Intervention de Anne Courrèges

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 janvier 2018 à 15h00
Audition de Mme Anne Courrèges candidate à son renouvellement à la direction générale de l'agence de la biomédecine

Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine :

Je suis très heureuse d'être devant vous aujourd'hui. Les relations entre l'Agence de la biomédecine et le Parlement sont étroites et, j'ose croire, empreintes de confiance. J'en veux pour preuve que notre conseil d'orientation, qui est notre instance éthique et qui connaît de tous les actes importants de l'Agence, compte huit parlementaires. Nous nous efforçons autant que possible de vous apporter notre éclairage quand c'est nécessaire. De ce fait, nous nous verrons sans doute beaucoup dans les mois qui viennent compte tenu du chantier qui va tous collectivement nous occuper.

Cette procédure d'audition est bienvenue et la phase des questions sera l'occasion pour moi d'entendre vos préoccupations et vos attentes à l'égard de l'Agence de la biomédecine pour les années à venir.

Cette audition intervient dans le cadre d'une procédure de renouvellement d'un premier mandat de trois années qui furent parfois exigeantes, parfois lourdes mais toujours passionnantes et dont j'ose croire qu'elles auront pu être utiles au service des patients.

Je vous présenterai rapidement l'Agence de la biomédecine, dresserai un bilan des trois années écoulées et tracerai quelques perspectives avant de répondre à vos questions.

L'Agence de la biomédecine a été créée par la loi de bioéthique de 2004 pour prendre la suite de l'Établissement français des greffes, lui-même créé par la loi de bioéthique de 1994 pour prendre en charge l'activité de prélèvements et de greffes d'organes et de tissus. À cette occasion lui ont été adjointes les activités exercées par le registre France Greffe de moelle, l'association créée par le professeur Jean Dausset, prix Nobel de médecine, mais également certaines missions exercées par des commissions ministérielles.

L'Agence de la biomédecine a aujourd'hui quatre grands champs de compétences : le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus, le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques - la moelle osseuse -, l'assistance médicale à la procréation, l'embryologie et la génétique humaine, dont la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines

Dans ces différents champs de compétences, l'Agence de la biomédecine, comme toute agence sanitaire, exerce des missions d'encadrement, d'évaluation, d'accompagnement. Mais deux types de missions la particularisent dans le paysage administratif.

D'une part, elle a des missions opérationnelles. Dans le cas de la greffe d'organes, mission la plus connue de l'Agence, c'est elle qui tient la liste nationale d'attente, le registre national des refus et qui assure la régulation et la répartition des greffons sur l'ensemble du territoire, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Autant vous dire que ce sont là des contraintes opérationnelles lourdes.

D'autre part, elle a une mission légale de promotion nationale des dons d'organes, de tissus, de moelle osseuse et de gamètes. D'où les spots qui sont diffusés à la radio ou à la télévision. C'est une mission extrêmement importante : le don éthique à la française - anonyme, gratuit et librement consenti - suppose l'adhésion et la confiance du grand public pour que cette activité puisse se développer.

Les missions de l'Agence de la biomédecine ont en commun d'avoir une forte technicité juridique, éthique, médicale et scientifique mais aussi une grande sensibilité puisqu'on touche à la vie, à la mort et à l'intime.

Dans l'exercice de ses missions, l'Agence est soucieuse de porter un certain nombre de valeurs : l'humanisme et l'altruisme, puisque ses activités font appel à la solidarité entre les hommes dans ce qu'elle a parfois de plus ultime, mais aussi la transparence, l'éthique et l'équité, à la fois parce que cela correspond à des convictions profondes de ses agents mais aussi parce que nous y voyons un gage d'efficacité et de confiance.

L'Agence, ce sont 260 femmes et hommes répartis sur l'ensemble du territoire, au siège à Saint-Denis mais également dans les quatre services territoriaux appelés services de régulation et d'appui. Ce sont surtout énormément d'experts qui nous apportent leur appui, des acteurs associatifs, des acteurs institutionnels. Nous avons des relations avec les pouvoirs publics, avec le Parlement mais aussi les médias parce qu'ils ont une lourde responsabilité compte tenu de la nature de nos activités.

Notre budget est de 75 millions d'euros mais c'est un budget en trompe-l'oeil puisque 45 % de ce budget correspond en réalité à l'activité du registre France Greffe de moelle, activité d'intermédiation : les entrées correspondent aux sorties, nous ne faisons que de la caisse. C'est donc le solde qu'il convient d'apprécier. Depuis le 1er janvier 2018, il y a une nouveauté : jusqu'à présent, ce solde était versé pour un tiers par l'État et pour deux tiers par l'assurance maladie ; dorénavant, nous sommes entièrement financés par l'assurance maladie.

Si je dresse le bilan des trois années qui se sont écoulées, je dirai que l'Agence a été globalement au rendez-vous de ses missions. Je le dis avec beaucoup de modestie : d'abord, cette action, qui s'inscrit dans la durée, doit donc beaucoup à mes prédécesseurs ; ensuite, cette action est extrêmement collective et repose beaucoup sur l'Agence mais aussi sur ses partenaires ; enfin, nous sommes bien conscients qu'il y a encore beaucoup à faire.

Je n'évoquerai pas tous les sujets que nous avons traités au cours de ces trois années ; je me concentrerai sur trois grands chantiers qui nous ont particulièrement mobilisés.

Le premier, c'est la poursuite de la conduite des plans ministériels stratégiques qui s'imposaient à nous : le deuxième plan greffe et le plan d'action procréation embryologie et génétique humaine qui arrivaient à terme à la fin de l'année 2016.

Globalement, les objectifs stratégiques qui avaient été fixés dans ces plans ont été atteints, voire, dans un certain nombre de cas, dépassés avec des résultats extrêmement encourageants et le maintien d'un niveau élevé d'éthique, d'équité et de sécurité. Il nous faut toutefois poursuivre dans cette voie car les besoins et la demande restent importants, progressant même parfois plus vite que l'activité.

Pour prendre l'exemple de l'activité de prélèvement et de greffe d'organes, à la fin de 2016, près de 5 900 greffes ont été réalisées en France, soit une progression de 17 % sur cinq ans, grâce à la générosité des donneurs et à la mobilisation des acteurs notamment hospitaliers et associatifs.

Cela a nécessité un travail important sur l'organisation, sur la formation des professionnels, sur la communication vers le grand public et les professionnels. Cela a nécessité aussi un travail de diversification des sources de greffons puisqu'en France l'activité de greffe d'organe reposait essentiellement sur les donneurs en état de mort encéphalique. De fait, sur cette période, nous avons beaucoup développé, à la suite de l'impulsion donnée par la loi de bioéthique de 2011, l'activité de greffe à partir de donneur vivant qui a quasiment doublé sur cinq ans mais aussi le prélèvement sur donneur décédé de la catégorie Maastricht III, c'est-à-dire une personne pour laquelle une décision d'arrêt de soins a été prise en réanimation en application de la loi sur la fin de vie.

Ce programme nous a beaucoup occupés, ainsi que le Parlement. Une impulsion décisive a été donnée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en février 2013. Il a été lancé décembre 2014 et nous avions présenté en mars 2016 ses premiers résultats, extrêmement encourageants, devant le Sénat. Cette activité repose aujourd'hui sur près de 20 centres hospitaliers avec des équipes qui ont été sélectionnées pour leur expérience, leur mobilisation et leur adhésion collective. Elle soulève des défis médicaux, techniques mais aussi éthiques parce qu'il faut garantir une étanchéité totale entre les opérations de fin de vie et les opérations de prélèvement. Nous sommes extrêmement vigilants et rigoureux sur ce point.

En 2017, plus de 240 greffes ont été réalisées dans ce cadre - greffe de rein, de foie, de poumon. D'un point de vue qualitatif, ces greffes sont un succès avec des reprises de greffon remarquables. Ce programme se déroule dans la sérénité avec l'adhésion des professionnels et un dialogue facilité avec les familles, notamment parce qu'elles ont pu se projeter sur le décès à venir de leurs proches.

Il y a aussi des enjeux qualitatifs. Ainsi, grâce un financement de la direction générale de l'offre de soins, nous avons développé Cristal image qui est un outil de télétransmission d'images pour aider à la décision des équipes de greffes. On gagne ainsi en temps, en efficacité et en confort professionnel pour les équipes.

S'agissant de l'activité moelle osseuse et souches hématopoïétiques, l'objectif qui nous avait été assigné de 240 000 donneurs inscrits sur le registre de France Greffe de moelle a été atteint dès juin 2015 avec plusieurs mois d'avance. En réalité, à la fin de 2016, on comptait plus de 260 000 donneurs inscrits avec un rajeunissement notable. En revanche, nous avons encore un travail de diversification à faire : en gros, il nous faut plus d'hommes d'origines plus diverses.

L'assistance médicale à la procréation s'est beaucoup structurée au cours de cette période avec un travail très important sur l'évaluation des centres d'AMP et sur la promotion du don de gamètes. Nous enregistrons un retard en matière de don d'ovocytes par rapport aux besoins. L'activité de donneuse d'ovocytes a progressé de 40 % en cinq ans mais les besoins sont encore très loin d'être satisfaits.

Nous avons aussi été occupés à la mise en oeuvre des dispositions votées dans la loi de bioéthique de 2011 mais dont les textes d'application ont été pris à la fin de 2015, concernant l'ouverture de la possibilité pour les personnes n'ayant jamais procréé de donner leurs gamètes.

Le deuxième chantier qui nous a beaucoup occupés est un chantier législatif, à savoir la loi de modernisation de notre système de santé. Il a impacté notre gouvernance puisque nous avons accueilli dans notre conseil d'administration des représentants des associations, ce qui est une excellente nouvelle. Cela me permet d'insister sur l'importance et les enjeux de la démocratie sanitaire.

Nos compétences ont par ailleurs été complétées puisque nous a été transférée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sa compétence en matière de biovigilance, organes, tissus, cellules et lait maternel à usage thérapeutique. Cette évolution est extrêmement importante pour l'Agence en termes d'enjeux de qualité et de sécurité dans des contextes parfois de crise sanitaire et d'urgence : je pense par exemple aux virus Zika et à la crise qu'ont connue les départements français d'Amérique. Ce dossier nous a beaucoup mobilisés dans un contexte d'incertitude scientifique, ce qui nous a conduits à participer au financement d'études.

La loi de modernisation de notre système de santé, ce sont aussi les dispositions sur le renforcement du consentement présumé et l'évolution des dispositions sur les modalités de l'expression du refus du prélèvement d'organes et de tissus. Cette question a suscité beaucoup de débats parfois vifs mais légitimes et utiles. Le dispositif est entré en vigueur le 1er janvier 2017 et les premiers résultats sont très encourageants. Je vous renvoie à la communication faite par le député Jean-Louis Touraine, chargé d'une mission flash sur cette question, le 20 décembre dernier devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.

Le troisième chantier qui nous a beaucoup mobilisés, comme tous les opérateurs, c'est la recherche d'efficacité et le travail sur l'organisation de l'Agence par la renégociation du bail, par la dématérialisation, par la modernisation des achats, un travail sur notre organisation territoriale, la mise en place d'un secrétariat unique des comités de donneurs vivants qui accompagne le développement de l'activité de prélèvement sur les donneurs vivants d'organes, mais aussi la prise en compte de la réforme territoriale et de la nouvelle carte des régions de façon à s'assurer que chaque agence régionale de santé ait un interlocuteur unique au niveau de l'Agence de la biomédecine.

J'en viens maintenant aux perspectives qui sont de deux ordres.

La première, c'est la poursuite des plans stratégiques. Au cours de l'année 2017, différents plans stratégiques ont été adoptés pour poursuivre le travail qui avait été mené ces dernières années. Les résultats sont encourageants mais les besoins augmentent parfois plus vite que l'activité. De ce fait, nous avons l'ardente obligation de toujours faire davantage et de toujours faire mieux. En mars 2017 ont été rendus publics trois plans : le troisième plan greffe, un plan cellules souches hématopoïétiques pour la première fois individualisé et un nouveau plan d'action procréation, embryologie et génétique humaine.

Ce sont des plans ministériels. J'y insiste, d'abord parce qu'ils traduisent le maintien de la confiance des pouvoirs publics et la priorité donnée à nos activités ; ensuite, dans un contexte contraint, c'est un outil de légitimation important de nos activités ; enfin, c'est un outil de mobilisation collective de l'Agence mais aussi de l'ensemble de ses partenaires.

Les objectifs qui nous ont été fixés sont extrêmement ambitieux. Quelques chiffres pour en témoigner : d'ici à 2021, les objectifs sont de 7 800 greffes annuelles, contre 5 900 à la fin de 2016, de 310 000 donneurs inscrits sur le registre France Greffe de moelle, contre 260 000 à la fin de 2016, l'autosuffisance en don de gamètes alors que nous sommes en pénurie notamment pour le don d'ovocytes et en tension pour le don de spermatozoïdes.

Ces objectifs sont également ambitieux sur le plan qualitatif, avec un travail sur les inégalités régionales et sur la recherche d'équité. C'est tout le sens du projet en cours depuis le 2 janvier dernier de mise en place d'un score coeur, un score national de répartition des greffons cardiaques qui permette un meilleur appariement entre les donneurs et les receveurs et qui permette également de mieux traiter les urgences.

Dans le contrat d'objectifs et de performance que l'Agence a signé avec sa tutelle en 2017, on retrouve ces objectifs métiers mais aussi des objectifs plus propres à l'Agence et plus transversaux : la promotion de la recherche - l'innovation est dans l'ADN de l'Agence de la biomédecine -, la formation des professionnels de santé, levier important de changement, la recherche d'efficience ou encore le travail à faire sur la démocratie sanitaire.

Dernier point : le schéma directeur des systèmes d'information. Toute l'activité de l'Agence de la biomédecine est sous-tendue par ces systèmes d'information, tout particulièrement son activité opérationnelle. Pour assurer par exemple la répartition des greffons 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, il faut un système d'information extrêmement performant. Un certain nombre de défis nous attendent, auxquels nous devrons réfléchir dans les mois à venir : je pense par exemple aux défis du big data, sujet sur lequel nous devrons nous positionner.

Ces orientations stratégiques nous ont été fixées par le Gouvernement pour la période 2017-2021. Un autre chantier va nous occuper beaucoup, comme vous - et vous serez même en première ligne - : c'est bien évidemment le réexamen de la loi de bioéthique, moment extrêmement important de notre vie démocratique, compliqué, délicat, lourd, mobilisateur, soulevant des questions difficiles. Le dispositif a été pensé pour essayer de tenir compte de l'évolution de la société, des connaissances, des sciences. A été diffusé récemment le rapport d'information au Parlement de l'Agence de la biomédecine sur l'état des sciences et des connaissances. Ces sujets supposent une méthodologie particulière car ces lois font société. C'est pourquoi elles sont précédées par des états généraux de la bioéthique dont le pilotage, cette fois-ci, a été confié au Comité consultatif national d'éthique, et par un rapport d'évaluation de la loi, confié à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

L'Agence de la biomédecine, agence créée par la loi de bioéthique dont l'essentiel de l'activité est régi par les lois de bioéthique, ne peut pas se désintéresser de ce chantier, avec un rôle et un positionnement propres : il ne lui revient pas de prendre parti dans les débats de société ; notre rôle est de vous apporter, à vous comme au Gouvernement, un éclairage, notre oeil expert, nos retours d'expérience, les éléments qui participeront à la réflexion collective autour du réexamen de cette loi qui est extrêmement attendue.

Je conclurai sur un point important : je veux vous dire ma motivation pour poursuivre le travail que j'ai engagé au sein de l'Agence de la biomédecine. Lorsque j'étais venue il y a trois ans pour ma première audition, je ne vous cache pas que cette motivation était quelque peu théorique compte tenu de ce que je connaissais de l'Agence. Avoir été confrontée à ces missions, à ces exigences, avoir eu la chance de rencontrer des personnes passionnantes au sein de l'Agence, parmi nos partenaires, qui sont de grande qualité, n'a fait que renforcer ma motivation compte tenu des défis qui nous attendent. J'espère tout simplement pouvoir continuer à être utile dans ce rôle.

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