Intervention de Jacques Grosperrin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 24 janvier 2018 à 9h35
Projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiants — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin, rapporteur :

Vous vous attendiez peut-être à ce que je débute ma présentation en évoquant les déboires d'APB 2017 : l'injustice du tirage au sort, les bacheliers « sur le carreau » à la rentrée ou le scandale de l'échec en licence. Rassurez-vous, vous trouverez tous les chiffres dans mon rapport écrit !

Ce matin, je veux plutôt évoquer l'année 1986. Le décès, voilà quelques jours, d'Alain Devaquet a fait remonter dans notre mémoire collective le souvenir des contestations étudiantes et, surtout, du terrible décès de Malik Oussekine, victime de violences policières à quelques centaines de mètres d'ici.

Le projet de loi Devaquet donnait plus d'autonomie aux universités. Vingt ans plus tard, en 2007, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités - la loi LRU - de Valérie Pécresse a consacré dans la loi, enfin, le principe d'autonomie des universités.

Mais dans le texte de 1986, il y avait aussi l'embryon d'une sélection à l'université. Les facultés françaises étaient alors submergées par une population étudiante de plus en plus nombreuse, tout en étant dédaignées par les meilleurs élèves.

Cette réforme Devaquet a fait long feu dans les circonstances dramatiques que nous connaissons, et le mot de « sélection » est devenu tabou pour plus de trente ans. Avec quel résultat aujourd'hui ? Les fameux 60 % d'étudiants qui n'obtiennent pas leur licence en trois ans ! Une sélection par l'échec, autrement plus cruelle, qui frappe de plein fouet les classes populaires et moyennes, les bacheliers technologiques et professionnels, et qui engendre déception, désillusion et amertume.

Il y a deux ans, nous avions adopté la proposition de loi de Jean-Léonce Dupont instaurant la sélection à l'entrée du master. Aujourd'hui, il s'agit d'instaurer la sélection à l'entrée en licence. Car, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, c'est la quasi-totalité des mentions de licence qui vont devenir sélectives ! J'y suis favorable, même si je regrette les pudeurs du Gouvernement à prononcer le mot fatidique de « sélection ».

Nous avions, il y a deux ans, plaidé pour un « droit à la sélection pour tous ». Car la sélection, ce n'est pas interdire les portes de l'université à tel ou tel ; c'est faire en sorte que chaque jeune puisse élaborer un parcours adapté à ses compétences, à ses ambitions, mais aussi aux perspectives d'insertion professionnelle. Il ne doit pas être laissé seul devant le choix de sa formation. Il est sain qu'il soit lui aussi « choisi » - comme, une fois diplômé, il devra aussi être choisi par son premier employeur.

J'ai mené vingt-quatre auditions, certains d'entre vous s'y sont associés, ils ont grandement contribué à la qualité de nos travaux. Je suis allé également à la rencontre des acteurs de terrain : au rectorat, dans les lycées et les universités de mon territoire... J'ai même testé Parcoursup lundi dernier ! Je voulais me faire une idée globale du Plan Étudiants présenté par le Gouvernement, dont le projet de loi que nous examinons ce matin n'est que la partie législative émergée.

Le texte, qui comptait initialement 7 articles, nous est transmis par l'Assemblée nationale avec 13 articles. Parmi ceux-ci, nous en avons délégué deux au fond à la commission des affaires sociales, les articles 3 et 3 bis.

L'article 1er donne une base législative à Parcoursup. Je vous avouerai que je suis assez partagé. Cet article instaure très clairement une sélection à l'entrée de l'université : en théorie, ne seront visées que les licences en tension, mais la règle des 10 voeux et 20 sous-voeux non hiérarchisés va « tendre » de facto la très grande majorité des licences. Je suis très favorable, je l'ai dit, à cette sélection selon le profil des candidats et les attendus - Guy-Dominique Kennel avait proposé les « prérequis » - de chaque formation. Pour l'étudiant, c'est un gage de réussite et cela devrait améliorer grandement les conditions d'études et la qualité des enseignements. Quant aux enseignants et aux enseignants-chercheurs, ils devraient voir leurs conditions de travail s'améliorer. Je suis également favorable aux dispositifs de remédiation qui seront proposés aux étudiants pour mettre toutes les chances de leur côté et leur permettre de réussir, à leur rythme.

J'ai néanmoins trois inquiétudes. La première tient à la vitesse avec laquelle cette réforme a été menée. Certes, le Gouvernement n'avait pas le choix, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et le Conseil d'État l'ayant mis en demeure de changer le système d'entrée à l'université dès la prochaine rentrée. Mais quelque 830 000 candidats vont essuyer les plâtres d'un dispositif, qui, manifestement, ne fait pas l'unanimité : le nombre de voeux est jugé trop limitant, et a déjà dû être corrigé à la hausse avec l'apparition des « voeux multiples » et des « sous-voeux » ; la non-hiérarchisation des voeux multipliera les examens de dossiers dans les établissements, plus de 1 000 dossiers à étudier en moyenne par licence si chaque candidat formule seulement cinq voeux ; le mécanisme du « ruissellement » des places disponibles risque d'être terriblement anxiogène pour les 90 % des candidats sans réponse positive dans les premières semaines et qui seront « en attente ». Il faut d'ailleurs espérer que les meilleurs candidats répondront suffisamment vite pour libérer les places afin que tous soient inscrits avant la fin juillet, et à tout le moins avant la rentrée universitaire. Que d'embouteillages, de files d'attente et d'anxiété !

Ma seconde inquiétude tient aux places qui devront être ouvertes à la prochaine rentrée. Pour 30 000 candidats supplémentaires attendus l'an prochain, le Gouvernement prévoit l'ouverture de 22 000 places. Certes, 135 000 places étaient restées vacantes à la fin d'APB 2017, mais je demande au Gouvernement d'être particulièrement vigilant sur les ouvertures de places.

Il doit privilégier les instituts universitaires de technologie (IUT) et les sections de technicien supérieur (STS), afin de garantir aux bacheliers technologiques et professionnels des places adaptées à leur profil et leurs souhaits ; sinon, ils seront les grandes victimes de la réforme.

Il doit ouvrir des places dans les filières qui insèrent et en fermer dans celles qui ne débouchent sur aucune insertion professionnelle. En licence de psychologie, par exemple, les débouchés sont très minces ! Tel est l'objet d'un des amendements que je vous présenterai.

Ma troisième inquiétude concerne la procédure dite « du dernier mot au candidat », qui obligera le recteur à faire une proposition de formation à tout candidat qui se trouverait sans inscription à l'issue de la procédure normale de Parcoursup. Cela ressemble furieusement au « droit à la poursuite d'études » en master sur lesquels nous étions très réservés voilà deux ans et j'ai été tenté de supprimer ce dispositif, car il sera une épouvantable usine à gaz pour les rectorats, tenus de faire un travail de dentelle tout l'été. Je vous proposerai toutefois de le maintenir, en l'amendant de sorte que l'établissement ait aussi son mot à dire dans le dialogue entre le recteur et le candidat et qu'il donne son accord explicite pour l'inscription du candidat. En effet, il est le plus à même de vérifier si le profil du candidat convient à la formation envisagée.

L'article 4 crée une contribution, acquittée par les étudiants et reversée aux établissements d'enseignement supérieur par les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS). Cette contribution vise à financer l'accompagnement social, sanitaire, culturel et sportif des étudiants. Elle sera due chaque année, préalablement à leur inscription, par l'ensemble des étudiants, à l'exception des boursiers. Si le projet de loi initial prévoyait trois montants différents selon le niveau d'études, les députés ont fixé un montant unique de 90 euros. La contribution est assise sur le gain de pouvoir d'achat des étudiants entraîné par la suppression de la cotisation au régime de sécurité sociale étudiante, qui s'élève à 217 euros. De plus, elle remplacera des cotisations existantes, qui représentent aujourd'hui entre 7 et 21 euros par étudiant et par an.

Parce qu'elle donnera des moyens supplémentaires aux CROUS et aux établissements pour améliorer la qualité de vie des étudiants, leur accès aux soins et aux activités culturelles et sportives, j'y suis favorable. Le point sensible est la répartition de la recette entre établissements, que je vous proposerai d'assoir sur le nombre d'étudiants inscrits, non sur le nombre de cotisations effectivement versées. La rédaction actuelle pénalise fortement les établissements accueillant un grand nombre de boursiers.

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