Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 25 janvier 2018 à 10h30
Application du régime d'asile européen — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le droit d’asile est le sombre miroir des crises migratoires et des mouvements de réfugiés. J’ai consulté, en préparant cette intervention, des travaux universitaires avançant le chiffre de 64 millions de réfugiés à travers le monde, l’Asie arrivant devant l’Afrique et celle-ci devant l’Europe, dans une approche strictement quantitative.

Dans notre pays, le cap des 100 000 demandes d’asile a été franchi en 2017, ce qui a marqué les esprits.

Ces mouvements puissants conduisent à s’interroger sur les États-nations, leur souveraineté, comme sur la notion de citoyenneté. Le sujet est donc complexe ; il renvoie à des questions éthiques ou philosophiques perturbantes.

Le droit d’asile, nous le savons, est une règle internationale qui est concrétisée dans la convention de Genève et qui bénéficie d’une protection constitutionnelle dans notre pays. Le Sénat sera toujours le défenseur des libertés individuelles, comme des traditions républicaines, pour reprendre une formule utilisée par l’un des orateurs précédents.

Ce que nous examinons aujourd’hui, ce n’est pas la réforme du droit français de l’asile, que M. le ministre d’État nous annonce pour dans quelques semaines, entre principe d’humanité et principe de réalité. Nous abordons aujourd’hui une première étape, officiellement strictement technique, en examinant des compléments relevant du règlement Dublin III.

Comme cela a été rappelé, il s’agit de tirer les conséquences de plusieurs décisions de justice qui ont mis en exergue les faiblesses de notre système juridique ou les insuffisances de la loi de 2015, sur lesquelles je n’insisterai pas, afin de ne pas être discourtois.

Avant d’exprimer, monsieur le ministre d’État, le soutien du groupe Union Centriste à cette proposition de loi, en écho à votre propre approbation, je voudrais émettre une réserve générale, pour aujourd’hui comme pour demain.

Je ne crois pas beaucoup à l’efficacité et à la pertinence d’une législation française du droit d’asile, ni aujourd’hui ni demain. L’enjeu et la solution sont européens. Ce sujet est typique de ce que le Président de la République a appelé, dans son discours de la Sorbonne, « l’européanisation de la souveraineté de la France ». Dans le cadre de la combinaison des moyens nationaux et européens, nous devons raisonner à partir d’une souveraineté partagée.

Le vrai problème, c’est le blocage des négociations européennes autour du règlement Dublin III, dont je crains qu’il ne soit durable, comme nous avons pu le mesurer en rencontrant la Direction générale « migration et affaires intérieures », ou, avec la commission des affaires européennes, au cours d’autres entretiens avec les commissaires européens.

D’une certaine manière, il est même excessif d’évoquer un droit européen de l’asile. La réalité, mes chers collègues, c’est que les traités ne donnent pas compétence à l’Union européenne en matière de droit d’asile. C’est tout le paradoxe ! Ce domaine relève strictement de la souveraineté des États et des législations nationales. Les accords qui sont intervenus sont multilatéraux, en dehors du traité de l’Union européenne, à l’exemple des accords de Schengen, qui réunissent, vous le savez, quatre pays qui ne font pas partie de l’Union européenne. Le règlement Dublin III est, quant à lui, issu des accords de Tampere, de 1999.

Notre déception est donc considérable s’agissant du blocage de toute négociation sur ce terrain, avec les problèmes que chacun de vous connaît quant à la position des pays de l’ex-Europe de l’Est, voire de pays traditionnellement proches du nôtre, qui ne partagent pas tout à fait nos appréciations et, en particulier, ne sont pas prêts à renoncer à leur propre dispositif. La reconnaissance mutuelle des décisions prises en matière de droit d’asile, seule manière de répondre à la problématique des migrants secondaires, tout à fait caractéristique du règlement Dublin III, ne semble pas possible en l’état. Je voulais insister sur cette dimension européenne, en amont des discussions que nous aurons sur le futur texte.

Techniquement, les propositions qui nous sont faites correspondent effectivement aux enjeux.

La première réponse apportée dans la proposition de loi consiste à préciser les critères permettant de placer un demandeur en rétention, alors que l’autorisation de transfert n’a pas encore été obtenue, c’est-à-dire pendant la période de demande, à condition que celle-ci soit limitée dans le temps. Cette mesure correspond à la position exprimée par le Conseil d’État.

La deuxième réponse figurant dans la proposition de loi porte sur un meilleur contrôle de l’assignation à résidence, afin de permettre aux préfectures de moins utiliser la rétention, qui est lourde et exigeante en nombre de places disponibles, comme l’a illustré un drame récent. Il s’agit ici de répondre aux préoccupations du Conseil constitutionnel.

La troisième réponse, probablement la plus importante, consiste à définir de manière plus objective les critères permettant de penser qu’il peut exister un risque de fuite, de manière à pouvoir de nouveau utiliser le mécanisme de rétention avant de procéder à l’expulsion effective une fois obtenu l’accord du pays responsable. C’est la réponse à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne et à celui de la Cour de cassation de septembre 2017.

Enfin, les dispositions que nous examinons – c’est important pour mon groupe – ne sont pas destinées à inverser la jurisprudence. Il ne s’agit pas d’aller à l’encontre de décisions de justice, lesquelles ont simplement tiré les conséquences d’insuffisances rédactionnelles de nos dispositions. Il s’agit de compléter ces dernières et non de contredire les décisions de nos plus hautes juridictions.

En conclusion, mon groupe approuve le texte proposé. Notre pays doit se doter de moyens techniques légaux proportionnels permettant de mettre fin aux situations irrégulières et le texte qui nous est soumis en fait partie.

Cela étant, le sujet reste ouvert en particulier sur le plan européen – c’est notre principal point de déception –, mais également sur le plan national.

Ce texte doit être examiné sans moralisation, sans débat sur le bien ou le mal, mais, simplement, à partir du constat que notre pays ne sait pas aujourd’hui « écarter » – la formule n’est pas élégante – les personnes qui ne relèvent pas du droit d’asile, mais, parallèlement, n’intègre pas correctement celles qui en relèvent et que nous devons protéger.

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