Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, ce texte ne doit pas être cantonné à un simple débat technique. Il faut souligner son objectif : donner à l’Union européenne les capacités de construire une défense, pendant de sa politique étrangère. Les convulsions sur les rives de la Méditerranée et les événements de Libye, en particulier, ont démontré la nécessité de la coordination des politiques étrangères des États membres et de la mise en place d’une défense européenne.
Comment, pour cela, organiser le marché européen de l’armement ?
Le credo libéral de la Commission, « ouvrir d’abord, contrôler ensuite », va à l’encontre de la souveraineté nationale dans un domaine par essence régalien, mais renforce-t-il, pour autant, une hypothétique défense européenne ?
La deuxième lecture de ce projet de loi porte sur la transposition de deux directives, l’une relative aux transferts intracommunautaires, sur laquelle le consensus est total, et l’autre sur les marchés publics de défense et de sécurité, qui est plus discutée. Ce texte a des implications allant au-delà de la technicité de l’exercice.
Le précédent ministre de la défense, Alain Juppé, déclarait en commission : « Sans volonté politique, l’ouverture des marchés ne suffira pas à renforcer la base industrielle et technologique de la défense européenne ; il faut relancer l’Europe de la défense en prenant appui sur des coopérations bilatérales, par exemple franco-britannique ».
La volonté politique indispensable commence-t-elle à exister ? La France, en tout cas, fait preuve de diligence dans la transposition de ces deux directives, peut-être parce qu’elle a soutenu leur élaboration lors de sa présidence de l’Union en 2008. Elle devrait, une fois n’est pas coutume, les transposer dans les temps, y compris le volet réglementaire de quatorze décrets et six arrêtés, d’ici au 21 août prochain...
Le marché de défense et de sécurité européen n’a pas un principe corollaire de préférence communautaire comparable au Buy American Act, très protectionniste. Nous pouvons le regretter. Le marché américain, premier mondial, soutenu par une forte volonté politique, a besoin d’une émulation interne pour faire progresser la technologie de ses industries. Le marché européen, soutenu par une volonté politique en devenir, doit, sous peine de voir disparaître une industrie de l’armement toujours très éclatée, se donner le temps de se structurer, et donc, aujourd’hui encore, de se protéger.
Notre commission des affaires étrangères et de la défense a adopté un amendement, renforcé par l’Assemblée nationale, affirmant une clause souple de préférence communautaire, bien que ce principe n’ait qu’une valeur indicative dans le considérant 18 de la directive « MPDS ». L’article 37-2 permet aux acheteurs publics de fermer aux opérateurs économiques tiers à l’Union l’accès à certains de leurs marchés de défense ou de sécurité.
On peut estimer que la Cour de justice de l’Union européenne, compétente pour appliquer le droit communautaire, s’en tiendra au texte de la directive. Néanmoins, de nombreux partenaires européens seront moins vertueux que nous dans la transposition, et davantage tournés vers les importations en provenance des États-Unis.
Monsieur le ministre, vous devez rappeler à nos partenaires que la nécessité d’une application identique de la directive par tous les États membres est indispensable.
Le recours extensif des États membres à l’article 346 du traité de Lisbonne leur permet de se prévaloir de la défense de leurs « intérêts essentiels » pour soustraire un marché à la concurrence. Il a conduit à l’élaboration de ces deux directives simplifiant les procédures d’exportations et créant un nouveau régime des marchés publics.
Je me réjouis de la simplification des procédures de transferts intracommunautaires, car la double autorisation exigeait des délais d’instruction de plusieurs mois. Ce facteur temps, bien que réduit par la directive et la réforme engagée dans sa lignée par le Gouvernement, constitue toujours un handicap lorsque nos partenaires nous demandent d’être très réactifs. Pourquoi ne pas proposer que, passé un certain délai, le silence de l’administration vaudrait approbation ?
Les industriels français sont organisés selon des axes de spécialisation, par segment de marché, par métier ou par type de prestations. Leurs compétences sont étendues et complémentaires, mais ils doivent absolument se coordonner et « chasser en meute » pour être plus conquérants sur le futur marché unique européen. Le délégué général pour l’armement, Laurent Collet-Billon, a employé une expression très appropriée : « L’esprit rugby est à développer parmi les industriels français ».
L’industrie de défense européenne est présente dans tous les secteurs de l’armement, sur presque tous les types de produits, et son potentiel est donc très important.
L’Union européenne représente 30 % des parts du marché mondial, derrière les États-Unis, qui réalisent 52 %. Le Royaume-Uni et la France, deuxième et quatrième exportateurs mondiaux, sont à la pointe des initiatives européennes en matière de défense. La déclaration de Saint-Malo, la lettre d’intention signée par six pays de l’Union, aujourd’hui le « paquet défense », et bientôt le « paquet défense II » vont dans le sens d’une Europe de la défense plus effective.
Quel pourrait être le rôle de l’Agence européenne de défense, présidée par Mme Ashton ? La double responsabilité de celle-ci souligne bien que politique extérieure et défense sont indissociables.
Si nous voulons que l’Union européenne démontre qu’elle développe une politique étrangère, alors nous devons nous donner les moyens politiques, administratifs et techniques d’une défense européenne.
Monsieur le ministre, refusons que l’Union européenne ne devienne une immense Suisse mélancolique et résignée devant les événements du monde ; osons la défense européenne !