Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous arrivons à la dernière étape du processus d’adoption des ordonnances. J’espère qu’un accord pourra être trouvé sur les dispositions proposées en commission par le rapporteur. Dans la mesure où l’ensemble des décrets d’application ont déjà été publiés, notre vote est-il encore utile ? À l’instar du président Milon, nous l’espérons…
Je souhaitais ouvrir mon intervention sur cette question de forme, eu égard aux libertés que prend de plus en plus le Gouvernement à l’égard des prérogatives du Parlement, en particulier du Sénat, sur ce dossier comme sur d’autres.
Sur le fond, notre groupe sera cohérent avec la position constante qui a été la sienne ces dernières années. Nous avons en effet proposé la plupart des dispositions contenues dans ces ordonnances lors du précédent quinquennat, par le biais d’amendements déposés sur les projets de loi dits « Rebsamen », « Macron » ou « El Khomri » ou de textes tels que la proposition de loi relative aux entreprises de notre collègue Alain Chatillon.
Je rappellerai nos positions, pour apporter des précisions sur ce que nous soutenons et sur ce que nous ne soutenons pas. En effet, si nous souscrivons au projet global, le Gouvernement est loin d’avoir supprimé tous les freins au développement de nos entreprises, alors que le Président de la République présente ces ordonnances comme constituant la principale réforme de son quinquennat.
Tout d’abord, en matière de dialogue social, nous souhaitions la primauté des accords d’entreprise, parce qu’il est important que les décisions soient prises au plus près du terrain, d’un commun accord entre les acteurs concernés. Madame la ministre, vous mentionnez souvent les primes comme nouveau champ de négociation ouvert prioritairement aux accords d’entreprise. Vous ne pouvez guère citer d’autres exemples, car ils sont bien peu nombreux !
En réalité, les ordonnances privilégient surtout les négociations à l’échelon de la branche, alors que le projet initial était de renvoyer tous les accords à l’échelon de l’entreprise. Étendre la primauté des accords de branche est judicieux dans certains domaines, mais, dans d’autres, cela restreindra le champ des possibles pour les entreprises. Ce sera notamment le cas pour les contrats de mission, dont le Gouvernement affirme pourtant vouloir favoriser le développement.
D’autres dispositions concernant les accords de branche sont au contraire judicieuses, comme l’obligation de prévoir des dispositions spécifiques qui tiennent compte de la réalité des TPE-PME.
Concernant précisément les TPE-PME, nous nous réjouissons que soit favorisé un dialogue social direct, avec la possibilité, pour les entreprises de moins de 50 salariés, de négocier avec un élu du personnel en l’absence de délégué syndical, et, pour les TPE de moins de 20 salariés, de consulter le personnel en l’absence de représentant élu.
De même, notre groupe demandait depuis des années une simplification des instances représentatives du personnel. Celle-ci est réalisée aujourd’hui par la fusion des trois instances d’information au sein d’un comité social et économique.
Plusieurs mesures avaient été également proposées par notre groupe concernant la sécurisation des relations de travail. Je pense d’abord au plafonnement des indemnités en cas d’absence de cause réelle et sérieuse d’un licenciement et à la fixation d’un barème. Jusqu’à présent en effet, les employeurs comme les salariés étaient dans l’incertitude quant aux conséquences financières de ce type de licenciement, le montant des indemnités pouvant varier de un à quatre suivant le tribunal saisi.
La définition des difficultés économiques d’une entreprise à l’échelle nationale répond, quant à elle, à une attente forte des investisseurs, qu’il s’agit d’encourager à reprendre le risque d’investir en France. Je salue la qualité du travail de notre rapporteur, qui a permis d’aboutir à une rédaction équilibrée.
Je précise que, sur ces deux sujets, les ordonnances ne font qu’appliquer des règles qui sont suivies par la majorité des autres pays européens.
Je citerai également l’harmonisation des accords dits « offensifs » et « défensifs », qui permettent aux entreprises d’anticiper et de s’adapter rapidement aux évolutions à la hausse ou à la baisse du marché, ou encore la création de conventions collectives reprenant le principe des conventions individuelles créées par notre majorité et que les entreprises et leurs salariés s’étaient rapidement appropriées.
Enfin, le dossier de la pénibilité trouve une issue, même si le sujet est loin d’être clos. Pour ma part, je crains les effets du transfert du financement à la Caisse nationale de l’assurance maladie, la CNAM.
Malgré toutes ces dispositions favorables au développement de l’activité, à l’issue de ces quelques mois de préparation des ordonnances, les retours du terrain dans nos circonscriptions montrent que les entreprises ne sont toutes convaincues par l’action du Gouvernement.
J’y vois plusieurs explications. Si des incertitudes sont levées, un sentiment de fragilité face aux nombreuses contraintes administratives et fiscales auxquelles les entreprises sont soumises aujourd’hui demeure. L’action du Gouvernement comporte des contradictions. Par exemple, si des dispositions ont été prises pour que les entreprises puissent anticiper le coût d’un licenciement, les indemnités légales de licenciement ont parallèlement été augmentées de 25 % ! Le décret d’application a d’ailleurs été pris quelques jours seulement après la publication des ordonnances.
Cela n’est pas de nature à rétablir la confiance, d’autant que l’essentiel manque. Comme vient de le souligner le président Retailleau, le Gouvernement n’a pas souhaité inclure dans les ordonnances la réforme pourtant capitale des seuils sociaux et fiscaux, ni évoquer la question du temps et du coût du travail.
Notre vote positif s’accompagnera donc de nombreuses réserves et traduit une position d’attente. Les Français ont voté aux élections présidentielles pour une rupture, pour une véritable politique de développement de l’activité et de l’emploi, avec les réformes structurelles et les choix budgétaires que cela implique. Même si ce texte va dans le bon sens, je ne perçois pas, pour le moment, le courage politique que nécessitent de tels changements. Je le regrette sincèrement.