Cette proposition de loi de notre collègue député Jean-Luc Warsmann vise à résoudre un problème ponctuel mais urgent lié au statut des demandeurs d'asile soumis au règlement européen dit de Dublin. Il ne s'agit pas ici de résoudre l'ensemble de la problématique migratoire. Elle sera l'objet d'un projet de loi dont la présentation au Conseil d'État est annoncée pour le mois de février, et que nous n'examinerons sûrement pas avant le printemps, après l'Assemblée nationale.
Le régime d'asile européen commun résulte des accords de Tampere de 1999, le Conseil retenant comme principe cardinal qu'un seul État soit compétent pour gérer l'examen de chaque demande d'asile. Les accords de Dublin sont appliqués dans 32 États, les membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Lichtenstein. Un migrant qui fait une demande d'asile est enregistré dans la base de données Eurodac, il est autorisé à rester dans le pays où il a présenté sa demande, mais pas à se déplacer. Une personne qui, par exemple, a fait sa demande en Grèce et qui serait contrôlée en Allemagne doit être renvoyée en Grèce pour que sa demande d'asile soit traitée, l'objectif étant d'éviter un « forum shopping » de l'asile, et de développer la solidarité entre États parties aux accords.
Lorsqu'un étranger est contrôlé en France ou qu'il fait une demande d'asile, nous devons nous assurer que le traitement de sa demande ne relève pas d'un autre État, et en particulier qu'il n'a pas fait de demande ailleurs en Europe auparavant. Si c'est le cas, nous adressons une demande d'autorisation de transfert au pays qui a reçu la première demande, puis nous le renvoyons. Huit critères bien définis et hiérarchisés permettent à l'administration d'apprécier la situation de ces étrangers et de déterminer le pays responsable.
Ce système « Dublin » fonctionne tant que les flux migratoires ne sont pas trop importants, pas en cas de crise.
Depuis quelque temps, nous rencontrons des difficultés liées à l'augmentation des flux migratoires et à la volonté d'évitement de ces enregistrements. Par exemple, il a pu arriver que, de manière volontaire ou non, des entrées en Grèce, en Italie ou ailleurs ne soient pas enregistrées dans Eurodac.
Or, au bout d'un certain délai, si le pays d'arrivée n'a pu être identifié, la France redevient responsable et c'est à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) d'examiner la demande d'asile. Sur les 100 412 demandes faites à l'Ofpra en 2017, 22 000 relèveraient ainsi de ce cas.
Le droit français actuel ne permet pas le placement en rétention des étrangers sous procédure « Dublin » avant l'obtention d'une autorisation de transfert - conformément à la volonté initiale du législateur -, comme l'a rappelé le Conseil d'État, saisi pour avis par la cour administrative d'appel de Douai.
Après une décision de transfert, et pour préparer celui-ci, la préfecture peut placer l'étranger sous assignation à résidence ou en rétention. L'article 28 du règlement Dublin III précise les conditions requises pour décider d'une rétention après l'obtention de l'autorisation de transfert : un risque non négligeable de fuite, caractérisé après un examen individuel de la situation et respectant le principe de proportionnalité, étant entendu que d'autres mesures, comme l'assignation à résidence, peuvent être préférées. Mais un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), en mars 2017, a considéré que le placement en rétention d'un étranger « dubliné » ne pouvait être mis en oeuvre par un État que si celui-ci avait défini, par des dispositions de portée générale, les critères établissant le risque non négligeable de fuite.
La Cour de cassation a suivi le même raisonnement et jugé que les critères figurant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour autoriser la rétention de droit commun n'étaient pas suffisants, faute de définition explicite du risque non négligeable de fuite. Aujourd'hui, nos préfectures n'ont donc plus la possibilité de placer en rétention une personne, même si elle a fait l'objet d'une autorisation de transfert.
Nos auditions et nos déplacements le confirment : nos services de préfecture considèrent la situation comme intenable, l'exécution de la décision de transfert dans le pays de première demande est impossible dans bien des cas, faute de pouvoir recourir désormais à la rétention.
La proposition de loi vise, en réponse à ce problème, d'une part à sécuriser juridiquement la possibilité de placement en rétention après la décision de transfert en précisant la définition du « risque non négligeable de fuite », et d'autre part à autoriser, dans certains cas, le placement en rétention avant l'obtention d'une autorisation de transfert.
Le texte de l'Assemblée nationale ne pose pas de problème sur le fond, mais je vous proposerai plusieurs améliorations : préciser les modalités de la prise d'empreintes digitales, ramener à sept jours le délai de recours contre la décision de transfert et allonger de quatre à six jours la durée de validité de l'ordonnance autorisant les visites domiciliaires par les forces de l'ordre en cas d'assignation à résidence ; cela sécurise cette procédure et est de nature à éviter le choix systématique d'un placement en rétention.
Je propose en outre d'insérer un article additionnel : une question prioritaire de constitutionnalité a donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel, en novembre dernier, fragilisant l'assignation à résidence des étrangers condamnés à une interdiction de territoire national mais qui ne peuvent être éloignés. Le Conseil constitutionnel exige que la loi fixe une durée à l'issue de laquelle l'administration doit motiver à nouveau la décision de maintien sous assignation à résidence.
Le Conseil constitutionnel a laissé au Gouvernement jusqu'à la fin juin 2018 pour régler ce problème, mais ce dernier n'a rien entrepris pour l'instant, considérant sans doute qu'il pourrait régler la question dans le futur projet de loi sur l'asile et l'immigration. Il paraît plus prudent de régler cette question dès à présent, d'autant qu'elle concerne souvent des personnes condamnées pour terrorisme, dont on ne doit pas perdre la trace.
La crise migratoire met à mal le règlement de Dublin. Voyez les difficultés auxquelles se heurtent la Grèce, l'Italie, à telle enseigne que l'Union européenne a dû mettre en place en 2015 un dispositif dérogatoire de relocalisation. Les services de la Commission nous ont dit que des discussions étaient en cours pour faire évoluer le règlement de Dublin sans remettre en cause son principe, mais cela prendra du temps. Il faut donc traiter le point particulier dont il est question aujourd'hui, tout en ayant conscience de la nécessité de faire évoluer le règlement dans son ensemble - mais cela nous échappe largement.
Je ne suis pas hostile, vous le savez, à l'efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière. Mais nous devrons aussi veiller aux moyens matériels et humains accordés aux centres de rétention. Un effort supplémentaire sera nécessaire en 2018.