Intervention de Yves Daudigny

Commission des affaires sociales — Réunion du 24 janvier 2018 à 9h05
Proposition de loi relative à la réforme de la caisse des français de l'étranger — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny, rapporteur :

Pour l'observateur familier de la sécurité sociale en France, la Caisse des Français de l'étranger, la CFE, est un objet de curiosité.

La Caisse intervient dans le champ concurrentiel pour la couverture des frais de santé à l'étranger, sur une base volontaire, comme un assureur. Elle doit être équilibrée par ses cotisations.

Dans le même temps, elle a été conçue comme le prolongement de la sécurité sociale à l'étranger pour les expatriés. Les règles qui la régissent figurent dans le code de la sécurité sociale. La Caisse offre une couverture de base. Ses remboursements sont identiques à ceux de l'assurance maladie. Elle offre aux salariés une couverture AT-MP identique. Elle recouvre, pour le compte de l'assurance vieillesse, les cotisations des salariés à l'assurance vieillesse volontaire, ce qui leur permet d'assurer une continuité avec le régime français pour la partie de leur carrière effectuée à l'étranger. Elle comporte une dimension de solidarité : ses tarifs diffèrent en fonction du niveau des revenus. Les personnes ayant des revenus trop faibles peuvent bénéficier d'une prise en charge partielle de leurs cotisations.

Cette caisse, qui assure la protection sociale de 200 000 Français, soit environ 10 % des Français établis hors de France, née au sein de la caisse primaire d'assurance maladie de Melun dans les années quatre-vingts, doit aujourd'hui évoluer, car elle perd des parts de marché. En outre, n'étant pas obligatoire, elle est plus attractive sur le plan tarifaire pour les pensionnés que pour les jeunes actifs. Sa situation financière, même si elle est très saine aujourd'hui, pourrait en être à terme affectée. Par ailleurs, le visage de l'expatriation française à l'étranger s'est profondément modifié : les Français expatriés par leur entreprise dans le cadre de contrats prenant en charge leur protection sociale sont moins nombreux, tandis que beaucoup ont un contrat de droit local.

L'offre tarifaire de la CFE est complexe et peu lisible. Il existe plusieurs centaines de tarifs selon l'âge, le niveau de revenus, par ailleurs difficile à contrôler, le paiement ou non des cotisations par une entreprise ou la catégorie d'adhérents.

Les prestations ne sont guère plus claires pour les adhérents. Ils savent qu'ils seront remboursés comme en France, mais cela ne signifie évidemment pas la même chose selon qu'ils vivent en Chine, où les frais de santé sont très élevés, ou en Afrique du Sud, où les prestations de niveau français assurent une bonne couverture.

Enfin, l'adhésion à la CFE ne saurait être réservée aux seuls Français, au risque d'être considérée comme discriminatoire à l'égard des autres citoyens européens. C'est pourquoi la Caisse accepte aujourd'hui ces personnes de fait, en l'absence de texte, lorsqu'elles sollicitent leur adhésion.

Sur la base de ce constat, nos collègues élus des Français de l'étranger ont travaillé avec la Caisse à une évolution de la base législative régissant son offre. Celle-ci a d'ailleurs commencé à proposer de nouveaux produits : une offre pour les soins en France et, très récemment, une offre en direction des jeunes.

Des amendements identiques ont ainsi été déposés par nos collègues Christophe Frassa et Jean-Yves Leconte dans le cadre de l'examen du projet de loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique. Irrecevables dans un texte sur l'outre-mer, ils ont été repris dans deux propositions de loi : celle de notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam, du groupe Les Républicains, en janvier 2017, et celle de notre collègue Jean-Yves Leconte, du groupe socialiste, que nous examinons aujourd'hui.

La proposition de loi présentée par Jean-Yves Leconte se compose de deux chapitres. Le premier est consacré à la révision de l'offre tarifaire « maladie » de la Caisse et le second à la modification de sa gouvernance.

Sur le premier volet, le texte donne très largement, en matière d'élaboration de l'offre tarifaire, l'initiative au conseil d'administration, dont les décisions feront ensuite l'objet d'un arrêté ministériel. Il unifie le régime de cotisations des différentes catégories d'adhérents. Tous seront désormais soumis à un même régime de cotisations, en fonction de leur âge et de la composition de leur foyer. Le principe d'une modulation selon les revenus est maintenu pour servir de support à la prise en charge par le budget d'action sociale de la Caisse d'une partie des cotisations des personnes à faibles revenus.

Ce nouveau régime, beaucoup plus lisible, devrait faire des gagnants - les plus jeunes - et des perdants, notamment les pensionnés. C'est pourquoi l'article 21 plafonne l'augmentation des cotisations à 50 % sur dix ans.

Le texte apporte un changement moins substantiel concernant les prestations. Tout en conservant pour référence les tarifs de la sécurité sociale, les remboursements pourront être exprimés, selon les pays, en pourcentage des dépenses exposées. Les remboursements pourraient par exemple être de 80 % en Thaïlande, où la Caisse mène actuellement une expérimentation, de 40 % en Chine ou de 20 % aux États-Unis. Parallèlement, la Caisse souhaite travailler avec des réseaux de soins, agir ainsi sur les tarifs et diminuer le reste à charge des assurés.

La proposition de loi étend aux ressortissants des États membres de l'Union européenne, des autres États parties à l'accord sur l'Espace économique européen et de la Confédération suisse les possibilités d'adhésion à la Caisse pour l'ensemble des risques qu'elle gère, s'ils en remplissent les conditions. À titre d'exemple, un Allemand travaillant dans un pays d'Afrique sub-saharienne pourra adhérer à la CFE en maladie. Il pourra adhérer pour le risque vieillesse s'il a été pendant au moins cinq ans affilié à un régime obligatoire français d'assurance maladie.

La proposition de loi élargit par ailleurs à la CFE certaines prérogatives des organismes de sécurité sociale, comme la consultation du répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) ou encore la faculté de prononcer des pénalités.

Sur le second volet, la gouvernance de la Caisse, la proposition de loi prévoit une élection du conseil d'administration non plus par l'Assemblée des Français de l'étranger, mais par les conseillers consulaires, qui sont les élus de proximité des Français de l'étranger. Elle indique que le président doit être élu parmi les assurés actifs. Elle précise les conditions d'éligibilité, prévoit la parité dans la constitution des listes et la mise en place d'un vote par correspondance électronique.

Afin de bien saisir les enjeux de ce texte et ses conséquences concrètes pour nos compatriotes établis à l'étranger, j'ai entendu le directeur de la Caisse, les services du ministère des affaires sociales et du ministère des affaires étrangères, mais aussi les représentants des deux principales associations des Français de l'étranger, nos collègues Claudine Lepage, pour Français du monde-Association démocratique des Français à l'étranger, et Ronan Le Gleut, pour l'Union des Français de l'étranger-Monde. J'ai constaté une grande convergence de vues sur la nécessité de revoir l'offre tarifaire de la Caisse et d'améliorer la lisibilité de ses prestations.

Les amendements que je vous proposerai préservent à cet égard les dispositions de la proposition de loi. Ils conduisent cependant à une réécriture substantielle du chapitre concerné du code de la sécurité sociale afin de tirer les conséquences, dans la structure du code, du changement d'approche induit par ce texte : on passe d'une logique de catégories d'adhérents à une logique de risques couverts.

À l'issue des auditions et d'un travail mené avec la Caisse, je vous proposerai certains ajustements.

Au cours de ces mêmes auditions, j'ai constaté l'absence de consensus sur une évolution de la gouvernance de la Caisse. Comme vous le savez, notre commission avait rejeté une première proposition de loi sur ce sujet en juin 2015. Le conseil d'administration a été renouvelé récemment et le Gouvernement a annoncé une réforme de la représentation des Français établis hors de France. Jean-Baptiste Lemoyne commence les consultations à ce sujet la semaine prochaine.

Dès lors, je proposerai à la commission de se limiter à tirer les conséquences, pour la composition du conseil d'administration, de la suppression des différentes catégories d'adhérents, à actualiser les conditions d'éligibilité et à prévoir la parité dans la constitution des listes. Ces modifications, sans répondre à l'ambition initiale du texte, devraient pouvoir faire l'objet d'un consensus.

Telles sont les principales observations qu'appelle cette proposition de loi, que je demande à la commission d'adopter, modifiée par les amendements que je vous soumets.

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