Intervention de Michel Nalet

Commission des affaires économiques — Réunion du 24 janvier 2018 à 9h35
Audition de M. Michel Nalet directeur de la communication de lactalis

Michel Nalet, directeur de la communication du groupe Lactalis :

Merci pour cette invitation, qui nous donne l'occasion d'échanger sur ce qui a été appelé l'affaire Lactalis, voire le scandale Lactalis - mots qui nous meurtrissent, mais donnent la mesure de la situation.

Je souhaiterais commencer par un mot à l'attention des parents. Nous avons été critiqués sur notre communication car nous n'aurions pas suffisamment exprimé nos regrets. Nous l'avons pourtant fait à de nombreuses reprises. Je veux donc le redire au nom de tous les collaborateurs du groupe et de son président : nous regrettons profondément les difficultés et l'inquiétude que tout cela a provoqué. Avant d'être des collaborateurs de Lactalis, nous sommes tous des parents ou des grands parents. C'est une vague terrible qui nous secoue tous.

Venons-en à la chronologie. J'ai entendu hier l'audition de la directrice générale de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) : je confirme que les autorités locales en Mayenne nous ont informés, le 1er décembre 2017 à 19h30, de vingt cas de salmonellose chez des nourrissons ayant consommé des produits issus de notre site de Craon. Grâce à notre traçabilité, nous avons pu effectuer un premier retrait en accord avec les autorités : dès le samedi soir, les premières actions ont été menées vis-à-vis de nos clients et des parents et, dès le dimanche matin, nous avons mis en place un numéro vert.

La semaine suivante, nous avons renforcé nos contrôles et nous avons décidé le jeudi 7 décembre de fermer le site le soir même pour mener nos investigations. Cela a été confirmé par un arrêté de la préfecture de la Mayenne, le 9 au matin ; mais c'est bien antérieurement que l'entreprise avait pris cette décision dans le seul but de mener des investigations.

Le 9 au matin, nous avons eu des discussions avec les autorités concernant l'ampleur du retrait, compte tenu de nouveaux cas dont nous avions été informés, entre le 1er décembre au soir et le 8 décembre. Le ministère proposait de rappeler les produits depuis le 15 février, date qui a été finalement retenue. Nous n'avons jamais contesté cette date, nous avons juste essayé de faire valoir des propositions résultant de ce dont nous avions connaissance au moment où cette décision a été prise. Le président Besnier l'a dit dans le Journal du dimanche, il est apparu ensuite que c'était une bonne idée de faire un retrait plus large que celui que nous avions imaginé - à partir du mois de mai ; mais à l'époque, nous n'avions pas suffisamment de résultats probants. Ce fut le cas à partir du dimanche 10 décembre, et nous avons ordonné un retrait de 620 lots. En lisant le décret signé par M. le ministre de l'économie et des finances à cette date, nous nous sommes rendu compte le lendemain que cinq lots avaient été oubliés. Nous avons de nouveau communiqué autour de Saint-Cloud, commune concernée par ces lots. Comme l'a dit hier la directrice générale de la DGCCRF, cela concernait une partie seulement du site, la tour de séchage n° 1.

Nous avons continué les investigations après le 10 décembre. De nouveaux cas sont apparus et nous avons pris la décision, en interne, de faire un retrait plus important, alors même qu'aucune analyse n'avait été positive. C'est vraiment le principe de précaution qui nous a guidés dans ce troisième retrait de 720 lots, sur lequel nous avons fait une communication très large, le 21 décembre au matin. Nous avons poursuivi nos investigations. Certains consommateurs ont trouvé dans la distribution des produits encore en libre circulation et après la rencontre entre M. Besnier et M. Le Maire, nous avons décidé, le vendredi 12 décembre, de rappeler tous les lots produits à Craon, quelle que soit la date, pour éviter la confusion. Des distributeurs avaient eu des difficultés, compte tenu du volume concerné. C'est donc aussi le principe de précaution qui a guidé ce dernier rappel.

Le groupe le savait-il ? Le lundi matin, le directeur général de la santé a déclaré dans le Parisien que nous avions trouvé le 23 août et le 2 novembre 2017 des traces de cette salmonella agona dans notre environnement. Nous avons mis en place la procédure prévue dans ce cas : nettoyage approfondi et analyses, mais aucune n'a donné de résultats positifs. Nous avons donc redémarré. Avant les signalements de nourrissons malades du 1er décembre au soir, nous n'avions pas d'information, pas plus des services de l'État que de nos consommateurs, qui aurait pu nous alerter. Nous avons vérifié tous nos appels.

Nous n'avons jamais caché ces deux traces. Je l'ai dit dans les journaux de manière très claire. Notre rôle à nous, producteurs, est de mettre sur le marché des produits sains ; il est donc important de comprendre pourquoi il y a eu une dissémination de cette bactérie. C'est le sens de tout le travail que nous menons depuis début décembre. L'emballement médiatique est compréhensible puisqu'il s'agit de nourrissons, mais je ne souhaite à personne ce qui nous arrive.

Cette recherche du fait générateur nous a menés à faire de nombreuses analyses. Notre conclusion est que des travaux de modernisation de la tour de Craon entrepris durant le premier semestre auraient pu mener à une résurgence de cette bactérie. Nous avons échangé avec les autorités sur ce sujet pas plus tard qu'hier. Nous sommes en train de vérifier, par un contrôle très renforcé, à quel moment a pu avoir lieu la contamination. Compte tenu de l'action en justice, je ne peux pas aller plus avant. Cela sera vu avec les autorités. Nous avons la ferme intention de ne redémarrer l'usine que lorsque toutes les conditions sanitaires seront réunies. C'est important pour nos collaborateurs, pour les producteurs, pour l'image de notre groupe. Il faut faire toute la transparence sur le sujet pour être sûr que cela ne se reproduira jamais.

Vous avez mentionné le cas de 2005 ; c'est exact. D'après les tests menés par l'Institut Pasteur, il s'agissait de la même souche agona que celle affectant les nourrissons malades. Nous essayons de comprendre comment elle a pu survivre entre 2005 et 2017, période pendant laquelle nous n'avons pas eu de bébé malade, ni de trace de salmonelle dans nos produits ou notre environnement. Nous devons mettre en avant tout ce qui a été fait. Notre président l'a dit dans le JDD, nous ne pourrons pas nous soustraire à nos responsabilités. Nous ne pouvons pas ne pas aller au fond du dossier. Nous le devons aux 38 bébés touchés par cette salmonelle, mais aussi à nos collaborateurs, très affectés - 800 personnes sont concernées par cette activité dans le groupe. C'est important pour pérenniser l'emploi. Pour l'instant, nous avons redéployé une centaine de nos collaborateurs vers d'autres usines, en Mayenne et en Ille-et-Vilaine.

Le social est majeur pour nous, mais aussi le monde agricole. Nous avons rencontré tous les échelons des syndicats agricoles, à commencer par les représentants locaux des 600 producteurs organisés autour du site de Craon. Tous ne fournissent pas, cependant, l'unité concernée, car le site est très grand. Un peu plus de la moitié va dans la fromagerie qui y est aussi présente et 150 millions de litres sont renvoyés vers d'autres sites du groupe. Il n'y a eu aucune rupture de collecte à Craon, nous l'avons redit et nous sommes exprimés clairement là-dessus. Nous avons reçu une délégation de la fédération départementale de la Mayenne sur le site de Craon ; M. Besnier et le directeur général ont reçu les représentants des syndicats au niveau national. Nous avons donné toutes les garanties sur la pérennité de la collecte ; je tiens à votre disposition tous les communiqués.

En ce qui concerne le prix du lait, la collecte concernée représente un faible pourcentage de la collecte nationale du groupe. Le prix ne se calcule pas à partir du delta d'un si faible pourcentage, mais à partir de l'environnement national et international. Notre prix du lait ne sera pas affecté par des pertes éventuelles. Je serai à votre disposition sur le sujet. Nous nous sommes exprimés très clairement vis-à-vis des représentants des agriculteurs ou du ministre de l'agriculture.

Concernant la publication de nos comptes, je ne reviendrai pas sur les déclarations d'hier à l'Assemblée nationale. Simplement, sachez que je devais rencontrer, il y a une dizaine de jours, le député qui s'est exprimé, mais j'ai dû décaler le rendez-vous à début février. J'aurai donc une occasion de parler avec lui du qualificatif qu'il a employé, mais sur lequel je ne veux pas polémiquer.

L'administration fiscale connait très bien nos comptes ; notre groupe paie ses impôts en France et n'a jamais eu le moindre problème. Nous ne contestons pas la nécessité pour une entreprise de déposer ses comptes au tribunal de commerce, afin que celui-ci puisse agir en cas de défaillance, mais nous contestons leur publication, leur publicité. Nous ne sommes pas un cas isolé. Il y a une réflexion à mener sur ce sujet. Nous sommes un groupe familial, très attaché à son indépendance.

Dans le cadre de la loi Sapin 2, la publication a été demandée par l'observatoire des prix et des marges. J'en ai parlé avec son président. Nous devons avancer pour que cet observatoire dispose de données claires et précises sur les marges de notre profession, mais il faudra traiter les problèmes de confidentialité sur certains produits - heureusement, peu de transformateurs sont concernés. Tout cela n'est pas un problème pour nous, nous travaillerons, comme nous le faisons déjà, en parfaite collaboration avec l'ensemble des acteurs de la filière. Mais nous souhaitons aussi pouvoir protéger le secret des affaires. Il existe une dérogation pour les PME. Pourquoi certains groupes familiaux français ne pourraient-il pas en profiter ? Il est très important de garder ce patrimoine. En tant que collaborateur du groupe depuis 28 ans, j'en suis très fier. Sachez cependant que la publication des comptes de X ou Y ne résoudra en rien la crise laitière.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion