Intervention de Jean-Marc Janaillac

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 18 janvier 2018 à 11h15
Audition de M. Jean-Marc Janaillac président-directeur général du groupe air france-klm

Jean-Marc Janaillac, Président-directeur général du groupe Air France-KLM :

Madame Bonnefoy, depuis 2005, l'inflation a augmenté de 12 %, les redevances de l'aéroport Charles-de-Gaulle de 36,7%, alors que celles de l'aéroport d'Amsterdam ont diminué de 4 %...

Je me suis déjà exprimé sur la privatisation d'Aéroports de Paris, après avoir envoyé mes réflexions au ministre concerné et au Premier ministre. Le cahier des charges d'une éventuelle privatisation doit faire la part des choses entre le souci de l'État de récupérer des capitaux à investir dans d'autres secteurs et une vision à moyen terme du secteur aérien français. L'organisation actuelle pose problème, en raison de la présence de deux caisses : une caisse, régulée, finance les activités aéroportuaires, et est abondée par les compagnies aériennes. La deuxième caisse est abondée par les bénéfices réalisés par les commerces et les parkings de l'aéroport, et Aéroports de Paris peut l'utiliser comme bon lui semble. Elle finance notamment des opérations de développement à l'international. Air France tient à ce que la plateforme aéroportuaire se développe et que le coût des redevances soit maîtrisé.

Dans mes précédentes fonctions, j'ai travaillé avec l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), qui fonctionne efficacement et de manière responsable. Il ne m'appartient pas de choisir l'autorité de régulation pour l'aérien...

La sécurité est un ensemble de facteurs : les avions deviennent de plus en plus fiables, grâce à l'informatique embarquée. Toutes les compagnies font un effort de formation des personnels navigants et techniques pour éviter au maximum les turbulences. Certes, il reste des concours de circonstances ou des événements extérieurs pouvant aboutir à des situations dramatiques, mais même les compagnies de pays n'accordant pas beaucoup d'importance historiquement à la sécurité améliorent leur organisation. Il y a une véritable prise de conscience.

Nous avons peu d'Airbus A 380 car les Boeing 787 et les A 350 ont un coût du siège par kilomètre inférieur aux A 380. Notre compagnie est donc moins incitée à les utiliser : il faudrait remplir l'avion pour qu'il soit rentable. C'est intéressant uniquement dans des aéroports qui ont peu de slots - où les compagnies ne peuvent faire que peu de vols.

Nous sommes très favorables à la réalisation du nouveau terminal 4 de l'aéroport Charles-de-Gaulle, car le trafic s'accroît. C'est aussi le fondement de notre plan stratégique Trust together, de retrouver une dynamique. Pour les prochaines années, nous prévoyons une croissance des vols long-courriers entre 3,8 et 4,5 %, chiffre relativement faible mais largement supérieur aux 0 à 1% connus ces dernières années. Nous souhaitons l'ouverture d'un nouveau terminal sur l'emprise foncière de l'aéroport Charles-de-Gaulle, et non la création d'un troisième aéroport parisien afin d'éviter toute dispersion. Sur l'aéroport Charles-de-Gaulle, 45% de notre trafic est en correspondance, que ce soit avec des longs ou des moyens courriers. Si nous éclatons ces flux, l'efficacité du hub sera remise en cause et le modèle économique d'Air France fragilisé. Cela n'aidera pas au développement d'un transporteur français fort à l'international. Dans ce cas, certaines lignes ne seront plus rentables et seront fermées. Certes, des liaisons directes peuvent être réalisées à partir d'autres aéroports, mais nous avons besoin de cette unité.

M. de Nicolaÿ, Ryanair a annoncé la création de bases en France. Cette compagnie, très présente en France, comme à Beauvais ou à Marseille, n'a pas, pour l'instant, d'équipages basés en France. La justice française avait estimé que cela n'était pas possible car elle payait ses cotisations sociales en Irlande - soit 10 %, alors qu'elles sont de 46 % en France... La compagnie voudrait revenir dans le droit chemin, nous l'attendons et sommes prêts à affronter sa concurrence si elle respecte les mêmes règles sociales que nous.

À l'échelle mondiale, il semble impossible de former suffisamment de pilotes pour répondre aux besoins. C'est difficile à comprendre. En France, nous n'avons aucun souci de recrutement de pilotes, grâce à des conditions d'emploi favorables. Nous recrutons de nombreux pilotes de Ryanair ou de compagnies du Golfe. Mais il y a quatre ans, nous avons signé un accord stipulant que sur dix pilotes recrutés par Air France, trois devaient provenir de Hop. Cette règle possible pour 100 recrutements annuels est désormais plus compliquée avec 200 recrutements annuels... Les compagnies asiatiques ont davantage de difficultés à recruter.

Les avions moyen-courrier qui font la liaison avec Israël font aussi d'autres liaisons. Prévoir de les équiper avec des écrans ne serait pas très économique, mais nous trouvons d'autres solutions. Sur Joon, nous permettons aux passagers de télécharger une application qui leur permet de visionner des séries ou des films.

Actuellement, nous n'observons pas de différence particulière entre les aéroports publics et les aéroports privatisés.

Monsieur Chevrollier, le nouveau plan à moyen terme concerne à la fois Air France et KLM. Il est difficile de trouver un nom compréhensible à la fois par les Français et les Néerlandais, d'où l'utilisation de l'anglais. Le dialogue social au sein des compagnies aériennes est difficile, mais nous ne sommes pas les seuls à y être confrontés. Nous avons signé un accord avec les pilotes pour la création de Joon, et un accord collectif avec le personnel navigant pour les prochaines années. Malgré des sujets de friction, le dialogue est constant. La semaine dernière, nous avons réuni l'ensemble des organisations syndicales pour préparer les assises du transport aérien, les écouter et échanger pour trouver des positions communes.

Les anciens Boeing 777 et les A 340 sont en cours de remplacement par des Boeing 787 et des A 350 pour les long-courriers. Nous allons lancer un appel d'offres pour renouveler une partie de la flotte de Hop, KLM et Transavia auprès des constructeurs français, canadien, américains et brésilien, afin de trouver la solution au meilleur coût, grâce à l'émulation. Le cahier des charges sera défini au premier trimestre, avant une décision à la fin de l'année.

Il y a deux mois, j'ai inauguré notre nouvelle agence commerciale à l'aéroport de Nantes-Atlantique. Même si nous passons de 40 à 10 agences commerciales, elles seront plus visibles et utiliseront davantage de nouvelles technologies, pour un meilleur conseil et une meilleure image. J'ai ainsi rencontré la maire de Nantes et le président de la chambre de commerce et d'industrie. Il était essentiel que l'État décide rapidement du sort de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, car les conditions d'accueil des passagers de l'aéroport de Nantes sont inacceptables. À moyen terme, nous vivrons avec un aéroport rénové. Les efforts doivent porter davantage sur l'aérogare que sur la piste. Le trafic augmente fortement, et Air France ouvre des lignes internationales. À mon arrivée, nous avons ouvert la ligne Nantes-Hambourg, notamment pour les salariés d'Airbus. Nantes est la deuxième base de Transavia après Orly, avec trois avions positionnés. Nous voulons continuer à investir là-bas.

Monsieur Bignon, le fret est une activité importante, qui se restructure fortement. Il y a une vingtaine d'années, Air France-KLM disposait d'une vingtaine d'avions tout cargo. Nous n'en avons plus que trois et demi aujourd'hui, en raison de la forte concurrence du transport maritime et d'un taux d'occupation faible, de 50%. Désormais, la nouvelle génération des Boeing 777 permet d'embarquer un gros volume de fret dans des avions de ligne. Nous réservons le tout cargo à des liaisons spécifiques. Depuis six mois, la situation s'améliore : les volumes transportés en fret augmentent et les prix unitaires se réduisent.

Oui, nous sommes intéressés par le modèle appliqué au transport maritime, afin de réduire le coût des cotisations sociales. Mais le nombre de personnes concernées et les niveaux de rémunérations ne sont pas du même ordre...

Nous sommes très attentifs à l'environnement : la consommation de carburant et les rejets de dioxyde de carbone sont les facteurs les plus importants. Nous avons un plan dédié et une directrice de l'environnement au sein d'Air France, et de même chez KLM, qui travaillent avec l'ensemble des services de la compagnie sur le bruit, le recyclage de la nourriture - délicat à bord en raison des questions sanitaires - et de l'eau, dans les avions et sur les installations terrestres. Notre rapport annuel vous fournira des informations plus précises sur les actions engagées depuis plusieurs années.

J'ai été surpris de l'importance de l'intelligence artificielle à mon arrivée chez Air France-KLM, groupe en avance par rapport à ses concurrents sur le digital. Le groupe est très présent dans les médias sociaux, comme WeChat en Chine, et on peut désormais acheter son billet Air France-KLM sur WhatsApp. J'ai découvert une équipe de recherche et développement rassemblant des personnes très brillantes qui travaillent sur l'intelligence artificielle. Cette équipe a développé en interne le système de revenue management Carmin, très performant, et a travaillé sur des outils de maintenance prédictive qui permet de déterminer, à partir d'informations envoyées par les avions, après combien d'heures de vol il faudra remplacer certaines pièces. Le travail au sein d'une équipe néerlando-française est particulièrement efficace dans ce domaine, car les ingénieurs et les mathématiciens français sont excellents, tandis que les Néerlandais sont plus innovants, ce qui donne de très bons résultats.

Monsieur Mandelli, nous développons des liaisons entre Nantes et d'autres villes étrangères. Le TGV affaiblit nos lignes aériennes s'il arrive à Montparnasse, mais pas à Roissy. Madame Cartron, le trafic aérien entre Paris et Bordeaux s'est réduit de 30%, passant de 14 à 10 vols vers Orly par jour. Si le trafic se réduit encore, nous ne pourrons maintenir ces 10 vols quotidiens, mais la ligne vers l'aéroport Charles-de-Gaulle, avec 6 vols par jour, n'est pas affectée car elle concerne surtout des vols en correspondance avec des longs-courriers. Sur la ligne Paris-Strasbourg, nous avions 16 liaisons quotidiennes, 12 vers Orly et 4 vers Charles-de-Gaulle. Désormais, nous n'en avons plus. Nous avions 35 vols par jour de Marseille à Orly, nous en avons désormais 14. Le trafic est important entre Bruxelles et l'aéroport Charles-de-Gaulle par le Thalys qui bénéficie aux vols long courrier. Nous essayons de développer nos vols vers l'étranger.

Monsieur Jacquin, il est difficile d'avoir une vision à long terme ; cela dépend à la fois de la demande et de l'offre. La demande augmentera dans plusieurs pays en croissance économique - Chine, Inde, Brésil - dont les habitants auront davantage envie ou besoin de voyager. Ces pays connaissent une augmentation impressionnante du nombre de voyageurs, tant dans leur zone géographique que pour les longs courriers. Tous leurs habitants souhaitent se rendre un jour en Europe ou à Paris... La croissance de l'offre dépend des constructeurs. Airbus et Boeing travaillent sur des avions électriques ou des avions dont la consommation énergétique est plus neutre. Cela prendra une dizaine d'années, en commençant par des avions hybrides, et des petits avions, avant de concerner les gros porteurs. À l'heure actuelle, il faudrait remplir un Boeing 787 ou un A 350 de batteries électriques pour réussir à les faire décoller.

Nous assistons également au retour des avions supersoniques, prônés par Elon Musk - qui développe aussi l'Hyperloop, moyen de déplacement par tube - et des drones téléguidés pourraient transporter des passagers sur des petites distances. Nous sommes à l'aune de bouleversements considérables qui modifieront profondément la situation d'ici 25 ans...

Madame Tocqueville, la sécurité relève de la responsabilité des autorités de l'État, au travers des forces de police présentes dans et autour des grands aéroports. Les agents des compagnies aériennes et des aéroports sont contrôlés par les gendarmes. Auparavant, nous risquions des prises d'otages classiques ; le 11 septembre 2001 a montré la possibilité d'attaques suicides. Désormais que les cockpits des avions sont fermés, le risque s'est déplacé dans les aéroports, comme l'a montré l'attentat de Bruxelles. Lorsque la sécurité est insuffisante, nous intervenons dans certains aéroports étrangers en recrutant des agents de sécurité privés pour un contrôle supplémentaire que nous maîtrisons - ce qui est parfois difficile à gérer avec les autorités locales.

Madame Préville, je comprends votre mécontentement et vous présente mes excuses au nom de la compagnie Hop. La compagnie est dans une situation compliquée : de nombreux pilotes sont partis vers Air France, rendant difficile l'organisation du planning. Hop a fusionné trois compagnies disparates avec des flottes d'avions différents : les pilotes ne sont parfois pas certifiés sur tous les avions... Les avions sont généralement positionnés sur les aéroports de province pour effectuer les premiers vols tôt à Paris, mais la maintenance est réalisée à Paris. Il n'y a pas de base de Hop en province. Certains avions fonctionnent très bien, d'autres moins. La direction générale de Hop a mis en place un plan industriel pour un meilleur suivi opérationnel des avions et forcer le constructeur à mettre davantage de moyens. Nous avons mis en place davantage d'équipes volantes pour résoudre les difficultés. Je vous le concède, cette situation est anormale. Sachez que les règles européennes imposent une compensation sur le prix du billet en cas de retard ou d'annulation qui n'est pas due à un phénomène climatique ; je regrette qu'on ne vous l'ait pas dit plus clairement...

Nous avons créé Joon pour des raisons économiques, afin d'avoir une meilleure structure de coûts et lutter plus efficacement contre nos concurrents. Nous aurions pu créer un Air France bleu, blanc ou rouge ou un Air France bis, mais avons procédé différemment pour des raisons sociales et après une enquête auprès de nos clients. L'image d'Air France n'est pas assez positive chez les jeunes adultes par rapport au reste de la population ; nous souhaitions modifier cette image. Le coût de cette compagnie est inférieur, l'image correspond davantage à la façon de vivre de la jeune génération. Nous y testons aussi de nouvelles idées de services, de prix, de marketing, comme l'application de téléchargement de films et séries que je vous citais, qui est très appréciée. Il n'y a désormais plus de repas gratuits sur les liaisons européennes. Nous innovons également en proposant des tarifs aller simple et non seulement aller-retour. Monsieur le président, rassurez-vous, il n'est pas interdit aux plus de 35 ans de voler avec Joon ; vous bénéficierez de leur accueil serviable et efficace.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion