Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui l’une des plus importantes réformes du droit du travail menées ces trente dernières années, une réforme qui devrait redonner confiance à nos concitoyens dans la capacité de notre pays à se moderniser et à restaurer sa compétitivité.
L’habilitation donnée par le Parlement au Gouvernement, au mois d’août dernier, pour procéder par ordonnances au renforcement du dialogue social visait quatre objectifs principaux : donner une place centrale à la négociation d’entreprise, mieux assurer la représentation du personnel, sécuriser les licenciements et adapter les règles de prévention des risques professionnels.
Le Sénat avait imprimé sa marque sur la loi d’habilitation, notamment en autorisant les employeurs à organiser un référendum pour valider un projet d’accord collectif, en garantissant la transparence des comptes de la nouvelle instance unique de représentation du personnel, ou encore en imposant un périmètre national pour apprécier la cause économique d’un licenciement quand l’entreprise appartient à un groupe.
Moins de trois mois après le dépôt du projet de loi d’habilitation à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a adopté, le 22 septembre 2017, cinq ordonnances denses et techniques qui traduisent ces orientations, à l’issue d’une concertation atypique, mais approfondie, avec les partenaires sociaux.
Les députés ont adopté, le 28 novembre dernier, le projet de loi de ratification, assorti d’une cinquantaine d’amendements n’ayant pas dénaturé l’équilibre général des ordonnances. La plupart d’entre eux ont apporté des précisions pertinentes, ont corrigé des imperfections, inévitables en raison de l’ampleur du chantier et des délais imposés aux services du ministère, ou ont enrichi les dispositifs, par exemple en relevant la limite d’âge pour les médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
Il appartient désormais au Sénat de se prononcer sur la ratification des ordonnances afin de leur donner valeur législative.
Lors de l’examen du projet de loi de ratification, le 20 décembre dernier, la commission des affaires sociales a résolument approuvé la philosophie des ordonnances, qui s’inscrivent dans une tendance de fond trouvant son origine dans la position commune du 16 juillet 2001, au travers de laquelle les partenaires sociaux appelaient à développer la négociation collective.
Cet appel a trouvé sa traduction dans plusieurs textes, comme la loi du 4 mai 2004, qui a permis aux accords d’entreprise de déroger aux accords de branche, ou, plus récemment, la loi Travail du 8 août 2016, qui a donné la primauté à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour fixer les règles en matière de durée du travail, de congés et de repos.
Surtout, ces ordonnances reprennent et approfondissent des propositions défendues de manière constante par la majorité sénatoriale depuis 2014. Je pense notamment à la simplification des accords de flexisécurité, à la modulation dans le temps des effets des décisions du juge, à la suppression des contrats de génération, à la rationalisation des institutions représentatives du personnel, ou encore à la simplification du compte personnel de prévention de la pénibilité. L’ensemble de ces mesures contribue à répondre aux difficultés auxquelles chacun d’entre nous a été sensibilisé, dans son département, au contact des acteurs économiques.
Dès lors, nos travaux ont été guidés par quatre principes, qui avaient déjà servi de fil conducteur au Sénat lors de l’examen du projet de loi d’habilitation : la simplification des normes, le renforcement de la compétitivité de l’économie, la prise en compte des spécificités des petites entreprises et la protection des droits fondamentaux des salariés.
Madame la ministre, la commission a adopté trente-sept amendements, dont trente-six sur mon initiative. Si certains d’entre eux tendaient à corriger des erreurs de rédaction ou des malfaçons, d’autres visaient à revenir sur certains choix du Gouvernement. Le Parlement a toute latitude pour modifier le présent projet de loi, quitte à priver de base légale les textes réglementaires d’application des ordonnances, qui ont tous déjà été publiés, ou à les modifier.
Depuis nos travaux communs sur la loi d’habilitation, j’ai établi une relation de confiance avec Mme la ministre et son cabinet, ce dont je me félicite. Pour autant, je suis en désaccord avec certains des arbitrages rendus, qui, sur plusieurs points, ne correspondent pas à la position constante de notre assemblée, ou qui, sur d’autres, me sont apparus trop éloignés de l’habilitation que nous avons conférée au Gouvernement. Nous les avons donc modifiés, et j’espère pouvoir convaincre le Gouvernement, ainsi que nos homologues de l’Assemblée nationale, du bien-fondé de la position du Sénat d’ici à la commission mixte paritaire.
Ainsi, pour favoriser la négociation collective, nous avons approuvé la création d’un accord unique et simplifié de flexisécurité, que nous avons baptisé « accord de performance sociale et économique ». Les leçons des échecs précédents en la matière semblent avoir été tirées, bien que le volet relatif à l’accompagnement des salariés licenciés à la suite de leur refus d’appliquer un tel accord mériterait, à mes yeux, d’être amélioré.
De plus, nous avons facilité la conclusion d’accords collectifs avec les représentants élus du personnel dans les entreprises dépourvues de délégué syndical.
Enfin, fidèles à la position exprimée par le Sénat depuis 2016, nous avons supprimé l’accélération de la généralisation des accords majoritaires, considérant que la date du 1er mai 2018 retenue dans l’ordonnance pourrait freiner la conclusion d’accords d’entreprise.
La commission a également approuvé la fusion des institutions représentatives du personnel au sein d’une structure unique, le comité social et économique, le CSE. Il lui a toutefois semblé important de renforcer les obligations de celui-ci en matière de transparence financière, obligations qui s’appliquent déjà depuis quatre ans aux comités d’entreprise grâce à la persévérance de notre collègue Catherine Procaccia. Nous avons ainsi souhaité que tous les CSE qui remplissent au moins deux des trois critères suivants – employer au moins 50 salariés, avoir des ressources dépassant 3, 1 millions d’euros, disposer de plus de 1, 55 million d’euros de patrimoine – soient dotés d’une commission des marchés, chargée de fixer des critères objectifs pour choisir ses prestataires. Les partenaires sociaux de l’entreprise ne pourront plus convenir, par accord, de s’en dispenser.
De même, nous avons rendu obligatoire la formation de tous les membres du CSE aux problématiques de santé et de sécurité au travail, formation qui pouvait être restreinte aux membres de la commission dédiée, car c’est l’instance elle-même qui reste compétente pour rendre un avis à l’employeur sur ces sujets.
Soucieuse de sécuriser les relations de travail, la commission a fixé à trois mois le délai dont dispose le juge pour se prononcer en cas de recours en nullité contre un accord collectif ou de contestation d’un avis du médecin du travail. Elle a précisé que toute fraude rendait caduque l’utilisation d’un périmètre national pour apprécier, au sein d’un groupe, la cause économique d’un licenciement. En outre, s’agissant de la rupture conventionnelle collective, elle a autorisé les entreprises dépourvues de CSE à y recourir et a précisé que l’administration, quand elle examine le volet relatif à l’accompagnement et au reclassement des salariés qui acceptent cette rupture, devait seulement exercer un contrôle minimum, et non d’opportunité.
Enfin, nous avons veillé à ce que les ordonnances n’outrepassent pas le champ des habilitations. C’est pourquoi nous avons refusé toute dérogation à l’interdiction d’effectuer plus de trois mandats consécutifs de représentation du personnel, sauf dans les entreprises de moins de 50 salariés. Nous avons par ailleurs supprimé les observatoires départementaux d’analyse et d’appui au dialogue social, ainsi que les règles relatives à la durée du mandat des membres de la Commission nationale de discipline des conseillers prud’hommes, ces sujets n’ayant jamais été évoqués lors de l’examen du projet de loi d’habilitation.
La réforme du code du travail qui est sur le point d’achever son parcours législatif a d’ores et déjà eu un effet très favorable sur l’image de notre pays auprès des investisseurs étrangers et contribuera indéniablement à créer un climat favorable à l’emploi. Il appartient désormais aux partenaires sociaux de se saisir des nombreuses souplesses qu’elle leur offre, et au Gouvernement de les accompagner en ce sens. Au vu des enjeux, je ne doute pas qu’ils se mobiliseront dès maintenant afin de remporter la bataille de l’emploi et de restaurer la compétitivité de l’économie française. Il va sans dire que le Parlement se montrera très attentif, dans les mois à venir, à l’évaluation de ces dispositions, mais également à la stabilité de ce nouveau cadre juridique : c’est à ce prix que l’atmosphère de confiance actuelle pourra être pérennisée.