Intervention de Patrick Lefas

Commission des affaires sociales — Réunion du 17 janvier 2018 à 10h14
Rôle des centres hospitaliers universitaires dans l'enseignement supérieur et la recherche médicale — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Patrick Lefas, président de chambre maintenu à la Cour des comptes :

Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui le premier volet de l'enquête sur le rôle des CHU dans le système de santé. L'ampleur du sujet imposait en effet de le diviser en deux parties. Cette première enquête a été conduite par une formation inter-chambres associant des représentants de la troisième chambre, compétente pour l'enseignement supérieur et la recherche, et de la sixième, qui s'occupe des questions de santé et, depuis le 1er janvier, du secteur médico-social. Nous ne traitons pas, dans cette première partie, de la formation continue, mais uniquement de la formation initiale, qui répond à une logique organisationnelle différente.

Parmi le millier d'établissements publics de santé, 30 établissements répondent aux critères de l'ordonnance du 30 décembre 1958, à savoir qu'ils sont liés par convention avec une ou plusieurs unités de formation et de recherche médicale au sein d'une université. La très grande majorité d'entre eux ont signé leur convention initiale entre 1965 et 1975.

Des disparités importantes existent cependant parmi les CHU. L'AP-HP fait figure d'exception avec plus de 7,3 milliards d'euros de produits, mais elle est composée de 12 groupements hospitaliers qui fonctionnent chacun avec une des 7 facultés de médecine franciliennes et dont le budget et la taille sont souvent proches de ceux des CHU de province. Loin derrière, 5 CHU ont un budget supérieur à un milliard d'euros, compris entre 1,1 et 1,7 milliard d'euros. Les 8 CHU les plus petits ont des budgets de moins de 500 millions d'euros. Depuis plusieurs années, le résultat consolidé des CHU est négatif et la baisse de leur capacité d'autofinancement a un impact négatif sur le niveau de leurs investissements. Leur activité de proximité, de recours et de référence représente près de 38 % des séjours de l'hospitalisation publique. À ce titre, ils prennent en charge 25,5 % des passages aux urgences, 40 % des séjours les plus graves et 30 % des séjours des patients de moins de 5 ans et de plus de 80 ans du secteur public. Plus de 68 % de leur financement est assuré par les produits issus de l'activité de soins et les personnels hospitalo-universitaires représentent 7,5 % des ETP rémunérés par les CHU.

Depuis l'introduction en 2004 de la tarification à l'activité (T2A), les missions d'enseignement et de recherche qu'ils remplissent sont financées au sein des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac) par les recettes des missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (Merri). En 2016, ces financements Merri s'élèvent à 3,5 milliards d'euros, dont la très grande majorité est versée aux CHU. Le modèle d'allocation de ces recettes est de plus en plus fondé sur des critères de performance, appuyés sur les scores produits par le système d'interrogation, de gestion et d'analyse des publications scientifiques (Sigaps) et le système d'information et de gestion de la recherche et des essais cliniques (Sigrec), qui sont des indicateurs d'activité de recherche, déterminés sur la base, respectivement, des publications scientifiques des établissements et des essais cliniques à promotion hospitalière dans lesquels sont impliqués les établissements.

En même temps que les CHU a été créé le statut des médecins hospitalo-universitaires par fusion des deux hiérarchies qui existaient alors, l'une universitaire - docteurs, assistants, agrégés et professeurs - et l'autre hospitalière - externes, internes, chefs de clinique, chefs de service. Le personnel hospitalo-universitaire est défini dès 1958 comme du personnel médical et scientifique exerçant à plein temps des fonctions universitaires et hospitalières. En 2015-2016, les ministères chargés de la santé et de l'enseignement supérieur dénombraient un total de 5 666 postes de personnels hospitalo-universitaires titulaires en médecine, dont 4 020 professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) et 1 646 maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers (MCU-PH).

Notre enquête a été conduite, classiquement, à partir de questionnaires et d'entretiens avec l'ensemble des acteurs concernés. En outre, nous avons consulté des personnalités éminentes du milieu hospitalo-universitaires, comme les professeurs Alain Fischer, Olivier Lyon-Caen, Jacques Marescaux, Lionel Collet ou Jean-François Delfraissy. Au total, près de 200 personnes ont reçu les rapporteurs dans toute la phase d'instruction. Un échantillon de six sites a été retenu, au sein desquels la qualité de la coordination entre les différents partenaires - CHU, université, EPST - a été particulièrement étudiée : l'AP-HP, en lien avec les universités Pierre et Marie Curie et Paris-Sud, Bordeaux, Strasbourg, Angers et Saint-Étienne. Cet échantillon a permis d'examiner la situation de quatre des six instituts hospitalo-universitaires (IHU) : deux IHU rattachés à la Pitié-Salpêtrière, l'Institut du cerveau et de la moelle et l'Ican pour les maladies cardiaques, un rattaché à l'hôpital Necker, Imagine, pour les maladies génétiques, et le dernier, LiRYC, à Bordeaux, pour les maladies cardiaques. Les deux derniers n'étaient pas dans notre échantillon, mais n'en ont pas moins été analysés : Polmit pour les maladies infectieuses à l'AP-HM et Mix-Surg aux hôpitaux universitaires de Strasbourg, sur la chirurgie mini-invasive. Mais nous n'avons pas traité du modèle économique des IHU, car il venait de donner lieu à un rapport de l'Igas et de l'IGAENR. Enfin, des comparaisons internationales ont été réalisées avec plusieurs pays européens et avec les États-Unis. Elles font l'objet de l'annexe n° 4 du rapport, qui montre que le modèle des CHU a quelque peu vieilli.

Le rapport est organisé en trois chapitres. Le premier présente les constats de la situation actuelle, portant sur les trois missions des CHU. Le deuxième chapitre identifie les fragilités du système. Il porte principalement sur les défaillances de l'organisation et du financement de la recherche biomédicale, sur la nécessité de redéfinir la place des CHU dans le système de formation médicale et sur le statut des personnels hospitalo-universitaires, qui apparaît moins attractif pour les jeunes générations. Enfin, le troisième chapitre est plus prospectif. Il identifie les enjeux d'avenir pour les CHU en matière de formation et de recherche, présente les enseignements que l'on peut tirer des exemples étrangers et, dans sa dernière partie, dessine des évolutions possibles pour le système français.

Le premier chapitre dresse un état des lieux. Des trois missions de soins, de recherche et de formation, les soins concentrent l'attention et les moyens des CHU. Cette priorité a été renforcée par la généralisation de la T2A et les difficultés financières rencontrées par la majorité de ces établissements, sans que l'on puisse mesurer l'impact de ces évolutions sur les missions d'enseignement et de recherche.

La qualité de la coordination entre les CHU et leurs universités de rattachement apparaît contrastée selon les sites et dépend souvent de facteurs historiques et des relations personnelles entre les dirigeants. Les nouvelles responsabilités des présidents d'université, issues de la loi de 2007, ainsi que la part croissante des autres disciplines dans la recherche médicale, incitent à un renforcement des relations entre le président de l'université et les dirigeants du CHU, au-delà du lien traditionnel avec le doyen de la faculté de médecine.

Les dernières années ont vu l'émergence d'une nouvelle ambition des CHU en matière de recherche, avec une gouvernance plus intégrée et une organisation interne progressivement adaptée. Celle-ci a été marquée par le développement progressif des structures de soutien à la recherche financées par le ministère chargé de la santé : délégations à la recherche clinique et à l'innovation, centres d'investigation clinique et centres de ressources biologiques. Au cours des dernières années, l'activité de recherche des CHU s'est développée, accompagnée par la mise en oeuvre du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) et la définition de stratégies de recherche des établissements. Des instances de coordination ont été créées au niveau local, sous la forme de comités de la recherche en matière biomédicale et de santé publique, et interrégional, avec les groupements interrégionaux de recherche clinique et d'innovation, mais la qualité des relations avec les partenaires - université, Inserm, CNRS - est inégale et dépend souvent de facteurs locaux.

L'augmentation des publications des CHU n'a cependant pas permis de maintenir le rang de la France en matière de recherche biomédicale, dans un contexte de dynamique importante de pays émergents : notre pays se situe désormais au cinquième rang concernant la part mondiale des publications à fort impact en biologie fondamentale et au huitième rang en recherche médicale. Avec une part qui progresse peu pour la recherche médicale depuis 2011, la France a été récemment doublée par les Pays-Bas et la Chine. Au niveau national, l'activité de recherche des CHU est de plus en plus concurrencée par d'autres établissements de santé : certains CHU ont une activité comparable ou moindre que celle des centres de lutte contre le cancer les plus importants, ou que certains centres hospitaliers ou certaines cliniques privées. On constate une baisse régulière de la part des CHU dans les scores Sigaps, à l'exception de l'AP-HP, qui en représente à elle seule 31,1 %, et des Hospices civils de Lyon. L'activité de recherche des CHU implantés dans les métropoles les plus importantes - Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Nantes - apparaît prédominante. C'est également le cas dans la réussite au PHRC : l'AP-HP obtient plus de 29 % des financements, tandis qu'un groupe de neuf CHU en obtient ensemble 33 %.

Concernant la formation des médecins, l'évolution des études, caractérisée par la généralisation de l'internat et le renforcement de la dimension pratique des apprentissages, confère aux CHU un rôle central. En 2016-2017, hors effectifs de la première année, 144 389 étudiants étaient inscrits en médecine et odontologie, tous niveaux confondus, soit 8,9 % du total des étudiants des universités. L'accès au cursus médical et le niveau de réussite aux examens nationaux, comme la répartition des personnels hospitalo-universitaires, restent toutefois marqués par de fortes inégalités. En 2013, pour une moyenne nationale de 19,7 places de numerus clausus pour 100 000 habitants, les chances d'accès aux études médicales étaient plus fortes en région Limousin - 31,1 places pour 100 000 habitants - qu'en Corse, où ce ratio était de 10,7, en Bretagne, où il était de 15,6, ou en région Centre, avec 18,5. Ces inégalités n'ont pas été supprimées par la hausse générale du numerus clausus entre 2004 et 2013. Le niveau d'encadrement par des enseignants en santé des étudiants entrés dans le cursus médical est hétérogène selon les sites.

En 2015-2016, un poste d'enseignant (titulaires et non-titulaires confondus) correspondait à moins de six étudiants à l'université Paris 5 Descartes, mais à plus de quinze à l'université Lille 2. Un taux d'encadrement défavorable ne permet pas de proposer aux étudiants l'accès à l'ensemble des enseignements de spécialité, ce qui pose la question de l'homogénéité des formations médicales sur le territoire national. Seules deux universités - Paris 5 Descartes et Paris 6 Pierre-et-Marie-Curie - disposent de PU-PH et de MCU-PH dans la quasi-totalité des disciplines. En revanche, de nombreuses universités en région, à Amiens, Caen, Rouen, Brest ou Nantes par exemple, ne disposent pas de postes hospitalo-universitaires titulaires, et notamment de MCU-PH, dans toutes les spécialités.

Ces disparités ne font pas l'objet d'actions correctrices fortes de la part des pouvoirs publics. Elles affectent les CHU tant en raison de leur rôle de référence dans la formation pratique des étudiants que de la proximité entre les activités de soins, de formation et de recherche. Ainsi, un niveau d'encadrement défavorable des étudiants réduit le temps disponible pour la recherche et diminue les capacités d'accompagnement des activités de soin des étudiants par les personnels hospitalo-universitaires.

La relation entre niveau d'encadrement et réussite aux épreuves classantes nationales (ECN) n'est cependant pas automatique. En 2015-2016, l'université de Nice a fait accéder 12,3 % de ses étudiants dans les 500 premiers aux ECN, soit le même taux que l'université Pierre-et-Marie-Curie, avec un ratio d'encadrement de 10,6 contre 7,5 pour Paris 6. Les étudiants des universités de Grenoble, Aix-Marseille, Montpellier et Nice obtiennent des niveaux de réussite supérieurs à ceux de certaines universités - Paris 7, Paris 12, Paris 13, notamment - qui bénéficient d'un niveau d'encadrement pourtant supérieur.

Dans un contexte d'augmentation de la demande de formation liée au relèvement du numerus clausus, ces déséquilibres conduisent à associer davantage d'acteurs non hospitalo-universitaires à l'exercice de la mission de formation.

Le deuxième chapitre identifie les fragilités du système. Le cloisonnement et l'érosion des concours alloués à la recherche, intrinsèquement liés à la nature des crédits qui lui sont affectés, la nécessité de partager la formation avec d'autres établissements du territoire et les signes perceptibles d'une perte d'attractivité du statut de PU-PH en sont les composantes principales.

L'organisation et le financement de la recherche sont trop cloisonnés. Au niveau national, la double tutelle du domaine hospitalo-universitaire, assurée par les ministères chargés respectivement de la santé et de l'enseignement supérieur et de la recherche, est marquée par un manque de coopération entre les administrations centrales concernées, même si la situation s'est récemment améliorée. Plusieurs éléments illustrent les difficultés de pilotage général de la recherche en santé : l'absence de vision consolidée de l'ensemble des moyens qui lui sont consacrés, la faiblesse du financement de la recherche translationnelle malgré les financements du programme d'investissements d'avenir (PIA), le caractère fragmenté et mal évalué du PHRC, enfin l'échec du plan de programmation de la recherche en santé, lancé sur l'initiative du Président de la République lors de la célébration du cinquantième anniversaire de l'Inserm.

Ensuite, les recettes Merri sont un modèle à réformer. En 1995, à la suite du rapport sur la réforme du financement des hôpitaux, le ministère de la santé a retenu un taux forfaitaire de 13 % pour les CHU, représentant la sous-productivité liée à l'exercice des missions d'enseignement et de recherche. Cela représente pour les CHU 1,74 milliard d'euros à la veille de la réforme de 2004. La mise en oeuvre de la T2A en 2004 dans le cadre de la réforme du financement des établissements de santé a imposé la création de recettes spécifiques pour couvrir ces surcoûts, les Merri.

Quatre réformes ont affecté le périmètre de ces recettes depuis 2011 : la publication d'un référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN), la nette revalorisation du financement lié aux activités de formation initiale, en particulier la rémunération des internes, la fusion de la part fixe et de la part modulable qui s'est achevée en 2016, enfin la sortie des Migac des produits de santé sous autorisation temporaire d'utilisation (ATU).

L'agrégat Merri est très hétérogène dans ses composantes, ce qui le rend peu lisible. Il est de plus en plus déterminé par des scores de publications, d'essais et d'enseignement, à hauteur de 1,573 milliard d'euros en 2016, soit 45 % de son montant total. Les deux tiers de ce montant sont calculés par les seuls scores Sigaps et Sigrec relatifs à la recherche.

Ce mode de financement présente de nombreux inconvénients. L'élargissement progressif du nombre de bénéficiaires des recettes Merri - 40 établissements en plus des 30 CHU - entraîne une dispersion des crédits et une érosion régulière du financement des CHU pour leur mission de recherche. Par ailleurs, les crédits Merri sont répartis à partir de critères d'activité alors qu'ils sont censés compenser des surcoûts, ce qui provoque de l'incompréhension chez les chercheurs. Les pouvoirs publics peinent à tirer toutes les conséquences de la jurisprudence française et européenne qui impose une égalité de traitement de l'ensemble des établissements de santé, quelle que soit leur nature juridique. Elle pose également la question du principe même d'indicateurs d'activité de recherche comme fondement d'une méthodologie pour estimer des surcoûts ou des pertes d'exploitation liées à la recherche.

En 2010, les pouvoirs publics ont créé un nouveau mode d'organisation de la recherche biomédicale, l'IHU, et de le financer par le PIA. Les six IHU créés représentent des outils très intéressants de dynamisation de la recherche biomédicale et de transfert pour l'amélioration des soins. Les ressources qui leur ont été affectées ont permis de moderniser les plates-formes technologiques et d'augmenter les moyens de recherche, notamment par le recrutement international. Cependant, la création de structures juridiques autonomes a induit une complexité de gouvernance et les difficultés ne sont pas encore levées. Plusieurs questions restent à traiter, sur le plan des relations entre les IHU et leurs membres fondateurs, sur le modèle économique et sur la pérennisation des emplois. En outre, le modèle de fondation n'a pas atteint ses objectifs d'équilibre économique.

Ces difficultés incitent désormais à la prudence quant aux modalités de création de nouveaux instituts. En tout état de cause, le modèle spécifique des IHU ne peut avoir qu'une portée limitée et ne peut pas être considéré comme le futur mode d'organisation de l'ensemble des CHU. En 2014, le lancement de l'appel à projets de recherche hospitalo-universitaire (RHU), financé également par le PIA, a traduit un réel effort de décloisonnement et a été accueilli très favorablement par l'ensemble des partenaires. C'est ce type d'appels à projets qu'il serait souhaitable de privilégier à l'avenir.

La place des CHU dans la formation médicale pratique reste prédominante, mais s'est réduite au cours des dernières années. Deux évolutions se sont conjuguées : la poussée de la démographie étudiante induite par le relèvement historique du numerus clausus, et la prise en compte renforcée de la diversité des modes d'exercice professionnel dans la conception des apprentissages. Le système de formation médicale initiale est ainsi appelé à former de plus en plus de médecins pour un exercice de moins en moins hospitalier. Ces évolutions, à la fois subies et inscrites dans les stratégies nationales de santé, ont eu pour effet de diffuser largement les lieux de stage en dehors des seuls établissements hospitalo-universitaires et d'associer davantage les praticiens de santé non hospitalo-universitaires à l'encadrement des étudiants.

Le statut des personnels hospitalo-universitaires suscite des interrogations. Depuis 1958, le choix de la carrière hospitalo-universitaire par les éléments les plus prometteurs de leur génération a contribué significativement à l'accroissement de la qualité des soins, à l'excellence de la recherche et à la diffusion de la formation. Cependant, les souplesses ouvertes par le statut ne suffisent plus à masquer les difficultés d'exercice professionnel de ces personnels, les plus jeunes hésitant désormais à s'engager dans cette carrière. Au niveau individuel, l'exercice à haut niveau des trois missions est aujourd'hui présenté comme illusoire, la réalité pratique étant souvent celle d'une bispécialisation, voire d'une monospécialisation. Certains hospitalo-universitaires publient peu, voire pas du tout, et sont de fait des cliniciens enseignants, quand d'autres ne font que de la recherche et quasiment plus de soins ni d'enseignement. Certains professeurs de médecine ont pu faire état de séquences successives au cours de leur carrière : d'abord chercheurs, puis plutôt enseignants et cliniciens.

Au-delà des trois missions inscrites dans la loi, deux catégories d'activité se sont ajoutées au fil du temps. Le management des services ou des pôles, ou des fonctions de représentation au sein de l'établissement ou de l'université, et des activités annexes comme l'expertise auprès d'institutions publiques ou la participation à des groupes de travail réunissant différents acteurs du champ de la santé.

Cette hétérogénéité des pratiques offre une souplesse qui est appréciée par les personnels hospitalo-universitaires. Elle met cependant les établissements hospitaliers dans l'incapacité de quantifier le temps médical affecté à chacune des missions, à établir leurs coûts analytiques et à rapprocher de ces coûts les recettes Merri. Or, la nécessité juridique de connaître les coûts de la recherche et de l'enseignement, notamment au regard du droit communautaire, implique une meilleure connaissance de la répartition effective du temps médical hospitalo-universitaire. Enfin l'exercice professionnel des personnels hospitalo-universitaires apparaît peu évalué alors que les textes en vigueur le prévoient et que tous les enseignants-chercheurs sont soumis à un processus d'évaluation.

Même si l'administration fait valoir que les recrutements se font normalement au regard du nombre de postes à pourvoir, de nombreuses personnalités consultées lors de l'enquête ont exprimé leur crainte d'une perte d'attractivité du statut des personnels hospitalo-universitaires, qui reste difficilement mesurable. Des difficultés de recrutement semblent apparaître dans certaines spécialités et certains établissements, notamment dans les plus petits CHU. Les candidats aux fonctions hospitalo-universitaires perçoivent une dégradation des conditions d'exercice dans les CHU, tenant aux difficultés hospitalières, aux tensions financières et sociales, à l'accès plus difficile aux équipements de pointe - ce qui est un paradoxe - aux postes vacants, à la lourdeur de la gestion, au poids croissant des tâches administratives dans un contexte de financement à l'activité et d'exigences accrues de performance. Attirer les plus hauts potentiels implique désormais d'adapter la pratique de la triple mission.

De façon générale, la répartition des personnels hospitalo-universitaires est très inégale, avec une forte différence entre la région parisienne et la province, ou entre les spécialités médicales. La nomination des PU-PH suit une logique de reproduction à l'identique et intègre peu de rééquilibrage ou de vision prospective sur l'évolution des spécialités, alors que la médecine connaît une accélération du progrès. De même, la fixation du numerus clausus n'est pas suffisamment fondée sur des analyses prospectives : elle prend plus en compte les capacités d'accueil des universités que les besoins des territoires.

Notre troisième chapitre est plus prospectif. Depuis soixante ans, le modèle des CHU a montré son efficacité, mais son organisation actuelle doit impérativement évoluer pour répondre aux nouveaux enjeux de la recherche et de la formation médicales.

La particularité du système français est de confier aux CHU des missions de soins de haut niveau mais aussi de proximité. Les comparaisons internationales montrent qu'à l'étranger les CHU sont moins nombreux et n'ont pas systématiquement une fonction de soins de proximité, comme c'est le cas en France. Le partage des missions avec les autres établissements de santé apparaît plus précisément défini, notamment pour la formation pratique. Ainsi aux États-Unis, on dénombre environ un hôpital universitaire pour douze hôpitaux d'apprentissage. De manière similaire, les hôpitaux universitaires allemands signent des conventions avec des hôpitaux d'apprentissage qui accueillent les étudiants au cours de l'année d'études réservée à la réalisation d'un stage pratique en établissement de santé. Leurs modes de gouvernance sont divers, pouvant aller, notamment dans le champ de la recherche, jusqu'à une gouvernance purement universitaire. Le financement de la compensation des surcoûts liés à l'exercice de ces missions est supporté en général par des crédits ministériels, alors qu'il est pris en charge par l'assurance maladie chez nous.

L'évolution du positionnement des CHU doit répondre à des logiques différentes, mais complémentaires, entre le domaine de la formation et celui de la recherche. En matière de recherche biomédicale, l'organisation des CHU doit évoluer afin de rester compétitive et visible sur le plan international. Elle doit faire face à trois enjeux majeurs : créer des pôles de recherche ayant une masse critique suffisante, s'ouvrir sur d'autres disciplines dont l'apport est essentiel dans les innovations médicales et améliorer la capacité d'inclusion de patients dans des essais cliniques.

En matière d'enseignement, même si les CHU disposent d'atouts importants, leur rôle prééminent dans la formation pratique s'est banalisé avec la diffusion des lieux de stage en dehors du cadre hospitalo-universitaire. Ce mouvement de diffusion en dehors du CHU est à la fois imposé par la poussée de la démographie étudiante et souhaitable pour permettre aux étudiants d'appréhender plus largement la diversité des modes d'exercice. Dans ce domaine, la Cour ne propose pas de remettre en cause la structuration actuelle des 30 CHU, dont l'existence est liée au conventionnement avec l'une des trente-quatre universités comprenant une faculté de médecine. Elle préconise, en revanche, de mieux associer les autres acteurs de la santé - médecins libéraux, centres hospitaliers, GHT - aux parcours de formation des étudiants dans un cadre piloté conjointement par l'université et le CHU.

Le rapport propose quatre orientations générales qui portent sur l'organisation et le financement de la recherche, le pilotage national des activités hospitalo-universitaires, la coordination locale des acteurs et la problématique spécifique des corps hospitalo-universitaires. Chaque orientation est déclinée en plusieurs recommandations, qui répondent aux constats de l'enquête.

La première orientation est de favoriser dans le domaine de la recherche l'émergence de 5 à 10 CHU disposant d'une visibilité internationale en leur confiant une responsabilité de tête de réseau et en concentrant les moyens de financement. Cette orientation ne doit pas conduire à réserver à ces CHU l'activité de recherche mais à en améliorer l'organisation entre les établissements. Pour ce faire, la Cour recommande d'accroître de manière significative la part des recettes Merri réservée au financement des appels à projets et des structures de recherche. Dans l'attente de cette réforme, il est nécessaire de modifier sans délai les modalités de répartition des recettes Merri en procédant à certains réglages.

La deuxième orientation est d'améliorer le pilotage national des activités hospitalo-universitaires. Sur le plan financier, il convient de consolider dans une annexe commune à la loi de finances et à la loi de financement de la sécurité sociale les crédits budgétaires, les dépenses fiscales et les emplois affectés à la recherche biomédicale et à la formation initiale des médecins. Sur le plan de la recherche, il faut rénover le PHRC en confiant la gestion des appels à projets à l'Agence nationale de la recherche (ANR) et intégrer un représentant des CHU au bureau exécutif de l'alliance Aviesan.

Sur le plan de la formation, il faut veiller à la prise en compte des données prospectives pour améliorer la régulation démographique et territoriale des professions de santé, organiser les parcours de formation à partir des CHU vers les autres établissements de santé et la médecine de ville afin de définir des parcours de formation cohérents avec les parcours de soins, et renforcer l'évaluation des formations médicales en étendant les évaluations du Haut Conseil d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) à la formation pratique des étudiants et des internes.

La troisième orientation est d'améliorer la coordination stratégique des acteurs au niveau régional et local. La qualité de la coordination entre les CHU et les universités, ainsi qu'avec les organismes de recherche, apparaît contrastée selon les sites. Les nouvelles responsabilités des présidents d'université, ainsi que la part croissante des autres disciplines dans la recherche médicale, incitent à un renforcement des relations entre le président de l'université et les dirigeants du CHU, au-delà du lien traditionnel avec le doyen de la faculté de médecine. L'amélioration de la coordination stratégique entre le CHU et l'université passe par la mise en place d'une instance commune de concertation et par la synchronisation des calendriers de leurs contrats pluriannuels.

Parallèlement, la définition au niveau régional d'un cadre de coordination des actions menées dans le domaine de la recherche associant notamment les CHU, les universités, les organismes nationaux de recherche, l'agence régionale de santé (ARS) et les collectivités territoriales permettrait d'améliorer les grands choix stratégiques, notamment en matière d'investissement.

La quatrième orientation porte sur la gestion des corps hospitalo-universitaires. Des ajustements doivent être recherchés pour garantir l'adaptation du statut à la réalité d'aujourd'hui, avec une extension continue à des missions supplémentaires, alors même que l'exercice simultané à un haut niveau des trois premières - soins, enseignement, recherche -apparaît de plus en plus difficile.

La Cour recommande que les obligations de service des personnels hospitalo-universitaires soient définies et mises en oeuvre dans un cadre contractuel, afin de prendre en compte la diversité des missions. Sur cette base, une évaluation systématique de leurs activités, y compris managériales, doit être mise en place.

Ces constats, orientations et recommandations que la Cour est amenée à soumettre à votre commission devront être complétés par la deuxième phase des travaux consacrée au rôle des CHU dans l'organisation du système de soins.

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