Cette responsabilité apparaît d’autant plus grande quand on sait l’ambition affichée par l’Europe en la matière dès le sommet d’Essen de 1993.