Intervention de Anne-Marie Idrac

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 17 janvier 2018 à 9h30
Audition de Mme Anne-Marie Idrac haute responsable chargée de piloter la stratégie nationale sur le véhicule autonome

Anne-Marie Idrac, haute responsable chargée de piloter la stratégie nationale sur le véhicule autonome :

Je suis heureuse de retrouver des visages bien connus. Le sujet est multidimensionnel, et vous avez à juste titre évoqué les diverses facettes de l'action publique à ce sujet. Vous avez aussi déploré le manque de structuration de l'action publique : pour y répondre, le Gouvernement a souhaité mieux organiser l'approche, dans une démarche interministérielle associant le ministre de l'économie, la ministre des transports, le secrétaire d'État au numérique et le ministre de l'intérieur.

Nous entrons dans une phase importante, marquée par les Assises de la mobilité, avec l'espoir que les véhicules autonomes contribuent à une mobilité plus sûre et écologique, et la récente relance par le Premier ministre du Conseil national de l'industrie, au sein duquel les véhicules autonomes sont définis comme une mission prioritaire pour notre stratégie industrielle.

Ma première intention est de travailler dans une approche intégrée, associant les deux piliers que sont l'innovation, l'industrie et la compétitivité d'une part, et la mobilité d'autre part. Au-delà des aspects techniques, les véhicules autonomes soulèvent des sujets de société qui ne se résoudront pas en quelques mois, ni même en quelques années.

Depuis ma nomination voici quelques semaines, j'ai conduit un travail d'animation autour du projet de stratégie nationale qui définira le cadre de l'action publique. Ce document a été soumis à une consultation par le ministère des transports début octobre, impliquant une cinquantaine d'organismes, entreprises et associations, que j'ai animée et qui prend fin le 19 janvier.

Plusieurs points ont émergé de ces réunions et des rencontres que j'ai eues avec des représentants des milieux industriels, de la mobilité et de la sécurité routière. En premier lieu, les différentes communautés professionnelles expriment de fortes attentes vis-à-vis des pouvoirs publics pour fixer un cadre réglementaire, voire législatif. La ministre des transports présentera prochainement, vous l'avez dit, un projet de loi sur les mobilités au Parlement. Les acteurs réclament avant tout de la clarté et de la sécurité juridique pour leurs investissements et leur développement.

Deuxième élément, la nécessité d'intégrer les véhicules autonomes dans les approches globales de la mobilité. Les véhicules autonomes vont souvent de pair avec l'idée de véhicules partagés, de transports en commun ou communs, et la notion de covoiturage. Quelles que soient les modalités - dont certaines n'existent pas encore, notamment sur le plan juridique - il est important d'intégrer au plus vite l'arrivée des nouveaux outils dans les politiques de mobilités. Les autorités organisatrices chargées de ces politiques ont-elles à leur disposition tous les outils juridiques et techniques pour travailler à cette intégration lorsque l'on sortira du stade expérimental ?

Troisième constat, la nécessité de mieux structurer la quarantaine d'expérimentations en cours, avec des mécanismes de progression et de partage des acquis. C'est une demande consensuelle, ce qui est d'autant plus notable que les acteurs industriels et du transport public sont en compétition.

Dernier point, l'acceptabilité sociale. Certains utiliseront le terme d'éthique, mais je n'ai pas encore eu de remontées sur ce sujet, ce qui ne préempte pas la nécessaire prise en compte des questions de sécurité, de libertés, et de comportement qui émergeront avec le déploiement progressif des véhicules.

Sur la base de ces consultations, nous souhaitons publier début février un document interministériel. Je définirai, dans l'introduction de ce document, un objectif volontariste pour l'échéance de 2022, décliné en trois volets : expérimenter, ce que font déjà les autres pays ; sécuriser, au point de vue juridique et routier, même si la technique ne peut pas tout ; enfin, accompagner, en termes de formation des conducteurs, de politiques urbaines, de mobilisation des autorités organisatrices de transport pour l'intégration des véhicules autonomes dans les politiques de mobilité. Voilà ce qui pourrait définir notre stratégie d'action publique pour les prochaines années.

Quelques mots sur l'évolution des véhicules autonomes - j'emploie le terme au pluriel, ce qui a été l'un de mes premiers apports à la réflexion. En effet, il faut d'abord distinguer les véhicules industriels, opérant dans les secteurs de la logistique, la livraison ou le transport routier de longue distance. Pour le moment, la question mobilise peu les industriels et les opérateurs de mobilité en France, c'est pourquoi nous souhaitons enclencher une dynamique dans ce domaine.

En revanche, les industriels sont plus volontaristes sur les véhicules individuels, avec un rôle considérable des équipementiers. C'est une démarche de progrès graduel : de nombreux éléments de conduite autonome comme le régulateur de vitesse, l'aide au stationnement ou la mesure de distance, sont déjà installés dans nos véhicules. Nous arrivons ainsi progressivement à une conduite automatisée. La profession s'est très bien organisée : le véhicule individuel autonome fait l'objet de l'un des 34 programmes de la Nouvelle France industrielle, entièrement repris par le Conseil national de l'industrie. Un travail collectif est conduit sur la sécurité routière et le confort de conduite, avec des attentes claires : faire évoluer le cadre réglementaire pour faciliter les expérimentations et mettre en place un plan national d'expérimentation et des outils de validation pour accélérer l'homologation des véhicules, à l'image de ce qui a déjà été lancé en Allemagne.

Pour les véhicules individuels, les cas d'usage sont très variables : dans un embouteillage, sur une autoroute, sur une bretelle d'autoroute, sur une route de campagne, en cas d'accident ou de travaux. Chacune de ces situations nécessite une adaptation du véhicule, à la fois à l'environnement et au comportement des autres usagers - ceux des véhicules autonomes et des véhicules traditionnels.

Au vu de ce volontarisme des industriels, je ne partage pas l'idée d'un retard de la France dans ce domaine. Au salon des nouvelles technologies de Las Vegas, nos entreprises de construction et nos équipementiers ont, si l'on me permet l'expression, tenu la route. La coopération entre acteurs est poussée, et les attentes très claires vis-à-vis des pouvoirs publics. Nous avons l'intention d'y répondre.

Les véhicules de type navette ne relèvent pas exactement de la même approche. Il existe déjà des véhicules autonomes roulants, produits par deux constructeurs français : Navya et Easymile. C'est une expérimentation conduite en collaboration avec la RATP, Keolis et Transdev. Le transport collectif est relativement plus simple à traiter, car les cas d'usage sont plus circonscrits : rabattement d'une gare à une station de métro lorsque l'interconnexion n'est pas assurée, ou trajet d'un lieu fixe, peu dense, vers un équipement hospitalier ou industriel par exemple. Pour les trois opérateurs cités, il semble que les gains d'efficacité et la possibilité de trouver rapidement des modèles économiques viables soient réels.

L'autopartage ou le covoiturage sont à la jonction du transport individuel et du transport en commun, avec une interrogation corollaire : les flottes seront-elles gérées par des opérateurs de transport en commun, les opérateurs de véhicules à la demande que nous connaissons tous, ou les loueurs ? Divers business models sont envisageables. L'important est que les opérateurs de transport public sont très mobilisés sur la question.

Autre enjeu, faire en sorte que les expérimentations s'intègrent au plus tôt dans les politiques de mobilité locale, au-delà de l'effet de démonstration ou d'image.

La prochaine étape est la publication du cadre de l'action publique avec les trois priorités que j'ai énumérées : expérimenter, sécuriser, accompagner. Ensuite, j'ai demandé à la ministre des transports l'intégration dans la loi sur les mobilités de dispositions sur l'expérimentation et la notion de responsabilité. Nous allons enfin déployer dès cette année un programme d'expérimentation et d'action qui, je l'espère, sera soutenu par les différents organes de financement disponibles, notamment le Programme d'investissements d'avenir.

Je souhaite aussi aborder, en accord avec la ministre des transports, les questions d'éthique et d'acceptabilité sous une forme ouverte et modeste, en commençant par identifier ces questions qui pourraient émerger. Nous avons tous en tête la question « Les femmes ou les enfants d'abord ? », que les conducteurs vigilants que nous sommes ont résolue par un apprentissage culturel. En travaillant avec les associations et différents milieux professionnels, notamment celui de l'assurance, nous serons amenés à mettre en place un espace de réflexion sur l'application de ces enjeux aux véhicules autonomes.

L'Europe joue un rôle important sur la question du véhicule autonome, qui a fait l'objet d'un rapport intéressant de la commission des affaires européennes du Sénat. Le commissariat à la recherche, à l'innovation et à la science, le commissariat à l'industrie, les directions générales de la mobilité et des transports (DG MOVE) et des réseaux de communication, des contenus et des technologies (DG CNECT) sont concernés. Au mois de mai, la Commission européenne mettra en circulation une communication sur le sujet. Nous souhaitons contribuer à la réflexion européenne à travers le document détaillant notre plan d'action publique, et faire bénéficier les expérimentations françaises, qui sont de grande qualité technique et systémique, des financements européens.

Enfin, l'Europe intervient dans la réglementation. Pour le moment, le cadre juridique des véhicules autonomes est défini par le règlement n° 79 de la Commission économique pour l'Europe des Nations unies (CEE-ONU) ; mais nous souhaitons, avec les autres États membres et la Commission européenne, évaluer la possibilité pour l'Union européenne d'anticiper sur les travaux onusiens, très longs, sans pour autant remettre en cause le cadre multilatéral. Je rencontrerai les représentants de la Commission européenne dans les prochaines semaines.

Je ne rendrai pas de rapport, ce qui, au demeurant, ne m'a pas été demandé : ma mission est avant tout un travail d'animation consistant à assurer l'interface entre les acteurs de l'industrie et de la mobilité, en intégrant de plus en plus les collectivités territoriales à la réflexion - sans oublier les sujets d'infrastructure qui apparaissent peu, à ce stade, dans le dialogue, les acteurs du numérique et des télécoms, et la société civile sur le terrain. Il y a sur les réseaux sociaux, dont je suis une adepte, des animations très intéressantes sur le véhicule autonome et plus généralement le véhicule évolutif, intégrant la connectivité et l'électricité. Je me félicite que vous ayez mis ces sujets passionnants à l'ordre du jour de votre commission.

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