Nous aurons besoin d'infrastructures ad hoc dans certains cas, mais pas systématiquement. Aujourd'hui, c'est au véhicule particulier, compte tenu de la diversité des cas d'usage, de s'adapter à l'infrastructure, et non le contraire.
Dans la perspective des véhicules autonomes, il conviendrait surtout de renforcer les interactions entre gestionnaires routiers et constructeurs. Ainsi, la qualité du marquage au sol est très importante, notamment pour la conduite sur voie ouverte. L'approche des péages ou la signalétique des travaux nécessiteront un soin particulier et une collaboration étroite dans la clarification des informations nécessaires aux véhicules. Il faut ainsi trouver la bonne combinaison entre la signalisation verticale et horizontale, la connectivité, les cartographies numériques qui donnent des informations au conducteur aujourd'hui, au véhicule demain, et définir les priorités dans l'information dont a besoin le véhicule.
Pour le transport public, ces dimensions seront intégrées dès le départ, avec des types de véhicules bien identifiés, un parcours prédéfini, de la connectivité et de la supervision à travers le contrôle-commande. De plus, l'infrastructure sera probablement plus spécifique pour le transport en commun, donc équipée en conséquence.
Dans le cas du véhicule individuel, il n'y aura pas nécessairement d'infrastructure dédiée ; il faudra travailler sur les cas d'usage. Nous aurons des situations mixtes. Or ces éléments de réflexion n'ont pas encore été intégrés dans le débat. En tant que représentants des territoires, vous vous interrogez naturellement sur ce sujet. L'infrastructure fera partie du modèle économique et les expérimentations, notamment à Rouen et Saclay, en tiendront compte.
L'action publique a vocation à mutualiser les enseignements des expérimentations et à produire le cadre réglementaire pour la sécurité et le déploiement des services. L'approche tramway et métro, que je connais bien pour avoir présidé la RATP et été à l'origine de l'automatisation du métro parisien, présente des enjeux équivalents en termes de sécurité.
Sur les sujets internationaux, il convient de distinguer deux niveaux. La réglementation technique des véhicules est élaborée au niveau international par la CEE-ONU. J'ai découvert qu'il y avait 140 règlements en vigueur, dont une partie touche au sujet qui nous réunit. L'Union européenne fixe, de son côté, les modalités d'homologation ou de réception en vue de la mise sur le marché. À ce niveau sont également repris un certain nombre de règlements techniques de la CEE-ONU.
La France propose une réglementation conceptuellement différente. Aujourd'hui, les règles portent sur la latéralité, l'accélération et le freinage, le longitudinal, le champ de vision. Il conviendrait de mettre en place une réglementation horizontale, conçue en fonction des cas d'usage : ainsi, sur une autoroute, les éléments les plus importants sont la latéralité, l'accélération et le freinage. Cette approche serait plus adaptée à la réalité des situations. Dans ce processus long et complexe, nous souhaitons que l'Union européenne avance, dans un contexte de forte compétition mondiale. Aux États-Unis, ces démarches relèvent des États et non du niveau fédéral, ce qui engendre une concurrence entre eux pour attirer les meilleures technologies.
S'agissant des infrastructures et, plus spécifiquement, de l'équipement des territoires ruraux, il semble effectivement difficile, à court terme, d'envisager, monsieur Gold, une utilisation étendue des véhicules autonomes sur de petites routes de campagne. Peut-être est-ce d'ailleurs préférable en termes de sécurité routière... Certains usages pourraient néanmoins intéresser ces territoires : l'accompagnement des habitants vers les gares et les hôpitaux ou le développement du covoiturage. Les autorités organisatrices des transports au sens de la loi du 10 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs, dite Loti, ont un rôle essentiel à jouer pour rendre effectif l'usage des véhicules autonomes dans les territoires. Pourtant, elles sont inexistantes dans de trop nombreuses collectivités. La ministre des transports s'attache avec raison à renforcer la couverture du territoire national en la matière ; aux élus locaux également de se mobiliser, d'autant que la taille de l'autorité organisatrice importe peu. Certaines expérimentations demeurent en effet modestes ; elles se limitent parfois à la circulation de véhicules autonomes sur un campus ou dans une zone d'activité. Je reconnais toutefois que leur mise en place reste plus aisée en ville, où peuvent facilement être installés des itinéraires balisés pour les véhicules autonomes.
Vos interrogations portent également sur les assurances et régimes de responsabilité applicables en cas de délégation partielle de la conduite. Je vous rappelle à cet égard que la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a prévu les expérimentations en matière de véhicule autonomes, en autorisant, dans son article 37, le Gouvernement « à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin de permettre la circulation sur la voie publique de véhicules à délégation partielle ou totale de conduite, qu'il s'agisse de voitures particulières, de véhicules de transport de marchandises ou de véhicules de transport de personnes, à des fins expérimentales, dans des conditions assurant la sécurité de tous les usagers et en prévoyant, le cas échéant, un régime de responsabilité approprié ». L'ordonnance a été publiée en 2016 mais nous sommes toujours en attente du décret. Or, il est apparu il y a peu que cette base légale s'avère insuffisante pour traiter de la responsabilité en cas de vigilance partielle du conducteur ou de délégation partielle de la conduite, y compris dans le cadre des expérimentations. Dans sa version actuelle, le code de la route indique que « tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d'exécuter commodément et sans délai toutes les manoeuvres qui lui incombent » : le législateur devra donc adapter cette disposition au cas particulier des véhicules autonomes. J'estime pour ma part que le titulaire de l'autorisation d'expérimenter devrait être responsable, mais la loi devra le préciser. Les assureurs sont bien entendu parties prenantes des consultations que nous menons ; aussi surprenant que cela puisse vous paraître, ils n'ont nullement soulevé la question de la responsabilité, estimant que la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, dite loi Badinter, s'applique à ces nouveaux véhicules. Mais peut-être des difficultés surgiront-elles ultérieurement ?
Vous m'avez également demandé pour quelle raison je n'avais pas été nommée responsable spéciale mondiale. Je vous réponds modestement : par modestie... Plus sérieusement, l'Union européenne est en pointe sur le dossier du véhicule autonome ; elle a lancé différents travaux auxquels participent, je vous l'indiquais précédemment, plusieurs commissaires et directions générales. Nombre d'États membres ont engagé des expérimentations, la Suède avec Volvo notamment comme le rappelait M. Marchand, ou des partenariats, à l'instar de la France qui, aux côtés de l'Allemagne et du Luxembourg, approfondit des cas d'usage en fonction des habitudes de conduite nationales.
Plusieurs questions ont porté sur les échéances. Je n'en ai pas, n'étant pas tenue à la publication d'un rapport. L'État lui-même n'en a pas fixé pour le lancement de véhicules autonomes dans tel ou tel territoire ou pour un usage particulier. Le développement de ce nouveau mode de transport revient aux industriels, aux opérateurs et, bien sûr, aux autorités organisatrices. Dès lors, lorsque j'évoquais l'année 2022, il ne s'agissait nullement d'une échéance qu'aurait définie l'État en l'accompagnant d'un plan et d'une programmation budgétaire ad hoc, mais d'une éventualité, qui demeure fonction de la mobilisation des industriels et des opérateurs, soutenue par une volonté forte des pouvoirs publics, auxquels il revient d'accompagner et de sécuriser juridiquement le développement du véhicule autonome.
Les projets américains et britanniques, par exemple, limitent de la même manière le rôle des pouvoirs publics à un soutien aux acteurs privés. En France, cette stratégie fonctionne : les partenariats industriels se multiplient ainsi entre équipementiers et acteurs du numérique ; à Rouen, différents constructeurs automobiles coopèrent au sein de l'expérimentation. La nécessaire complémentarité des acteurs industriels pose d'ailleurs la question de la chaîne de valeur entre équipementiers, constructeurs automobiles, acteurs du numérique et de la cartographie, gestionnaires de flottes et motoristes et, partant, celle des compétences et des emplois, que vous avez évoquée, monsieur Gontard. Ceux-ci sont essentiellement concentrés, à ce stade de développement, sur le codage et la gestion des données mais les besoins pourraient évoluer, raison pour laquelle le Gouvernement a demandé, lors du dernier Conseil national de l'industrie, une projection aux industriels afin d'adapter, autant que faire se peut, les formations aux besoins. Il est en effet nécessaire de rester vigilant à cette adéquation, afin qu'une insuffisante qualification de la main-d'oeuvre ne constitue pas à terme un élément de blocage. Certains métiers seront amenés à se développer, notamment ceux relatifs aux éléments techniques et numériques des véhicules et des infrastructures ou à la régulation et à la supervision des flottes de véhicules partagés - j'ai pu le constater récemment en m'entretenant à Vincennes avec les personnels de supervision de la RATP -, tandis que d'autres, en particulier les chauffeurs de taxi et les conducteurs de transports en commun, devront engager de profondes adaptations. Les opérateurs, préoccupés à juste titre par la préservation du lien avec leurs clients, s'attachent à maintenir des effectifs pour accompagner les voyageurs, notamment les personnes âgées ou à mobilité réduite, dans les navettes autonomes sans conducteur. Ces nouveaux emplois, dont les compétences requises font actuellement l'objet d'une réflexion, permettent à la fois d'assurer la sécurité des voyageurs et de garantir une expérience positive de l'usage d'un véhicule autonome : la réussite du développement de ce mode de transport dépend de cette double garantie.