En ce qui concerne le marché du travail, le projet de loi de ratification des ordonnances que nous examinons aujourd’hui soulève la grande question suivante : ces ordonnances vont-elles bouleverser, à tout le moins changer substantiellement, le fonctionnement du marché du travail ? S’agit-il d’une véritable révolution, pour reprendre les mots du Président de la République, ou d’un faux-semblant de réforme ? Ni l’un ni l’autre, selon nous.
Nous pensons que, sous réserve de l’adoption des amendements judicieux déposés par le président de la commission des affaires sociales, un certain nombre de mesures vont dans le bon sens, mais que de nombreuses lacunes demeurent et que ce projet manque d’ambition.
Commençons par ce qui va dans le bon sens. Je ne reviendrai pas sur les propositions de la commission des affaires sociales, qu’Alain Milon a présentées de façon très détaillée. J’évoquerai plutôt les mesures de sécurisation, en particulier de la rupture du contrat de travail – à condition que la jurisprudence ne vienne pas contrecarrer vos efforts, madame la ministre –, ou de simplification, notamment la fusion des instances de représentation du personnel pour les entreprises de plus de 50 salariés et la création du référendum pour les petites entreprises. Ces mesures représentent à nos yeux des avancées positives.
J’en viens aux lacunes, qui sont graves. Notre groupe les a souvent soulignées.
Les 35 heures demeurent. Selon une étude récente, depuis 2000, le coût du travail a augmenté de 52 % en France et de seulement 36 % en Allemagne. C’est l’une des causes de l’affaissement de la compétitivité française.
Les seuils sociaux demeurent également. Vous durcissez le seuil de cinquante salariés. Les entreprises devront payer plus d’heures de délégation. Du reste, si Bruno Le Maire a indiqué voilà quelques jours qu’il souhaitait entreprendre une réforme de ces seuils, c’est bien que les ordonnances ne la mettent pas en place.
Enfin, concernant le plancher de 24 heures par semaine pour le travail à temps partiel, nous aurions apprécié un peu plus de souplesse : de nombreux demandeurs d’emploi auraient pu en profiter.
Il est un point sur lequel je tiens à insister, car je n’en ai jamais entendu parler pour le moment. À mon sens, c’est le point aveugle de la réforme ; c’est en tout cas le critère selon lequel le Président de la République voulait que l’on juge les ordonnances : la décentralisation du dialogue social. Emmanuel Macron avait raison de proclamer que le dialogue social devait désormais se déployer dans l’entreprise plutôt qu’à l’échelon de la branche. La différence de compétitivité entre notre économie et celles des pays de l’Europe du Nord tient précisément au fait que, dans ces pays, l’entreprise est le lieu du dialogue social. En France, les conventions collectives sont souvent très protectrices pour ceux que l’on appelle les insiders, c’est-à-dire ceux qui sont déjà protégés. Malheureusement, elles n’aident pas les plus fragiles à retrouver du travail et n’incitent pas les entreprises à embaucher des jeunes.
Les ordonnances que vous nous proposez, madame la ministre, respectent-elles vraiment la parole présidentielle ? Je ne le pense pas, pour deux raisons.
D’une part, les ordonnances, notamment la première d’entre elles, consacrent la primauté de l’accord de branche sur l’accord d’entreprise dans des domaines très importants, encore plus nombreux qu’avant. Plutôt qu’à une décentralisation du dialogue social à l’échelon de l’entreprise, on assiste donc à sa recentralisation au niveau de la branche dans treize domaines fondamentaux. Que reste-t-il à négocier librement dans l’entreprise ? Vous mettez constamment en avant les primes, madame la ministre, en particulier les primes d’ancienneté. Or, même sur ce sujet, si je me réfère à l’accord de branche tripartite que vous avez conclu le 4 octobre dernier avec le secteur du transport, les primes d’ancienneté seront désormais régies par la convention collective – c’est en tout cas notre lecture de l’accord – plutôt que négociées librement au sein des entreprises.
D’autre part, quel que soit le gouvernement en place, il est dans la pratique constante de vos services, madame la ministre, notamment de la direction générale du travail, de recourir au mécanisme d’extension des conventions collectives. Celles-ci couvrent 95 % des entreprises : c’est une spécificité française, le record des pays occidentaux ! Une convention ne s’applique en principe qu’aux entreprises adhérentes, mais, par ce mécanisme d’extension, elle peut finir par concerner toutes les entreprises, même celles qui ne sont pas adhérentes. Si votre ministère renonçait à ce mécanisme d’extension généralisée, cela marquerait une véritable rupture et permettrait au paritarisme de se réorganiser profondément. Cela inciterait en outre les partenaires sociaux à améliorer la qualité des conventions collectives qu’ils élaborent, afin d’amener davantage d’entreprises à y adhérer. Les choses pourraient alors réellement changer.
Telles sont les remarques que je souhaitais formuler rapidement, à l’orée de ce débat. Je vous fais confiance, madame la ministre, pour écouter les sages avis du président de la commission. Les amendements qu’il a déposés sont importants et le sort qui leur sera réservé déterminera notre vote final.
En tout état de cause, je le répète, il ne s’agit ni d’un faux-semblant de réforme ni d’une révolution : comme souvent, il s’agit plutôt d’une demi-réforme. Elle est nécessaire, mais elle est trop timide, à notre avis, pour changer véritablement la situation du marché du travail. Encore une fois, la mère de toutes les batailles, c’est le chômage de masse !