Notre commission s'est saisie pour avis du projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiants, pour l'examen au fond de l'article 3 qui supprime le régime de sécurité sociale des étudiants. Notre examen s'étend à l'article 3 bis inséré par l'Assemblée nationale.
Ces dernières années, notre commission a conduit de nombreux travaux sur le régime étudiant : fin 2012, le rapport d'information de nos collègues Catherine Procaccia et Ronan Kerdraon a mis en avant la complexité de gestion de ce régime et envisagé plusieurs scénarii d'évolution. Ces travaux ont débouché sur l'adoption par le Sénat, en novembre 2014, d'une proposition de loi de Catherine Procaccia mettant fin au régime de sécurité sociale étudiant. Ce texte n'a toutefois jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Les constats posés alors restent en grande partie d'actualité.
Le régime institué en 1948, suivant une revendication des organisations étudiantes, consiste à ce que la gestion de la couverture obligatoire maladie et maternité des étudiants soit assurée par des mutuelles dédiées, via une délégation de gestion du régime général. Si le système est inspiré de celui mis en place pour les fonctionnaires, il est singulier à plusieurs égards. D'une part, il ne se retrouve pas dans les autres pays européens, ce qui incite à penser que la prise en compte de l'autonomie des jeunes et de leurs besoins, philosophie fondatrice d'un régime géré par et pour les étudiants, ne passe pas forcément par leur rattachement à un régime autre que celui de droit commun. D'autre part, depuis la création d'un réseau de sociétés mutualistes régionales au début des années 1970 mettant fin au statut d'opérateur unique de la MNEF -devenue La Mutuelle des étudiants (LMDE)-, il offre aux étudiants le choix entre deux caisses concurrentes, pour un niveau de cotisation et de prestations strictement identiques.
Cette situation peut être source de confusion ; elle entraîne des coûts de gestion et une complexité pour les jeunes et leurs familles. Par définition, il s'agit d'un régime transitoire. L'entrée et la sortie des études emportent des mutations inter-régimes, c'est-à-dire des changements d'affiliation ; les étudiants qui travaillent au-delà d'un certain volume horaire font des allers-retours entre le régime étudiant et le régime professionnel. Comme l'ont mis en avant de nombreux rapports ou enquêtes, ce sont autant de sources potentielles de dysfonctionnements, au détriment de l'accès des jeunes à la santé : les délais d'affiliation en début d'année universitaire peuvent entrainer des périodes de rupture de droits ; des transmissions lacunaires d'information, par exemple le nom du médecin traitant, sont aussi régulièrement relevées.
Ce n'est pas tant la qualité du service rendu par les mutuelles étudiantes qui pose aujourd'hui question que l'organisation du système : c'est pourquoi notre commission avait opté, entre les diverses pistes possibles, pour une évolution structurelle semblable à celle engagée par le projet de loi.
Les critiques sur la qualité du service, cristallisées sur la LMDE qui a rencontré dans le passé de nombreuses difficultés, se sont nettement atténuées avec son adossement au régime général engagé en octobre 2015. La LMDE n'a conservé que l'affiliation des étudiants et les actions de prévention : la gestion des prestations des étudiants affiliés à cette mutuelle est assurée directement par l'assurance maladie.
Dans le prolongement des réflexions de notre commission et de cette évolution plus récente du paysage des mutuelles étudiantes, le projet de loi engage une simplification bienvenue. La suppression du régime de sécurité sociale étudiant à compter de septembre 2018 va s'opérer en deux temps. À la rentrée 2018, les nouveaux étudiants demeureront rattachés au régime du parent dont ils dépendent, en qualité d'assuré autonome, sans démarche particulière à effectuer. Avec la mise en place de la protection universelle maladie (PUMA) en 2016, la notion d'ayant-droit majeur a disparu : toute personne résidant en France de manière stable et régulière est assurée à titre individuel dès sa majorité ou dès 16 ans à sa demande. Au plus tard d'ici septembre 2019, les actuels affiliés au régime étudiant intégreront le régime général.
Plus d'1,8 million d'étudiants sont aujourd'hui affiliés au régime étudiant, dont 1 million sont gérés par les mutuelles régionales. Le projet de loi prévoit le transfert de droit des personnels des mutuelles étudiantes assurant la gestion du régime obligatoire aux caisses du régime général. Les discussions ont débuté en fin d'année dernière entre la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et les mutuelles étudiantes, dans un climat qui s'est a priori apaisé. Elles se poursuivront sur ce volet « ressources humaines », pour recenser les effectifs à transférer, et sur d'autres sujets comme les systèmes d'information, la communication en direction des jeunes et des familles...
Plus de 600 salariés seraient concernés, principalement issus des mutuelles régionales puisque 436 salariés de la LMDE ont déjà intégré le régime général en 2015. Ce précédent est rassurant car l'intégration des personnels s'est déroulée dans d'excellentes conditions, sans licenciement ou mobilité géographique imposée, avec maintien des salaires et en proposant un accompagnement individuel.
La réforme proposée entraînera toutefois un profond bouleversement pour les mutuelles régionales, puisque près des trois quarts de leurs personnels gèrent la couverture obligatoire et ont donc vocation à rejoindre le régime général. Leur activité va se recentrer sur la couverture complémentaire, à ce jour relativement restreinte car elle ne concerne qu'environ 15 % des étudiants, la plupart étant couverts par la complémentaire santé de leurs parents.
Parallèlement, dès la rentrée 2018, la cotisation annuelle forfaitaire au régime étudiant -qui était de 217 euros, payée à partir de 20 ans par les étudiants non boursiers- sera supprimée pour l'ensemble des étudiants, ce qui représente un impact, non compensé, de près de 200 millions d'euros. La réforme permettra probablement de réaliser à terme des économies -plus de 20 millions d'euros d'après la Cnam- avec la suppression des remises de gestion versées aux mutuelles étudiantes -54 millions d'euros-, la simplification et les économies d'échelles.
Si je vous propose d'approuver le principe de cette réforme, plusieurs dispositions résultant des discussions à l'Assemblée nationale me conduisent à vous proposer quelques ajustements, d'abord sur la représentation étudiante au sein du conseil de la Cnam. En séance publique, à l'initiative du rapporteur et de députés de plusieurs groupes, l'Assemblée nationale a introduit la participation au conseil de la Cnam, avec voix délibérative, d'un représentant des associations étudiantes, en remplacement d'une personnalité qualifiée. C'est un précédent, car un choix différent a été fait pour assurer la représentation des travailleurs indépendants consécutivement à la suppression du régime social des indépendants (RSI). Dès lors que ce principe est acté, je vous proposerai toutefois d'augmenter à deux le nombre de représentants, afin de garantir un nécessaire pluralisme compte tenu du paysage syndical très divers.
Un autre enjeu essentiel est celui de la prévention en santé. Le projet de loi confie aux organismes gestionnaires du régime obligatoire le soin d'assurer des actions de prévention pour les jeunes de 16 à 25 ans. Ne distinguons pas la population des étudiants de celle des autres jeunes, dès lors que de nombreux sujets de santé publique concernent cette classe d'âge, indifféremment de son statut.
Toutefois, lors des auditions, de nombreux interlocuteurs ont souligné que les modes d'intervention en direction des étudiants devaient leur être adaptés, et que les actions de terrain, relayées par les pairs, étaient importantes. Les mutuelles étudiantes revendiquent leur expertise en ce domaine.
Le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale a introduit dans le texte le principe de la concertation des parties prenantes, tant au niveau national, en associant les associations d'étudiants à la définition d'un programme annuel, qu'au plan local, pour la programmation et l'organisation des actions menées au niveau des universités et de leurs services de prévention. Si je partage l'objectif, le dispositif prévu suscite des interrogations, car il laisse subsister un flou sur le pilotage des actions. Je vous proposerai donc de préciser le texte afin d'expliciter l'articulation des orientations de la stratégie nationale de santé et des spécificités de la vie étudiante, au sein d'une « conférence de prévention étudiante ».
L'Assemblée nationale a introduit, à l'initiative du groupe Gauche démocrate et républicaine, un article 3 bis qui prévoit la remise d'un rapport au Parlement sur l'accès aux soins des étudiants, portant notamment sur leur couverture complémentaire et les moyens de la favoriser. Cette question est bien sûr importante, quand, d'après les enquêtes, près de 30 % d'entre eux déclarent renoncer à des soins et plus de 13% pour des raisons purement financières. À cet égard, saluons l'engagement du Gouvernement d'augmenter, d'ici fin 2019, de 24 à 34 le nombre de services de santé universitaires constitués en centres de santé. Leurs moyens sont à l'heure actuelle très clairement insuffisants. Toutefois, les réflexions générales sur l'accès aux soins, et dans ce cadre l'accès à une couverture complémentaire, ne me semblent pas devoir être spécifiques au public étudiant. Je vous proposerai donc de supprimer cet article, au-delà des raisons habituelles qui conduisent généralement notre commission à limiter les demandes de rapports, au demeurant rarement produits.
Sous réserve de ces observations et de l'adoption de mes amendements, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de l'article 3 de ce projet de loi.