Intervention de Virginie Beaumeunier

Commission des affaires économiques — Réunion du 23 janvier 2018 à 18h00
Audition de Mme Virginie Beaumeunier directrice générale de la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes dgccrf accompagnée de M. Loïc Tanguy directeur de cabinet

Virginie Beaumeunier, directrice générale de la DGCCRF :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me permettre de vous présenter le rôle de la DGCCRF et de répondre à vos questions.

En réponse aux questions de Mme la présidente, mon intervention portera sur trois points : les responsabilités des différents acteurs dans ce type de crise, la chronologie des faits et la procédure de retrait-rappel.

En matière de sécurité sanitaire, la responsabilité première revient aux producteurs et aux distributeurs des produits. Le fabricant a l'obligation de mettre sur le marché des produits sûrs. Par ailleurs, lorsqu'il sait qu'il a mis sur le marché des produits qui ne respectent pas cette obligation de sécurité, il est de sa responsabilité d'engager l'ensemble des actions nécessaires pour protéger les consommateurs, conformément à un règlement européen et à différents textes d'application.

Les distributeurs ont une obligation semblable. Lorsqu'ils sont informés, en général par le fabricant, que l'un des produits qu'ils commercialisent est dangereux, ils doivent engager l'ensemble des actions nécessaires pour protéger leurs clients. Le fabricant informe les distributeurs, qui, eux, informent les consommateurs directs.

De son côté, l'État contrôle que ces différents acteurs respectent leurs obligations.

La DGCCRF est chargée de la régulation et du bon fonctionnement des marchés. Elle veille au respect et à la loyauté de la concurrence, à la protection économique des consommateurs, ainsi qu'à la sécurité et à la conformité des produits de consommation et des services. Son action de contrôle est menée au bénéfice des consommateurs, mais aussi, on l'oublie souvent, des entreprises vertueuses, celles qui respectent la totalité de leurs obligations.

La DGCCRF fait partie du ministère de l'économie. Elle est représentée à l'échelon régional dans les DIRECCTE, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, et à l'échelon départemental par les DDPP, les directions départementales de la protection des populations, ou, dans les départements de plus petite taille, par les DDCSPP, les directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations. Les DDPP regroupent des agents des services de la DGCCRF et des services vétérinaires. Les DDCSPP comprennent également les services du ministère de la solidarité et de la santé, de la jeunesse et des sports. Pour ce qui concerne la sécurité sanitaire de l'alimentation, la compétence des services de l'État est partagée avec les ministères de la santé et de l'agriculture. Les missions de contrôle sont exercées en articulation avec le ministère de l'agriculture.

Habituellement, les produits alimentaires d'origine animale relèvent plutôt de la compétence des services vétérinaires. Pour ce qui concerne les laits de nutrition infantile, s'agissant d'une denrée d'origine animale, le ministère de l'agriculture est en charge du suivi des usines de fabrication qui disposent d'agréments sanitaires délivrés par ses services. C'était le cas de l'usine de Craon. Cet agrément vise à encadrer la production de denrées animales ou d'origine animale, denrées considérées comme sensibles, notamment sur le plan de l'hygiène. Les entreprises qui transforment de tels produits doivent être agréées.

La gestion des alertes sur les denrées alimentaires est une compétence partagée entre la DGCCRF et la direction générale de l'alimentation, la DGAL, qui relève du ministère de l'agriculture. La répartition des notifications initiales des alertes alimentaires est définie dans un protocole de coopération, de coordination et de gestion applicable à la direction générale de la santé du ministère de la santé, la DGAL, et à la DGCCRF. La gestion des alertes concernant les aliments destinés à une alimentation particulière, comme les laits infantiles et les compléments alimentaires, relève de la DGCCRF, ce qui explique qu'elle ait été en première ligne dans la gestion de cette crise.

En complément, la DGCCRF réalise des contrôles dit « contrôles des premiers metteurs sur le marché », ou CP2M, dans ces usines. Ces contrôles diffèrent selon qu'il s'agit d'entreprises dans le secteur de l'alimentation animale, qui relèvent d'un agrément sanitaire, ou d'entreprises du secteur industriel. Les CP2M sont des contrôles sur le fonctionnement général de l'entreprise. Ils visent à s'assurer du respect par cette dernière de l'ensemble des réglementations auxquelles elle est soumise en matière de protection du consommateur et dont la DGCCRF pilote les contrôles. Cela porte notamment sur les règles d'étiquetage, la composition des denrées alimentaires, ainsi que le respect des règles de facturation, de traçabilité ou de maîtrise de risques. Lorsque l'établissement contrôlé dispose d'agréments sanitaires, comme c'est le cas de l'usine de Craon, ce contrôle ne porte a priori pas sur la partie hygiène de l'entreprise pour éviter des redondances de compétences et de contrôle. Les moyens de l'État sont précieux, nous essayons donc de bien nous répartir les rôles. Des protocoles de contrôles pluriannuels sont définis à cette fin entre la DGCCRF et le ministère de l'agriculture.

Toutefois, il est évident que si des manquements aux règles d'hygiène sont mis en évidence au cours d'un contrôle, les agents de la DGCCRF prennent les mesures conservatoires nécessaires pour les faire cesser ou signalent les manquements à leurs collègues des services vétérinaires.

Dans le cas de l'usine Lactalis de Craon, qui est soumise à agrément sanitaire, les CP2M sont réalisés tous les trois ans. Un contrôle avait eu lieu en 2014, un nouveau contrôle était prévu le 5 décembre 2017.

Je vais maintenant vous décrire la chronologie des faits.

Le 1er décembre 2017, les services de la DGCCRF sont alertés par Santé publique France, établissement public en charge de missions de veille sanitaire, d'un nombre anormalement élevé de cas de salmonelloses, dont le sérotype est Salmonella agona, chez des enfants en bas-âge. Des questionnaires adressés par Santé publique France aux parents d'une vingtaine de nourrissons malades signalés à cette date ont permis de mettre en évidence que ces enfants avaient en commun la consommation exclusive de lait infantile des marques Picot et Milumel du groupe Lactalis. Les premiers cas ayant été isolés dès la mi-août, on pouvait craindre que des lots contaminés aient été mis sur le marché dès la mi-juillet 2017 et qu'ils soient encore sur le marché. Nous n'avons été informés de ces cas que le 1er décembre, le temps qu'une anomalie statistique soit constatée.

Les services de la DGCCRF ont immédiatement contacté la DDCSPP de la Mayenne, où est situé le siège de Lactalis Nutrition Santé, l'entreprise qui a fabriqué ces produits. Les premiers contacts sont pris le soir même avec l'entreprise et permettent d'identifier que les trois références impliquées sont fabriquées sur un même site, à Craon.

Le 2 décembre 2017, des investigations complémentaires sont réalisées sur ce site. Il est demandé à l'entreprise de mettre en place des mesures conservatoires, comme le blocage à la commercialisation de tous ses stocks.

Lactalis annonce enfin retirer de la commercialisation et rappeler 12 lots de produits de nutrition infantile. Il s'agit des lots de trois références mis sur le marché à partir de la mi-juillet. Cette information est relayée par un communiqué de presse des ministères de l'économie et de la santé. Environ vingt-quatre heures se seront écoulées entre l'information de la DGCCRF par Santé publique France et la première mesure de gestion décidée par Lactalis.

À partir du 4 décembre 2017, des investigations complémentaires sont menées sur site par la DDCSPP de Mayenne, puis par le service national des enquêtes de la DGCCRF, le SNE, service spécialisé dans les enquêtes lourdes. Ces contrôles visaient à vérifier que Lactalis avait mis en oeuvre des mesures appropriées de gestion du risque afin de garantir que les produits encore sur le marché étaient sûrs. Le fabricant a décidé de mesures. Il revient aux services de l'Etat de contrôler leur suffisance. Ces contrôles de l'administration ont consisté en une soixantaine de prélèvements pour analyse, en des contrôles documentaires et à l'audition de responsables de l'entreprise.

Le 8 décembre, la DGCCRF a été informée de cinq nouveaux cas de salmonellose, dont celui d'un enfant ayant consommé un produit du groupe Lactalis autre que ceux ayant déjà été identifiés au début du mois de décembre. Par ailleurs, les résultats des prélèvements réalisés par Lactalis et par les autorités de contrôle à proximité de la chaîne de production, concrètement dans l'environnement de la tour de séchage n° 1, ont montré la présence dans l'usine de Craon de salmonelles du même sérotype que celles ayant conduit à la contamination des nourrissons. À ce stade, les premières conclusions de l'enquête menée par les agents du SNE sur site conduisent la DGCCRF à considérer que les mesures prises par l'entreprise le 4 décembre ne sont pas de nature à maîtriser le risque de contamination. Lactalis est informé de ces conclusions.

Le 9 décembre 2017, après un contact direct entre les dirigeants de l'entreprise et le cabinet du ministre de l'économie et des finances, faute d'une démarche volontaire de l'entreprise permettant une gestion satisfaisante du risque de contamination des produits, Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, compétent en matière de sécurité des produits infantiles, a décidé d'ordonner la suspension de la commercialisation et de l'exportation, ainsi que le retrait et le rappel des fabrications ayant transité par la tour de séchage n° 1 du site de Craon depuis le 15 février 2017. Cela représente plus de 600 lots de produits de nutrition infantile, soit plus de 11 000 tonnes de produits, dont environ 7 000 tonnes destinées au marché national.

La date retenue du 15 février correspond, moyennant une période de sécurité d'un mois liée à un possible stockage par les parents, à la date de fabrication du lot de lait le plus ancien suspecté d'avoir conduit à la contamination d'un nourrisson parmi les cas connus à cette date.

Le 13 décembre 2017, cinq nouveaux lots issus de la tour de séchage n° 1 qui auraient dû être couverts par l'arrêté, mais qui n'apparaissaient pas dans les documents de traçabilité transmis par Lactalis au moment de la rédaction de celui-ci, sont rappelés par le fabricant, qui a constaté une erreur dans les informations qu'il nous a données.

Le 20 décembre 2017 ont été organisées deux réunions pour informer les parties prenantes des mesures prises par l'administration : l'une avec les organisations de consommateurs agréées, l'autre avec les professionnels de la filière. Une telle mesure s'impose en cas d'arrêté de retrait-rappel. Ces réunions permettent la mise à disposition de produits alternatifs.

Le 21 décembre 2017, suite à la détection de la bactérie dans l'environnement de la tour n° 2, le groupe Lactalis annonce généraliser le retrait-rappel à l'ensemble des produits fabriqués ou conditionnés sur la partie du site Lactalis Nutrition Santé depuis le 15 février 2017. Il s'agit de laits et céréales infantiles, ainsi que de produits de nutrition spécialisés. Le ministère de l'économie publie un communiqué de presse pour prendre acte de cette décision.

Le 22 décembre 2017, le SNE est saisi par le pôle santé publique du parquet de Paris, qui a ouvert une enquête préliminaire, notamment sur le fondement du rapport d'enquête du SNE et à la suite de plaintes de parents de nourrissons victimes de cette contamination. De ce fait, de nombreux sujets ne peuvent plus être évoqués.

J'évoquerai maintenant les procédures de retrait et de rappel.

Le 2 décembre, le 10 décembre, le 13 décembre puis le 21 décembre, des mesures de retrait-rappel ont ainsi été annoncées. Ces différentes procédures ont concerné un nombre très important de produits : ce sont des dizaines de millions de boîtes de produits infantiles, commercialisées dans des dizaines de milliers de points de vente - supermarchés, hypermarchés, pharmacies - ou diffusées dans des crèches, des hôpitaux, des maternités, en France et dans une soixantaine de pays, qui ont dû être rappelées.

Comme je l'ai indiqué en introduction, lors d'une opération de retrait-rappel de produits, menée de manière volontaire ou en application d'une décision du ministre, le fabricant est responsable de sa mise en oeuvre. Il lui revient de déterminer les moyens nécessaires pour assurer l'efficacité des opérations - information directe de ses clients, communiqués de presse. Tout au long de la chaîne de distribution, chaque maillon est responsable, d'une part, de cesser la commercialisation des produits concernés et, d'autre part, d'informer ses clients de la procédure de retrait-rappel. Le distributeur final a une obligation d'information des consommateurs de l'existence d'une procédure de rappel pour les produits qu'il a déjà commercialisés. Tous ces opérateurs ont une obligation de résultat. Ils doivent utiliser tous les moyens à leur disposition : affichage, information directe chaque fois qu'ils ont les coordonnées des consommateurs - grâce aux cartes de fidélité ou en cas de paiement par chèque. Les pouvoirs publics accompagnent ces opérateurs avec des communiqués de presse, afin que l'information soit la plus large possible et qu'elle soit reprise par les medias.

Pour contrôler l'effectivité des mesures de retrait-rappel, la DGCCRF a demandé à l'ensemble de ses services départementaux d'intervenir à tous les maillons de la chaîne de distribution afin de vérifier que les produits concernés n'étaient plus commercialisés. Des contrôles par sondage dans les différents points de vente, mais également auprès des sièges des centrales d'achat des grandes enseignes de distribution, chez les grossistes, dans les hôpitaux et les crèches, mais aussi sur les sites internet de vente de produits alimentaires ont été réalisés sur la base des listings clients obtenus auprès de Lactalis.

Entre le 26 décembre et le 5 janvier, environ 2 500 contrôles ont été effectués. Au cours de ces contrôles, s'il était avéré que des produits rappelés continuaient à être commercialisés, les agents de la DGCCRF demandaient le retrait immédiat des rayons des produits incriminés. Par ailleurs, au-delà de cette mesure d'urgence, des constatations ont été établies et les suites appropriées pourront être données ultérieurement. Elles dépendront des causes et des conditions dans lesquelles ces manquements ont été commis. En tout état de cause, le fait de poursuivre la vente de produits concernés par une opération de retrait-rappel est susceptible de constituer une tromperie aggravée, qui est un délit pénal.

Ces contrôles, dont les conclusions ont été annoncées le 11 janvier 2018 par Bruno Le Maire, ont mis en évidence des non-conformités dans environ 5 % des établissements contrôlés. Ce chiffre est bien trop élevé compte tenu du danger que peuvent présenter ces produits. Ces contrôles ont notamment concerné 1 300 pharmacies, 600 grandes et moyennes surfaces et 300 hôpitaux et crèches. Dans 91 établissements, des produits couverts par l'opération de retrait-rappel étaient encore commercialisés. La présence de plus de 500 boîtes de produits de nutrition infantiles a été mise en évidence dans 30 grandes et moyennes surfaces. Pour faire cesser le risque, les agents ont demandé que les produits concernés soient immédiatement retirés des rayons. Par ailleurs, des produits rappelés étaient encore en vente dans 44 pharmacies. Dans de nombreuses pharmacies, enfin, les clients n'étaient pas informés de l'opération de retrait par un affichage adapté.

Une nouvelle opération de contrôle a été engagée lorsque ces résultats ont été connus. A la demande du ministre, plus de 2 500 contrôles supplémentaires étaient prévus, dont les résultats, en cours de consolidation, seront annoncés d'ici à la fin de la semaine.

Comme vous le voyez, il s'agit d'une opération très lourde, dans laquelle la DGCCRF s'est fortement impliquée. Je tiens à cet égard à rendre un hommage public aux agents qui se sont mobilisés, y compris pendant les fêtes.

Évidemment, un retour d'expérience, impliquant l'ensemble des acteurs, sera nécessaire. Il faudra également réfléchir à la manière de fiabiliser la procédure de retrait-rappel, car il y aura évidemment d'autres crises sanitaires, le risque zéro n'existant pas. Les industriels seront eux aussi amenés à tirer les conséquences de cette crise.

Il est à noter que le retrait-rappel de Lactalis est probablement l'un des plus importants effectués ces dix dernières années, compte tenu des volumes que j'ai évoqués.

Lorsqu'une procédure de retrait et de rappel est décidée, deux objectifs sont visés. Il convient tout d'abord de faire en sorte que plus aucun produit susceptible d'être dangereux ne soit commercialisé. Il faut aussi informer les consommateurs le plus tôt, le plus rapidement et le plus précisément possible pour les produits déjà vendus ; s'ils ont été consommés, il faut les alerter pour qu'ils puissent éventuellement consulter un médecin. Nous travaillons activement sur ces alertes.

Il est impératif que des avancées concrètes soient proposées par la grande distribution et les fabricants en termes d'information et pour fiabiliser les procédures de traçabilité internes aux entreprises comme entre fournisseurs et clients.

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