Nous recevons cet après-midi, à la demande du Gouvernement, Mme Anne Courrèges, dont la reconduction est proposée pour la direction générale de l'Agence de la biomédecine.
Cette procédure est prévue par l'article L. 1451-1 du code de la santé publique pour la nomination aux fonctions de président ou de directeur des agences sanitaires. Je vous rappelle que ce type d'audition n'est suivi d'aucun vote.
Mme Courrèges arrive au terme d'un premier mandat de trois ans. Nous l'avions reçue avant sa nomination mais également en mars 2016 pour faire un point sur la situation des prélèvements d'organes en vue de greffe et, plus globalement, sur la couverture des besoins en matière de transplantation. Nous avions évoqué la problématique du consentement au don mais aussi les questions éthiques soulevées par les prélèvements sur des patients décédés, dans le cadre de la législation sur la fin de vie.
Je propose, Madame la directrice générale, que vous nous présentiez un rapide bilan de vos trois années de mandat à l'Agence de la biomédecine puis les principaux enjeux que vous identifiez pour les trois années à venir.
Les membres de la commission vous poseront ensuite leurs questions.
Je suis très heureuse d'être devant vous aujourd'hui. Les relations entre l'Agence de la biomédecine et le Parlement sont étroites et, j'ose croire, empreintes de confiance. J'en veux pour preuve que notre conseil d'orientation, qui est notre instance éthique et qui connaît de tous les actes importants de l'Agence, compte huit parlementaires. Nous nous efforçons autant que possible de vous apporter notre éclairage quand c'est nécessaire. De ce fait, nous nous verrons sans doute beaucoup dans les mois qui viennent compte tenu du chantier qui va tous collectivement nous occuper.
Cette procédure d'audition est bienvenue et la phase des questions sera l'occasion pour moi d'entendre vos préoccupations et vos attentes à l'égard de l'Agence de la biomédecine pour les années à venir.
Cette audition intervient dans le cadre d'une procédure de renouvellement d'un premier mandat de trois années qui furent parfois exigeantes, parfois lourdes mais toujours passionnantes et dont j'ose croire qu'elles auront pu être utiles au service des patients.
Je vous présenterai rapidement l'Agence de la biomédecine, dresserai un bilan des trois années écoulées et tracerai quelques perspectives avant de répondre à vos questions.
L'Agence de la biomédecine a été créée par la loi de bioéthique de 2004 pour prendre la suite de l'Établissement français des greffes, lui-même créé par la loi de bioéthique de 1994 pour prendre en charge l'activité de prélèvements et de greffes d'organes et de tissus. À cette occasion lui ont été adjointes les activités exercées par le registre France Greffe de moelle, l'association créée par le professeur Jean Dausset, prix Nobel de médecine, mais également certaines missions exercées par des commissions ministérielles.
L'Agence de la biomédecine a aujourd'hui quatre grands champs de compétences : le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus, le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques - la moelle osseuse -, l'assistance médicale à la procréation, l'embryologie et la génétique humaine, dont la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines
Dans ces différents champs de compétences, l'Agence de la biomédecine, comme toute agence sanitaire, exerce des missions d'encadrement, d'évaluation, d'accompagnement. Mais deux types de missions la particularisent dans le paysage administratif.
D'une part, elle a des missions opérationnelles. Dans le cas de la greffe d'organes, mission la plus connue de l'Agence, c'est elle qui tient la liste nationale d'attente, le registre national des refus et qui assure la régulation et la répartition des greffons sur l'ensemble du territoire, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Autant vous dire que ce sont là des contraintes opérationnelles lourdes.
D'autre part, elle a une mission légale de promotion nationale des dons d'organes, de tissus, de moelle osseuse et de gamètes. D'où les spots qui sont diffusés à la radio ou à la télévision. C'est une mission extrêmement importante : le don éthique à la française - anonyme, gratuit et librement consenti - suppose l'adhésion et la confiance du grand public pour que cette activité puisse se développer.
Les missions de l'Agence de la biomédecine ont en commun d'avoir une forte technicité juridique, éthique, médicale et scientifique mais aussi une grande sensibilité puisqu'on touche à la vie, à la mort et à l'intime.
Dans l'exercice de ses missions, l'Agence est soucieuse de porter un certain nombre de valeurs : l'humanisme et l'altruisme, puisque ses activités font appel à la solidarité entre les hommes dans ce qu'elle a parfois de plus ultime, mais aussi la transparence, l'éthique et l'équité, à la fois parce que cela correspond à des convictions profondes de ses agents mais aussi parce que nous y voyons un gage d'efficacité et de confiance.
L'Agence, ce sont 260 femmes et hommes répartis sur l'ensemble du territoire, au siège à Saint-Denis mais également dans les quatre services territoriaux appelés services de régulation et d'appui. Ce sont surtout énormément d'experts qui nous apportent leur appui, des acteurs associatifs, des acteurs institutionnels. Nous avons des relations avec les pouvoirs publics, avec le Parlement mais aussi les médias parce qu'ils ont une lourde responsabilité compte tenu de la nature de nos activités.
Notre budget est de 75 millions d'euros mais c'est un budget en trompe-l'oeil puisque 45 % de ce budget correspond en réalité à l'activité du registre France Greffe de moelle, activité d'intermédiation : les entrées correspondent aux sorties, nous ne faisons que de la caisse. C'est donc le solde qu'il convient d'apprécier. Depuis le 1er janvier 2018, il y a une nouveauté : jusqu'à présent, ce solde était versé pour un tiers par l'État et pour deux tiers par l'assurance maladie ; dorénavant, nous sommes entièrement financés par l'assurance maladie.
Si je dresse le bilan des trois années qui se sont écoulées, je dirai que l'Agence a été globalement au rendez-vous de ses missions. Je le dis avec beaucoup de modestie : d'abord, cette action, qui s'inscrit dans la durée, doit donc beaucoup à mes prédécesseurs ; ensuite, cette action est extrêmement collective et repose beaucoup sur l'Agence mais aussi sur ses partenaires ; enfin, nous sommes bien conscients qu'il y a encore beaucoup à faire.
Je n'évoquerai pas tous les sujets que nous avons traités au cours de ces trois années ; je me concentrerai sur trois grands chantiers qui nous ont particulièrement mobilisés.
Le premier, c'est la poursuite de la conduite des plans ministériels stratégiques qui s'imposaient à nous : le deuxième plan greffe et le plan d'action procréation embryologie et génétique humaine qui arrivaient à terme à la fin de l'année 2016.
Globalement, les objectifs stratégiques qui avaient été fixés dans ces plans ont été atteints, voire, dans un certain nombre de cas, dépassés avec des résultats extrêmement encourageants et le maintien d'un niveau élevé d'éthique, d'équité et de sécurité. Il nous faut toutefois poursuivre dans cette voie car les besoins et la demande restent importants, progressant même parfois plus vite que l'activité.
Pour prendre l'exemple de l'activité de prélèvement et de greffe d'organes, à la fin de 2016, près de 5 900 greffes ont été réalisées en France, soit une progression de 17 % sur cinq ans, grâce à la générosité des donneurs et à la mobilisation des acteurs notamment hospitaliers et associatifs.
Cela a nécessité un travail important sur l'organisation, sur la formation des professionnels, sur la communication vers le grand public et les professionnels. Cela a nécessité aussi un travail de diversification des sources de greffons puisqu'en France l'activité de greffe d'organe reposait essentiellement sur les donneurs en état de mort encéphalique. De fait, sur cette période, nous avons beaucoup développé, à la suite de l'impulsion donnée par la loi de bioéthique de 2011, l'activité de greffe à partir de donneur vivant qui a quasiment doublé sur cinq ans mais aussi le prélèvement sur donneur décédé de la catégorie Maastricht III, c'est-à-dire une personne pour laquelle une décision d'arrêt de soins a été prise en réanimation en application de la loi sur la fin de vie.
Ce programme nous a beaucoup occupés, ainsi que le Parlement. Une impulsion décisive a été donnée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en février 2013. Il a été lancé décembre 2014 et nous avions présenté en mars 2016 ses premiers résultats, extrêmement encourageants, devant le Sénat. Cette activité repose aujourd'hui sur près de 20 centres hospitaliers avec des équipes qui ont été sélectionnées pour leur expérience, leur mobilisation et leur adhésion collective. Elle soulève des défis médicaux, techniques mais aussi éthiques parce qu'il faut garantir une étanchéité totale entre les opérations de fin de vie et les opérations de prélèvement. Nous sommes extrêmement vigilants et rigoureux sur ce point.
En 2017, plus de 240 greffes ont été réalisées dans ce cadre - greffe de rein, de foie, de poumon. D'un point de vue qualitatif, ces greffes sont un succès avec des reprises de greffon remarquables. Ce programme se déroule dans la sérénité avec l'adhésion des professionnels et un dialogue facilité avec les familles, notamment parce qu'elles ont pu se projeter sur le décès à venir de leurs proches.
Il y a aussi des enjeux qualitatifs. Ainsi, grâce un financement de la direction générale de l'offre de soins, nous avons développé Cristal image qui est un outil de télétransmission d'images pour aider à la décision des équipes de greffes. On gagne ainsi en temps, en efficacité et en confort professionnel pour les équipes.
S'agissant de l'activité moelle osseuse et souches hématopoïétiques, l'objectif qui nous avait été assigné de 240 000 donneurs inscrits sur le registre de France Greffe de moelle a été atteint dès juin 2015 avec plusieurs mois d'avance. En réalité, à la fin de 2016, on comptait plus de 260 000 donneurs inscrits avec un rajeunissement notable. En revanche, nous avons encore un travail de diversification à faire : en gros, il nous faut plus d'hommes d'origines plus diverses.
L'assistance médicale à la procréation s'est beaucoup structurée au cours de cette période avec un travail très important sur l'évaluation des centres d'AMP et sur la promotion du don de gamètes. Nous enregistrons un retard en matière de don d'ovocytes par rapport aux besoins. L'activité de donneuse d'ovocytes a progressé de 40 % en cinq ans mais les besoins sont encore très loin d'être satisfaits.
Nous avons aussi été occupés à la mise en oeuvre des dispositions votées dans la loi de bioéthique de 2011 mais dont les textes d'application ont été pris à la fin de 2015, concernant l'ouverture de la possibilité pour les personnes n'ayant jamais procréé de donner leurs gamètes.
Le deuxième chantier qui nous a beaucoup occupés est un chantier législatif, à savoir la loi de modernisation de notre système de santé. Il a impacté notre gouvernance puisque nous avons accueilli dans notre conseil d'administration des représentants des associations, ce qui est une excellente nouvelle. Cela me permet d'insister sur l'importance et les enjeux de la démocratie sanitaire.
Nos compétences ont par ailleurs été complétées puisque nous a été transférée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sa compétence en matière de biovigilance, organes, tissus, cellules et lait maternel à usage thérapeutique. Cette évolution est extrêmement importante pour l'Agence en termes d'enjeux de qualité et de sécurité dans des contextes parfois de crise sanitaire et d'urgence : je pense par exemple aux virus Zika et à la crise qu'ont connue les départements français d'Amérique. Ce dossier nous a beaucoup mobilisés dans un contexte d'incertitude scientifique, ce qui nous a conduits à participer au financement d'études.
La loi de modernisation de notre système de santé, ce sont aussi les dispositions sur le renforcement du consentement présumé et l'évolution des dispositions sur les modalités de l'expression du refus du prélèvement d'organes et de tissus. Cette question a suscité beaucoup de débats parfois vifs mais légitimes et utiles. Le dispositif est entré en vigueur le 1er janvier 2017 et les premiers résultats sont très encourageants. Je vous renvoie à la communication faite par le député Jean-Louis Touraine, chargé d'une mission flash sur cette question, le 20 décembre dernier devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
Le troisième chantier qui nous a beaucoup mobilisés, comme tous les opérateurs, c'est la recherche d'efficacité et le travail sur l'organisation de l'Agence par la renégociation du bail, par la dématérialisation, par la modernisation des achats, un travail sur notre organisation territoriale, la mise en place d'un secrétariat unique des comités de donneurs vivants qui accompagne le développement de l'activité de prélèvement sur les donneurs vivants d'organes, mais aussi la prise en compte de la réforme territoriale et de la nouvelle carte des régions de façon à s'assurer que chaque agence régionale de santé ait un interlocuteur unique au niveau de l'Agence de la biomédecine.
J'en viens maintenant aux perspectives qui sont de deux ordres.
La première, c'est la poursuite des plans stratégiques. Au cours de l'année 2017, différents plans stratégiques ont été adoptés pour poursuivre le travail qui avait été mené ces dernières années. Les résultats sont encourageants mais les besoins augmentent parfois plus vite que l'activité. De ce fait, nous avons l'ardente obligation de toujours faire davantage et de toujours faire mieux. En mars 2017 ont été rendus publics trois plans : le troisième plan greffe, un plan cellules souches hématopoïétiques pour la première fois individualisé et un nouveau plan d'action procréation, embryologie et génétique humaine.
Ce sont des plans ministériels. J'y insiste, d'abord parce qu'ils traduisent le maintien de la confiance des pouvoirs publics et la priorité donnée à nos activités ; ensuite, dans un contexte contraint, c'est un outil de légitimation important de nos activités ; enfin, c'est un outil de mobilisation collective de l'Agence mais aussi de l'ensemble de ses partenaires.
Les objectifs qui nous ont été fixés sont extrêmement ambitieux. Quelques chiffres pour en témoigner : d'ici à 2021, les objectifs sont de 7 800 greffes annuelles, contre 5 900 à la fin de 2016, de 310 000 donneurs inscrits sur le registre France Greffe de moelle, contre 260 000 à la fin de 2016, l'autosuffisance en don de gamètes alors que nous sommes en pénurie notamment pour le don d'ovocytes et en tension pour le don de spermatozoïdes.
Ces objectifs sont également ambitieux sur le plan qualitatif, avec un travail sur les inégalités régionales et sur la recherche d'équité. C'est tout le sens du projet en cours depuis le 2 janvier dernier de mise en place d'un score coeur, un score national de répartition des greffons cardiaques qui permette un meilleur appariement entre les donneurs et les receveurs et qui permette également de mieux traiter les urgences.
Dans le contrat d'objectifs et de performance que l'Agence a signé avec sa tutelle en 2017, on retrouve ces objectifs métiers mais aussi des objectifs plus propres à l'Agence et plus transversaux : la promotion de la recherche - l'innovation est dans l'ADN de l'Agence de la biomédecine -, la formation des professionnels de santé, levier important de changement, la recherche d'efficience ou encore le travail à faire sur la démocratie sanitaire.
Dernier point : le schéma directeur des systèmes d'information. Toute l'activité de l'Agence de la biomédecine est sous-tendue par ces systèmes d'information, tout particulièrement son activité opérationnelle. Pour assurer par exemple la répartition des greffons 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, il faut un système d'information extrêmement performant. Un certain nombre de défis nous attendent, auxquels nous devrons réfléchir dans les mois à venir : je pense par exemple aux défis du big data, sujet sur lequel nous devrons nous positionner.
Ces orientations stratégiques nous ont été fixées par le Gouvernement pour la période 2017-2021. Un autre chantier va nous occuper beaucoup, comme vous - et vous serez même en première ligne - : c'est bien évidemment le réexamen de la loi de bioéthique, moment extrêmement important de notre vie démocratique, compliqué, délicat, lourd, mobilisateur, soulevant des questions difficiles. Le dispositif a été pensé pour essayer de tenir compte de l'évolution de la société, des connaissances, des sciences. A été diffusé récemment le rapport d'information au Parlement de l'Agence de la biomédecine sur l'état des sciences et des connaissances. Ces sujets supposent une méthodologie particulière car ces lois font société. C'est pourquoi elles sont précédées par des états généraux de la bioéthique dont le pilotage, cette fois-ci, a été confié au Comité consultatif national d'éthique, et par un rapport d'évaluation de la loi, confié à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
L'Agence de la biomédecine, agence créée par la loi de bioéthique dont l'essentiel de l'activité est régi par les lois de bioéthique, ne peut pas se désintéresser de ce chantier, avec un rôle et un positionnement propres : il ne lui revient pas de prendre parti dans les débats de société ; notre rôle est de vous apporter, à vous comme au Gouvernement, un éclairage, notre oeil expert, nos retours d'expérience, les éléments qui participeront à la réflexion collective autour du réexamen de cette loi qui est extrêmement attendue.
Je conclurai sur un point important : je veux vous dire ma motivation pour poursuivre le travail que j'ai engagé au sein de l'Agence de la biomédecine. Lorsque j'étais venue il y a trois ans pour ma première audition, je ne vous cache pas que cette motivation était quelque peu théorique compte tenu de ce que je connaissais de l'Agence. Avoir été confrontée à ces missions, à ces exigences, avoir eu la chance de rencontrer des personnes passionnantes au sein de l'Agence, parmi nos partenaires, qui sont de grande qualité, n'a fait que renforcer ma motivation compte tenu des défis qui nous attendent. J'espère tout simplement pouvoir continuer à être utile dans ce rôle.
Si l'on révise la loi de bioéthique, ce n'est pas grâce au ministre de l'époque, Xavier Bertrand, qui était opposé au principe de la révision périodique, tout comme votre prédécesseur, mais c'est bien grâce au rapporteur et au Sénat.
Pour faire partie du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, je sais le travail qui y est fait et combien les sujets abordés le sont sérieusement, avec les contraintes et les objectifs d'efficience que vous indiquez.
En région sont lancés les états généraux de la bioéthique. Nous sommes très sollicités, nous autres parlementaires - en tout cas, je le suis en particulier -, par des associations, par des professionnels de santé, sur la façon dont les choses vont se dérouler. En région Pays de la Loire, c'est le responsable du département d'éthique au CHU de Nantes qui pilote les débats. Sur les nombreux sujets qui vont être évoqués, comment l'Agence va-t-elle se positionner au côté du Comité consultatif national d'éthique ? À quel moment ? Vous avez parlé du don de gamètes mais l'on voit ressurgir la question de l'anonymat du donneur, qui est un vrai sujet, et l'on parle beaucoup de la PMA et de la GPA, sans parler du don d'organes.
Quelles relations entretenez-vous au niveau européen ou international ? Des améliorations sont-elles possibles ?
Ma première question porte sur le don d'organes et les greffes : estimez-vous que la législation actuelle est satisfaisante et permette un équilibre entre les besoins et les donneurs, ainsi que dans l'organisation de la filière ?
Ma seconde question rejoint celle de Mme Deroche : vous avez parlé à juste titre de la nécessaire adhésion et confiance du public ; dans les débats qui s'annoncent cette année, elles sont fondamentales. Vous avez aussi exposé les valeurs de votre agence : humanisme, équité, transparence, altruisme. Votre agence a un rôle particulier à jouer dans ce débat, même si j'ai bien noté votre souci de ne pas prendre parti au-delà de vos missions, souci que je respecte. Mais si l'on veut que ce débat soit fructueux et permette une bonne appropriation de ces problématiques par le grand public, au-delà des parlementaires et des associations très militantes et très concernées, une agence comme la vôtre a un rôle singulier à jouer. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur la façon dont vous concevez votre rôle en la matière.
L'Agence de la biomédecine va produire un certain nombre de documents dans la perspective des États généraux de la bioéthique. D'abord, le rapport d'information sur l'état des sciences et des connaissances sera actualisé, tout comme le document sur l'encadrement national des activités de biomédecine. On apprend de ce qui se fait à l'étranger. Ainsi le protocole Maastricht III, très performant, s'est nourri d'expériences antérieures et ce sont maintenant les autres pays qui s'en inspirent.
Nous travaillons également à des éléments d'application de la précédente loi pour ce qui entre dans les compétences de l'Agence : en effet, ses activités sont bien le coeur historique de la loi de bioéthique mais ne l'épuisent pas, ainsi des questions relatives à l'intelligence artificielle. Ces éléments d'application nourriront les travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, des États généraux de la bioéthique et le rapport du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Ils contiendront enfin des pistes de réflexion sur plusieurs sujets.
Nous serons évidemment amenés à contribuer à la réflexion parlementaire, notamment à travers les auditions. Nous travaillons étroitement avec le Gouvernement et le CCNE ; ce dernier, dans le cadre du pilotage des États généraux, peut être amené à solliciter notre expertise. Je participerai enfin au Forum européen de bioéthique qui se tiendra début février à Strasbourg, ainsi qu'à d'autres manifestations.
Vous m'avez interrogé sur les pistes d'évolution en matière de bioéthique. Prenons l'exemple du don d'organes qui a beaucoup mobilisé l'Agence ces derniers mois. Je rejoins entièrement les propos de Jean-Louis Touraine devant l'Assemblée nationale : dans ce domaine, nous avions besoin d'établir la confiance et de construire dans la durée. La législation doit par conséquent être stabilisée.
La question qui préoccupe l'Agence, d'ordre technique, est l'activité de donneurs vivants que le législateur, en 2011, a souhaité développer. Un quasi-doublement des dons a été obtenu en cinq ans mais la croissance a connu ces deux dernières années un certain ralentissement, voire un tassement. C'est pourquoi nous cherchons à identifier les freins et les leviers dans cette activité qui présente une forte marge de progression. La solution réside peut-être dans des mesures de simplification de la procédure de dons. Les exigences éthiques, depuis la loi de 2011 qui encadre ce type de dons, ont été pleinement intégrées et nous disposons du recul nécessaire pour faire un bilan.
Autre domaine d'évolution possible, le don croisé, variante du don de personne vivante. Cette procédure peut être appliquée lorsqu'une impasse immunologique rend incompatible le couple donneur-receveur. Dans ce cas, on peut identifier un autre couple présentant la même incompatibilité mais où le donneur est compatible avec le receveur du premier couple et inversement. La loi de 2011 limitait le don croisé à deux paires et imposait la simultanéité des deux greffes. Faut-il réexaminer la procédure, autoriser plus de deux paires, comme cela se fait dans certains pays ? La simultanéité doit-elle être maintenue ? Vous, parlementaires, aurez à trancher ces questions. Pour le moment, le programme de dons croisés évolue en deçà des attentes. Nous tentons de mettre en place des échanges, notamment avec les Suisses, pour augmenter le vivier de paires disponibles.
Autre sujet évoqué dans vos questions, l'Europe. L'Union européenne réglemente l'activité en matière d'organes, de tissus et de cellules, surtout sous l'angle de la sécurité et de la qualité du produit. L'Agence de la biomédecine apporte son éclairage au Gouvernement dans le cadre de l'élaboration des directives mais aussi de leur transposition au niveau national.
Le Conseil de l'Europe joue un rôle presque aussi important que l'Union européenne, en tant que lieu de la discussion sur les sujets éthiques - notamment dans le cadre des contentieux potentiels portés devant la Cour européenne des droits de l'homme mais aussi plus en amont : ainsi de la convention d'Oviedo qui pose les grands principes en matière de don d'organes - notamment la gratuité et l'anonymat - ou de la lutte contre les trafics qui réclame un travail au niveau européen.
Enfin, nous sommes engagés dans des partenariats de pays à pays. C'est notamment le cas avec l'Alliance du Sud qui regroupe l'Italie et l'Espagne, ou encore avec la Suisse.
L'Agence de la biomédecine, je le rappelle, est tout à fait unique : c'est la seule agence en Europe et, me semble-t-il, dans le monde qui regroupe l'ensemble des champs de compétence relevant de ce domaine. Dans d'autres pays, des agences peuvent s'occuper du don d'organes mais pas de l'assistance médicale à la procréation. Dans d'autres, cette dernière n'est pas régulée par une instance publique. Les législations européennes sont donc très variables. Il est important de définir un socle de valeurs partagées en matière de don d'organes, en l'absence duquel les citoyens sont tentés de faire leur marché dans les différents systèmes légaux.
La loi Claeys-Leonetti relative à la fin de vie de 2016 a-t-elle changé les choses en matière de prélèvement d'organes ? L'intelligence artificielle utilisée dans le don d'organes - en particulier les algorithmes mis à contribution dans le parcours de dons - a-t-elle fait l'objet d'une réflexion éthique ?
Quelles sont les perspectives en matière de big data pour les trois prochaines années ?
Dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA), des milliers de femmes se rendent en Espagne et en Belgique pour réaliser deux opérations : l'autoconservation d'ovocytes et l'examen cellulaire de l'embryon avant son implantation in utero. Peut-on autoriser ces opérations en France sans faire évoluer la loi ? Je rappelle qu'elles sont impossibles chez nous mais remboursées par notre Sécurité sociale...
Quelle rôle joue l'Agence de la biomédecine dans la protection des données - qui fait désormais l'objet d'une directive européenne - notamment dans le cadre des tests génétiques ?
La loi Leonetti-Claeys a eu peu d'impact sur l'activité de notre agence. Le seul domaine potentiellement concerné est Maastricht III mais ce protocole prévoit une étanchéité totale entre les opérations de fin de vie et les opérations de prélèvement. L'Agence de la biomédecine n'intervient donc pas dans la phase de la fin de vie. En revanche, sur le terrain, Maastricht III oblige tous les acteurs - notamment ceux de la fin de vie et du prélèvement - à se réunir sous l'égide de la gouvernance. C'est l'occasion de se poser des questions sur les décisions de limitation ou d'arrêt des thérapeutiques actives (LAT) et d'engager une réflexion bénéfique pour les équipes qui y participent.
Notre agence a été auditionnée par la mission Villani, précisément sur la question des algorithmes de répartition des greffons. Ces algorithmes ne sont qu'une aide à la décision. Chaque score en matière de greffe résulte d'une recherche d'équilibre entre l'équité, l'efficacité et la faisabilité. Dans le cas d'un greffon de coeur, le délai d'ischémie est de quatre heures, ce qui implique une véritable course contre la montre. Cela impose une attention particulière à la logistique : il est très dommageable de perdre un greffon de coeur parce que l'on a trop recherché le receveur le plus approprié. La discussion est conduite au sein de groupes de travail, puis soumise à l'expertise du comité médical et scientifique de l'Agence, le regard éthique étant porté par le Conseil d'orientation.
Vaste sujet que les big data. Il faut commencer par comprendre ce que recouvre l'expression. Dans quelle mesure convient-il de s'y engager ? Pouvons-nous y aller seuls ou, au contraire, partager la réflexion avec les autres agences et le ministère ? Cette question nous préoccupe beaucoup, y compris dans son articulation avec la protection des données. Nous venons d'établir un schéma directeur de protection des systèmes d'information qui comporte un volet relatif à cette protection.
Au moment du don, les données sont anonymisées puisqu'aucun lien ne doit pouvoir être fait entre le donneur et le receveur - reste que nous les détenons. C'est pourquoi la sécurité informatique est un enjeu majeur à nos yeux, surtout eu égard aux tentatives d'intrusion informatique dans divers organismes qui ont donné une actualité brûlante au sujet.
L'Agence de la biomédecine n'est pas responsable de la sécurité des données liées aux tests génétiques. Un problème doit néanmoins être soulevé. En France, ces tests sont très encadrés : ils doivent être conduits dans une perspective médicale et doivent faire l'objet d'une prescription et d'un accompagnement. Or des sites accessibles sur notre territoire mais implantés à l'étranger permettent de les réaliser dans un cadre beaucoup moins strict - un article que j'ai consulté ce matin parle même de « génétique récréative ». Cela implique l'envoi de données génétiques à l'étranger, conservées dans des conditions et avec des droits d'accès que nous ignorons totalement. C'est une préoccupation importante.
Vous avez mentionné un objectif de 7 900 greffes. Combien en faudrait-il pour assurer l'adéquation entre l'offre et la demande de greffons ?
Avec 7 900 greffes, nous serions en mesure de répondre aux besoins. Le problème est que les indications de greffe augmentent constamment avec le vieillissement de la population et les progrès réalisés dans l'exécution des greffes. En 2017, nous avons passé la barre des 6 000. Il convient de continuer à travailler aux alternatives à la greffe et surtout de prendre le virage de la prévention, seul moyen de contenir l'augmentation des besoins.
En décembre dernier, l'Agence a eu à connaître d'une affaire liée à la limite d'âge en matière de PMA. Quels sont ses souhaits sur cette question ? Quel est le fondement de la limite suggérée de 60 ans ?
L'Agence de la biomédecine se contente d'appliquer la loi ; or le législateur n'a pas souhaité de limite chiffrée, se contentant de préciser que les couples doivent être en âge de procréer ; il renvoie ainsi aux équipes médicales dans le cas d'une prise en charge nationale, à l'Agence dans celui d'une prise en charge à l'étranger, d'apprécier la limite. Le consensus médical évalue cette limite de 43 à 45 ans pour la femme - ce qui correspond à la limite de prise en charge par la Sécurité sociale - et à 60 ans pour l'homme. Le Conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, qui est une instance indépendante de celle-ci, a récemment rendu un avis préconisant la fixation d'une limite par les textes. Mais, en dernière instance, la décision appartient aux parlementaires. Faut-il fixer l'âge de procréer dans la loi ou laisser les professionnels décider, voire estimer qu'il n'y a pas d'âge limite ?
J'ai eu à connaître, en tant que maire, de l'activité de deux chercheurs produisant des cellules souches et nouant dans ce cadre des partenariats dans le monde entier. Au Japon, il est possible de les utiliser mais pas de les produire, pour des raisons culturelles. Or il semble que chaque partenariat de production pose un problème législatif. Quelle est votre position sur le sujet ?
L'Agence de la biomédecine s'occupe de deux types de cellules souches : les hématopoïétiques d'abord, qui se trouvent dans la moelle osseuse. Dans ce domaine, il est indispensable de s'appuyer sur la solidarité internationale - à travers l'interconnexion de 73 registres dans le monde - car au sein des fratries, la probabilité de trouver un donneur compatible est de un sur un million. Les cellules embryonnaires humaines, ensuite, sont utilisées dans le cadre de la recherche scientifique. Seuls treize essais cliniques utilisant ces cellules sont conduits dans le monde, dont un en France, destiné au traitement des insuffisances cardiaques et dirigé par le professeur Menasché.
Je vous remercie pour votre intervention et vos réponses.
La réunion est close à 15 h 55.