Séance en hémicycle du 25 janvier 2018 à 10h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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  • d’asile
  • fuite
  • migratoire
  • négligeable de fuite
  • placement
  • résidence
  • rétention

Sommaire

La séance

Source

La séance est ouverte à dix heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l’article 29 de notre règlement.

Cela n’a échappé à personne : la situation en milieu carcéral se dégrade de jour en jour. La sécurité du personnel pénitentiaire est en jeu, et la surpopulation carcérale est en cause. Les problèmes se stratifient depuis de nombreuses années, mais l’on ne peut plus continuer à mettre la poussière sous le tapis : il faut trouver une solution.

Aussi, le moment est venu d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat un débat relatif à la politique pénitentiaire. D’ailleurs, il y a bien longtemps que nous appelons de nos vœux une telle discussion.

À une situation extrêmement dégradée vient s’ajouter aujourd’hui l’arrivée fracassante de nouveaux détenus de plus en plus radicalisés, confrontés à d’autres, radicalisés depuis longtemps.

Voilà au moins quinze ans que Farhad Khosrokhavar alerte l’opinion sur ce sujet et que, de notre côté, nous multiplions rapports et missions, mais rien ne se fait.

C’est la raison pour laquelle, par ce rappel au règlement, monsieur le président, je demande qu’un débat consacré à cette question soit inscrit à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

L’ordre du jour appelle l’examen de quatre projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ces quatre projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Chili relatif à l’emploi rémunéré des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, signé à Paris le 8 juin 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État Plurinational de Bolivie relatif à l’emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, signé à Paris le 9 novembre 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Chili relatif à l’emploi rémunéré des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre et de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l’État plurinational de Bolivie relatif à l’emploi salarié des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre (projet n° 164, texte de la commission n° 221, rapport n° 220).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

Le projet de loi est adopté.

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Congo relatif à l’activité professionnelle salariée des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, signé à Brazzaville le 26 février 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Équateur sur l’emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles, signé à Quito le 1er avril 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou relatif à l’activité rémunérée des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, signé à Lima le 14 avril 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Congo relatif à l’activité professionnelle salariée des personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre, de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d’Équateur sur l’emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles, et de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Pérou relatif à l’activité rémunérée des membres des familles des agents des missions officielles de chaque État dans l’autre (projet n° 66, texte de la commission n° 222, rapport n° 220).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

Le projet de loi est adopté.

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signé à Paris le 17 mars 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la principauté d’Andorre relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière (projet n° 185, texte de la commission n° 225, rapport n° 223).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

Le projet de loi est adopté définitivement.

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à la coopération technique et à l’assistance mutuelle en matière de sécurité civile et à l’intégration des équipes de secours andorranes dans les équipes de secours françaises lors de leurs interventions hors du territoire français en cas de catastrophes naturelles ou d’accidents technologiques majeurs, signé à Paris le 17 mars 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la principauté d’Andorre relatif à la coopération technique et à l’assistance mutuelle en matière de sécurité civile (projet n° 184, texte de la commission n° 224, rapport n° 223).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

Le projet de loi est adopté définitivement.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, permettant une bonne application du régime d’asile européen (proposition n° 149, texte de la commission n° 219, rapport n° 218).

Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, pour votre bonne information quant à l’organisation de nos travaux, je vous indique que je devrai suspendre la séance un peu avant midi. Nous reprendrons nos travaux à quatorze heures trente.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d’État.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Collomb

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, sur proposition de M. Jean-Luc Warsmann et de plusieurs membres du groupe UDI, Agir et Indépendants, l’Assemblée nationale a examiné et adopté après modifications, le 7 décembre dernier, la proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen, c’est-à-dire du cadre juridique qui permet l’application du règlement européen du 26 juin 2013, dit « règlement Dublin ».

Cette initiative législative est apparue particulièrement opportune aux yeux du Gouvernement, alors que plusieurs décisions de justice ont remis en cause la bonne application de ces mécanismes qui permettent d’organiser la répartition des demandes d’asile entre les pays de l’Union européenne.

Cette question est d’autant plus importante que, comme vous le savez, alors même que partout en Europe la demande d’asile est orientée à la baisse, la France fait face à une forte croissance, avec 100 000 demandes en 2017, soit une augmentation de 17 %, après des hausses de 6 % en 2016 et de 23 % en 2015. Et c’est sans compter les 85 000 personnes qui ont fait l’objet d’une décision de non-admission à nos frontières.

La demande d’asile est d’abord portée par des nationalités dont le besoin de protection n’est pas très élevé, à l’instar de l’Albanie ou des pays d’Afrique francophone, comme la Guinée ou la Côte d’Ivoire. Mais ce sont surtout les flux de rebond, c’est-à-dire les personnes ayant déjà demandé l’asile dans un autre pays européen et venant tenter leur chance dans l’Hexagone, qui alimentent cette hausse continue de la demande.

Jusqu’à une période récente, ces flux de rebond étaient très minoritaires : en 2016, ils représentaient seulement 11 % des demandes d’asile. Mais, depuis quelques mois, la donne a changé. En 2017, 36 % des demandes d’asile en France, soit 41 500 demandes, émanaient de personnes relevant de l’application du règlement Dublin. En Île-de-France, dans les Hauts-de-France, cette proportion a même atteint les 75 %.

À titre d’illustration, pour la seule année 2017, le nombre de personnes déboutées du droit d’asile en Allemagne s’est élevé à plus de 230 000, ce qui porte à 500 000 le nombre de déboutés en Allemagne au cours des trois dernières années. Or cette tendance devrait se poursuivre au vu du nombre considérable de personnes déboutées du droit d’asile en Europe, mais n’ayant fait l’objet d’aucune procédure d’éloignement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cet accroissement important de la demande d’asile a conduit le Gouvernement à développer de manière substantielle nos capacités d’hébergement. Je rappelle à ce titre que les moyens budgétaires affectés à la mission « Immigration, asile et intégration » ont été augmentés de 26 % dans le cadre de la loi de finances pour 2018 : ainsi, nous porterons les capacités du dispositif national d’accueil à 88 000 places à l’horizon 2019, ce qui constituera une augmentation de près de 8 000 places en l’espace de trois ans.

Malgré ces efforts, notre système d’hébergement demeure au bord de l’embolie.

Pouvons-nous laisser perdurer une situation dans laquelle des milliers de personnes, dont la prise en charge relève pourtant d’autres États, viendraient menacer l’équilibre même de tout notre système ?

Chacun mesure que tout cela n’est pas viable.

La législation européenne doit être respectée.

Afin de remédier à ces difficultés, j’ai, dès ma prise de fonctions, demandé aux préfets d’appliquer strictement le règlement Dublin en procédant au transfert des personnes vers l’État membre responsable du traitement de leur demande d’asile.

En la matière, nous avons obtenu de vrais résultats, puisque le nombre de transferts Dublin a doublé par rapport à 2016, ce qui a permis, dans certains territoires, de soulager nos dispositifs d’hébergement et d’asile.

Or, depuis quelques mois, ces progrès significatifs, que nous avions obtenus au prix d’une implication forte de l’administration, se trouvent fragilisés par plusieurs décisions juridictionnelles.

Le 15 mars 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE, saisie d’une affaire qui ne concernait pas la France, mais la République tchèque, a invité tous les États membres de l’Union à définir dans leur loi nationale les critères objectifs fondant le « risque non négligeable de fuite » d’un étranger en procédure Dublin, et donc la possibilité d’un placement en rétention.

Sur le fondement de cet arrêt, la Cour de cassation a souligné, le 27 septembre dernier, que, si notre droit interne définit bien le « risque de fuite », il devait, pour autoriser le placement en rétention des personnes sous procédure Dublin, préciser ce qu’est le « risque non négligeable de fuite ».

Enfin, le 19 juillet 2017, le juge des référés du Conseil d’État a indiqué que le droit français ne permettait pas au préfet de placer en rétention un étranger soumis au règlement Dublin au cours de la phase de détermination de l’État responsable de sa demande d’asile.

L’effet pratique de ces différentes décisions de justice est d’interdire le placement en rétention de personnes relevant de la procédure Dublin.

Il convenait donc d’adopter de nouvelles dispositions législatives, car, sans placement en rétention, il ne peut y avoir d’efficacité de notre politique d’éloignement.

C’est pourquoi la proposition de loi déposée par les élus du groupe UDI, Agir et Indépendants de l’Assemblée nationale nous est apparue profondément utile. D’ailleurs, les députés en sont convenus en adoptant ce texte, qui vous est aujourd’hui soumis.

Pour répondre aux décisions de la CJUE et de la Cour de cassation, l’article 1er de la présente proposition de loi précise les conditions dans lesquelles un étranger faisant l’objet d’une décision de transfert ou d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement Dublin peut être placé en rétention.

Ce placement ne pourra être décidé que pour prévenir un risque non négligeable de fuite, sur la base d’une évaluation individuelle prenant en compte l’état de vulnérabilité de l’intéressé, uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si l’assignation à résidence ne peut être effectivement appliquée.

À cet effet, le texte définit ce qui caractérise un « risque non négligeable de fuite », par exemple le fait pour l’étranger de s’être déjà soustrait, dans un autre État membre, à l’application du règlement Dublin ; d’avoir déjà été débouté de sa demande d’asile ; de s’être soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ; ou encore, pour se maintenir sur le territoire français, d’avoir contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage.

De manière très opportune, les députés ont souhaité apporter certaines précisions relatives à la définition de ce risque non négligeable de fuite. À titre d’exemple, si le fait pour l’étranger de dissimuler des éléments de son identité peut caractériser le risque de fuite, il a été ajouté que la circonstance tirée de ce que l’étranger ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité ne peut suffire, à elle seule, à établir une telle dissimulation.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Collomb

J’en viens au deuxième axe de cette proposition de loi.

L’article 1er transpose en droit interne la possibilité ouverte par l’article 28 du règlement Dublin de placer en rétention administrative un étranger pendant la phase de détermination de l’État responsable de la demande d’asile, ce qui répond à l’avis du Conseil d’État du mois de juillet dernier.

Cet article permet également d’étendre les critères d’appréciation du risque non négligeable de fuite lorsque le placement en rétention administrative intervient alors que l’étranger était assigné à résidence et qu’il n’a pas respecté les prescriptions de cette dernière.

Je tiens à préciser que des garanties complémentaires ont été apportées lors de l’examen par l’Assemblée nationale. Ainsi, un décret devra préciser les modalités de prise en compte de la vulnérabilité des « dublinés » et, le cas échéant, de leurs besoins particuliers.

De même, le présent texte indique désormais que l’étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l’État responsable de l’examen de sa demande d’asile et, le cas échéant, à l’exécution d’une décision de transfert.

Au-delà de nombreuses améliorations rédactionnelles et de précisions juridiques, votre commission des lois a, pour sa part, souhaité apporter des compléments au texte de cette proposition de loi. Je comprends les préoccupations que ces compléments traduisent, même si certains d’entre eux pourraient soit paraître éloignés de l’objet de la proposition de loi, soit être d’une efficacité relative.

Ainsi, votre commission a introduit un nouveau motif caractérisant le risque non négligeable de fuite applicable si l’étranger refuse de se soumettre au relevé de ses empreintes digitales ou s’il altère volontairement ces dernières pour empêcher leur enregistrement.

Pour ma part, je suis sensible au réel problème que pointe cette modification, problème qui, du reste, dépasse la seule question des étrangers soumis au règlement Dublin.

Actuellement, en effet, le refus pour l’étranger de se soumettre à une prise d’empreintes constitue un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Toutefois, ces peines sont très peu appliquées ; elles sont donc dénuées de caractère dissuasif. Le Gouvernement a la volonté de remédier à cette situation. Il envisage de faire des propositions visant à rendre applicable à ce délit la peine d’interdiction du territoire français, dans le cadre du projet de loi Asile et immigration, lequel est actuellement soumis à l’examen du Conseil d’État.

Un autre complément est proposé par votre commission des lois : la réduction du délai de recours juridictionnel de la décision de transfert Dublin.

Actuellement, cette décision peut être contestée dans un délai de quinze jours devant le juge administratif. Votre commission des lois a prévu de ramener ce délai à sept jours, au motif que cette proposition est reprise par la Commission européenne dans son projet de refonte du règlement Dublin, lequel est en cours de discussion. Il s’agit évidemment d’une disposition sensible, mais le Gouvernement comprend le souci d’efficacité qui l’anime.

Votre commission des lois a par ailleurs prévu de porter de quatre à six jours la durée de validité des ordonnances prises par les juges des libertés et de la détention autorisant des visites domiciliaires chez les étrangers assignés à résidence.

Ces visites ont pour objet de s’assurer de la présence de l’étranger à son lieu d’assignation à résidence et de le conduire, le cas échéant, à ses rendez-vous administratifs.

Le Gouvernement partage, là aussi, le souci d’amélioration de l’efficacité de ce dispositif introduit dans notre droit par la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, même si cette proposition n’est pas directement en rapport avec la problématique des étrangers relevant de l’application du règlement Dublin.

Enfin, a été introduit dans la proposition de loi un article 3 visant à tirer les conséquences de la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité du 30 novembre 2017, par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution, à compter du 30 juin 2018, les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, en vertu desquelles l’assignation à résidence des étrangers ayant été condamnés à la peine d’interdiction du territoire français, mais dont l’éloignement est impossible, n’était pas limitée dans le temps.

Le Gouvernement considère d’un œil positif cet ajout, qui comble un vide juridique et opérationnel, dans la mesure où la date du 30 juin 2018 approche à grands pas, même si cet article est lui aussi éloigné de l’objet de la présente proposition de loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement relève que, dans leur totalité, les apports voulus par les députés n’ont pas été remis en cause au terme de l’examen du texte par votre commission des lois, en particulier les compléments ou garanties supplémentaires qu’ils ont apportés.

L’analyse du texte élaboré par la commission conduit le Gouvernement à ne pas s’opposer aux ajouts décidés, même si je relève que certaines de ces questions seront traitées dans le cadre du projet de loi Asile et immigration.

Nous appelons donc la Haute Assemblée à voter cette proposition de loi dans les termes qui sont proposés par la commission des lois du Sénat.

Surtout, nous estimons désormais urgent de pouvoir disposer, dans les meilleurs délais, du cadre juridique adapté pour reprendre l’application du règlement Dublin, afin de retrouver notre capacité à procéder à des transferts d’étrangers vers les États responsables de l’examen de leur demande d’asile. Comme je l’ai dit en commençant, il s’agit là d’une problématique majeure dans le contexte migratoire que je vous ai exposé.

Je veux, mesdames, messieurs les sénateurs, vous remercier.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à rappeler à cette tribune le caractère compréhensif du travail accompli par la commission des lois du Sénat sur le texte soumis à son examen.

J’ajoute que les points particuliers que nous avons relevés et fait évoluer sont, naturellement, en lien direct avec l’objet de cette proposition de loi.

De surcroît, nous avons bien conscience qu’il s’agit là d’un texte urgent.

Voici ce que déclare M. Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides : « L’OFPRA subit de plein fouet les failles du système européen de l’asile. »

Cette proposition de loi est courte, son objet est limité et son but est très clair. Il s’agit de résoudre un problème ponctuel, mais urgent : l’impossibilité de placer en rétention et de transférer efficacement les étrangers dont la demande d’asile relève d’un autre pays européen, en application du règlement Dublin.

Il est vrai que le régime d’asile européen commun repose sur un principe cardinal : un seul État est compétent pour l’examen d’une demande d’asile.

Ce principe a été mis en œuvre par plusieurs textes européens, le dernier en date étant le troisième règlement Dublin, de 2013. Il s’applique dans trente-deux États européens, et les deux objectifs qu’il vise sont complémentaires : premièrement, coordonner les politiques d’asile des États européens et s’assurer que toutes les demandes déposées soient effectivement examinées, en vertu du principe de non-refoulement de la convention de Genève ; deuxièmement, lutter contre un éventuel forum shopping, une course à l’État le plus favorable.

Pour déterminer l’État responsable de l’examen de la demande d’asile, huit critères hiérarchisés sont prévus. Ils prennent en compte la situation familiale du demandeur ainsi que son parcours personnel et migratoire.

En pratique, deux critères prédominent.

Tout d’abord, l’État responsable de la demande d’asile sera généralement celui qui a reçu la première demande d’asile ou celui dans lequel le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière, terrestre, maritime ou aérienne, de l’espace européen Dublin. Concrètement, le système fonctionne principalement à partir des prises d’empreintes digitales des demandeurs, enregistrées dans la base de données EURODAC.

Ensuite, le règlement prévoit les modalités de transfert des étrangers « dublinés » vers l’État responsable du traitement de la demande. Faute de transfert après un certain délai, généralement fixé à six mois, l’État où se trouve l’étranger redevient responsable de l’examen de sa demande d’asile.

En France, en 2016, près de 26 000 procédures Dublin ont été engagées sur le territoire national, soit une multiplication par cinq du nombre des « dublinés » par rapport à l’année 2014. Sur les 14 000 procédures Dublin pour lesquelles la France a recueilli l’accord d’un autre État européen responsable de reprendre l’étranger pour examiner sa demande, seules environ 1 300 ont abouti à un transfert effectif. Le taux de transferts exécutés s’établit ainsi à 9 %, ce que l’on peut considérer comme dérisoire : c’est bien la preuve que le système ne fonctionne plus.

Il faut le dire : en pratique, le système est aujourd’hui à bout de souffle. Dublin fonctionne tant que les flux migratoires ne sont pas trop importants ; mais, en cas de crise migratoire, la difficulté est majeure.

D’après l’OFPRA, la France a enregistré 100 412 demandes d’asile en 2017. Signe de l’ampleur de la crise migratoire, ce nombre est en hausse de 17 % par rapport à 2016 et de 90 % par rapport à 2010.

L’ensemble des États « Dublin » connaissent des difficultés dans la mise en œuvre des procédures de réadmission. En 2016, 3 968 transferts ont été effectivement réalisés par l’Allemagne, sur 55 690 procédures engagées, contre 5 244 par la Suède, sur 12 118 procédures, et 61 par l’Italie, sur 14 229 procédures…

En réalité, plusieurs facteurs expliquent cet échec.

Tout d’abord, je pense au manque de solidarité entre les États : le système pèse particulièrement sur un nombre restreint d’États « périphériques » comme la Grèce, l’Italie, la Hongrie, la Bulgarie et la Roumanie, ce qui remet évidemment en cause sa soutenabilité.

Ensuite, je citerai les stratégies d’évitement des États et aux refus de recueil d’empreintes : seuls 23 % des franchissements irréguliers d’une frontière extérieure de l’Union européenne font l’objet d’un prélèvement d’empreintes digitales, ce qui, bien sûr, nuit gravement à l’efficacité de la base de données EURODAC.

Entre le 1er janvier et le 18 septembre 2017, sur 5 576 présentations à la borne EURODAC du Calaisis, 3 469 refus de prélèvement d’empreintes ont été enregistrés, ce qui représente à peu près 62 % de l’ensemble. Au total, 132 personnes ont été placées en garde à vue et aucune n’a été poursuivie pénalement.

En France, le problème s’est récemment trouvé renforcé par l’impossibilité juridique de placer en rétention les étrangers qui doivent être transférés en application du règlement Dublin : c’est bien là le problème !

Des jurisprudences récentes ont remis en cause tout placement en rétention d’étrangers « dublinés », rendant ainsi leur transfert quasi impossible.

Avons-nous mal anticipé ?

Dans tous les cas, il n’y a pas de rétention possible avant la décision de transfert : le Conseil d’État a jugé, en juillet 2017, que le droit français ne prévoyait pas le placement en rétention des étrangers sous procédure Dublin en amont de la décision de transfert, leur rétention étant seulement possible après notification de cette décision.

Il n’y a pas non plus de rétention après la décision de transfert. Depuis mars 2017, la CJUE n’autorise le placement en rétention des Dublinés après une décision de transfert que sous conditions : uniquement si le droit national de l’État précise, par des dispositions de portée générale, la définition du « risque non négligeable de fuite », qui justifie un placement en rétention. Un arrêt du 27 septembre 2017 de la Cour de cassation en a tiré les conséquences. Il constate que la France n’a pas défini spécifiquement ce « risque non négligeable de fuite » et interdit donc le placement en rétention des « dublinés ».

Naturellement, cette situation doit être réglée, car nous ne pouvons pas accepter le statu quo dans ces conditions.

Tel est l’objet du présent texte : sécuriser nos procédures.

Cette proposition de loi émane de notre collègue député Jean-Luc Warsmann et entend répondre à ce problème juridique. Elle vise à sécuriser le placement en rétention des « dublinés » et à prévoir qu’il puisse, dans certains cas, intervenir dès le début de la procédure Dublin, sans que l’on doive attendre la notification de la décision de transfert.

Le texte transmis par l’Assemblée nationale prévoit ainsi onze critères alternatifs permettant, sauf circonstance particulière, de caractériser un « risque non négligeable de fuite ». Il simplifie également le régime d’assignation à résidence des « dublinés » et garantit leur droit à l’information.

La commission des lois du Sénat, qui s’est prononcée sur cette proposition de loi la semaine dernière, entend répondre aux demandes du terrain et combler rapidement ce vide juridique.

Je rappelle que les services de l’État sont aujourd’hui démunis face à l’augmentation du nombre de procédures Dublin et face à leur difficile mise en œuvre.

En outre, j’indique au Sénat qu’une délégation de la commission a visité le centre de rétention administrative de Lesquin. À cette occasion, nous avons rencontré les nombreux acteurs qui gèrent la politique migratoire dans le département du Nord : je parle des services préfectoraux, de la police aux frontières, des avocats, des magistrats et des associations.

Les problèmes rapportés étaient frappants : sur-sollicitation des personnels, complexité extrême des procédures, taux dérisoires d’exécution des mesures d’éloignement, hausse des comportements violents, alors qu’aucun migrant relevant des accords de Dublin ne se trouvait en centre de rétention, puisque c’est interdit.

La commission des lois, qui entend bien ces demandes, juge effectivement urgent de conforter et d’améliorer l’efficacité des procédures Dublin. Elle a ainsi adopté trois amendements.

Ils visent, le premier, à lutter plus efficacement contre les refus de prise d’empreintes digitales qui minent l’efficacité des procédures, le deuxième, à accélérer les procédures en réduisant de quinze à sept jours le délai de recours contre une décision de transfert, et, le troisième, à faciliter l’organisation des visites domiciliaires pour s’assurer de la présence d’un étranger assigné à résidence, sans avoir recours à la rétention.

En outre, la commission des lois a souhaité sécuriser, à l’article 3 du texte, les assignations à résidence des étrangers faisant l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire – un aspect important de notre politique migratoire –, dont le régime a été fragilisé, fin 2017, par une décision du Conseil constitutionnel.

Il lui a semblé absolument nécessaire de contrôler la présence sur le territoire d’individus potentiellement dangereux qui, pour certains, ont été condamnés pour des actes de terrorisme. Il était important de régler ce problème juridique dès maintenant, car, sans faire offense à personne, nous ne sommes pas certains que le texte promis par le Gouvernement sur l’asile et l’immigration soit bien voté définitivement à la fin du mois de juin prochain. Pour des raisons pratiques, il m’a paru utile de profiter de l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui pour garantir la sécurité de notre droit national, tout en restant dans la logique de ce texte.

L’objet limité de cette proposition de loi ne fait pas oublier la nécessité d’un débat plus large sur l’immigration et sur les procédures d’éloignement.

Lors de l’examen du prochain projet de loi, annoncé pour le printemps prochain, le Sénat veillera à ce que le Gouvernement reste suffisamment ambitieux pour traiter de l’ensemble de la question migratoire : simplifier substantiellement les procédures, assurer des moyens aux politiques d’asile et d’intégration, redoubler nos efforts diplomatiques pour rendre plus efficaces les expulsions et faire enfin aboutir la réforme du régime d’asile européen pour le rationaliser et pour prévoir davantage de solidarité entre les États membres.

La commission des lois partage les objectifs assignés à ce texte par le Gouvernement et a émis, à la majorité et non à l’unanimité, un avis favorable à son adoption.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le point de départ de ma réflexion est cette phrase du préambule de la Constitution de 1946, elle-même héritée de la Révolution française : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »

Cette phrase nous rappelle que notre tradition républicaine et nos obligations conventionnelles nous contraignent à prévoir non seulement des procédures de traitement des demandes d’asile conformes aux principes de l’État de droit, mais également les aspects matériels de l’accueil des demandeurs : une allocation financière, un logement, un accès aux soins et à l’éducation pour les enfants.

Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, le Gouvernement a prévu un effort budgétaire en ce sens, comme le rappelait il y a quelques jours encore le Président de la République à Calais. Il l’a lui-même indiqué : il s’agit de garantir le respect du principe de dignité de la personne, tout en maintenant l’ordre public.

Dans un contexte marqué également par les surenchères médiatiques, nos collègues députés du groupe Les Constructifs ont choisi d’ouvrir le débat, avant l’examen du futur projet de loi relatif à l’immigration et à l’asile, sur une question très précise : le sort réservé aux demandeurs d’asile dont on suspecte, à partir d’une liste de critères à définir, qu’ils présentent un risque non négligeable de fuite en vue d’une procédure de transfert vers un autre État membre de l’Union européenne responsable de leur demande d’asile, conformément à la règle européenne selon laquelle la demande doit être formulée dans le premier pays européen où entrent les personnes considérées.

Il est vrai que la décision de la Cour de justice de l’Union européenne à l’origine de cette proposition de loi ne nous obligeait qu’à mieux définir ce risque non négligeable de fuite en fixant des critères objectifs.

Il faut cependant également insister sur le fait que le texte qui nous est soumis aujourd’hui nous contraint à réfléchir sur un deuxième point : la pertinence d’élargir la possibilité de placer en rétention administrative des « dublinés » avant même que leur soit notifiée la décision de leur transfert.

Si l’on réfléchit à droit européen constant, il est clair que les personnes dont la prise en charge relève d’autres États membres doivent in fine faire l’objet d’un transfert vers ces États, a fortiori lorsqu’une décision définitive leur ouvre droit à l’asile, ou contraint l’État responsable à organiser leur retour.

Cependant, le placement en rétention administrative de demandeurs d’asile sans que l’on soit certain qu’ils feront l’objet d’une procédure de transfert nous conduit à réfléchir à l’importance que nous accordons au principe de dignité humaine.

Le débat est comparable à celui qui avait agité le Conseil d’État il y a quelques années et qui mettait aussi face à face le respect de l’ordre public, d’une part, et celui de la dignité de la personne humaine, d’autre part.

À l’époque, le Conseil d’État avait jugé qu’il était stérile de vouloir les opposer, dès lors que la dignité était une composante de l’ordre public.

C’est également la position de la grande majorité de mon groupe, dont la volonté est non pas de s’opposer à la mise en œuvre des procédures de transfert prévues par le règlement Dublin III, mais de s’assurer qu’ici et là le respect de l’ordre public ne soit pas réduit à son interprétation la plus restrictive, qui n’intégrerait pas la notion de dignité humaine.

Les amendements déposés par mes collègues vont d’ailleurs dans ce sens, en particulier ceux qui tendent à garantir que seront placées en centre de rétention uniquement les personnes qui feront effectivement l’objet d’un transfert, et à protéger les personnes les plus vulnérables, telles que les enfants.

L’effectivité du droit au recours est aussi un sujet de préoccupation classique au sein de mon groupe.

Le débat portera également sur les critères retenus pour établir le risque non négligeable de fuite, dès lors qu’aucune étude d’impact ne permet d’évaluer le nombre de personnes concernées par la mesure, selon le critère retenu.

À ce titre, la plupart des membres de mon groupe regrettent que ces dispositions ne soient pas discutées avec les autres mesures du projet de loi à venir.

Nous avons enfin tous à l’esprit qu’il incombe aujourd’hui au Gouvernement de négocier les nouveaux contours du règlement Dublin, même si la tâche s’annonce difficile.

Nous sommes favorables à l’élaboration d’un système plus coopératif, où les États membres ne remplissant pas leur devoir d’accueil de demandeurs d’asile devraient verser des compensations financières aux États les plus accueillants.

Compte tenu de la pression géographique inégale que subissent certains États de l’Union, il paraît en outre nécessaire de revoir le principe de responsabilité, en introduisant, par exemple, une meilleure prise en compte du critère des liens effectifs entre le demandeur d’asile et l’État membre.

En conclusion, je veux réaffirmer notre soutien au Gouvernement dans les négociations qu’il conduit au niveau européen.

En revanche, la position de mon groupe sur ce texte est plus partagée, et dépendra grandement du sort réservé aux amendements qui seront défendus par Josiane Costes.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud de Belenet

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, deux décisions de justice, l’une européenne et l’autre nationale, ont révélé la fragilité juridique des procédures Dublin. Cette proposition de loi vient définir les conditions de placement en rétention de certains demandeurs d’asile, lequel, comme nous le rappelait François-Noël Buffet, reste l’exception.

Il s’agit, d’abord, d’un texte technique.

Je veux souligner le travail effectué par l’Assemblée nationale, qui est parvenue à une solution équilibrée. Ce texte, en effet, permet de tirer les conséquences des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation, en précisant les critères objectifs au vu desquels doit s’apprécier le risque non négligeable de fuite. Il garantit également l’efficacité de l’action en permettant le placement en rétention dès la phase de détermination de l’État responsable tout en préservant, enfin, les droits fondamentaux, avec l’introduction, par voie d’amendements de mes collègues députés du groupe La République En Marche, des notions d’individualisation, de proportionnalité, de vulnérabilité et de l’obligation d’information des demandeurs d’asile sur leurs droits et obligations.

Au Sénat, la commission des lois a souhaité compléter le dispositif en ajoutant un douzième critère pour caractériser le risque non négligeable de fuite : le refus de se conformer à l’obligation de donner ses empreintes digitales. Elle propose également de réduire le délai de recours contre une décision de transfert. Enfin, s’agissant des assignations à résidence, elle souhaite, d’une part, faciliter l’organisation de visites domiciliaires pour s’assurer de la présence d’un étranger assigné à résidence et, d’autre part, sécuriser les assignations à résidence des étrangers faisant l’objet d’une interdiction judiciaire.

Cette proposition de loi a donc été enrichie dans un souci d’équilibre mesuré.

Il ne s’agit pas ici de renégocier le règlement Dublin, ni le régime du droit d’asile et encore moins les conditions d’entrée et de séjour des étrangers, mais ce texte revêt bien une dimension politique, particulièrement à l’approche de la refondation de notre politique d’immigration et d’asile sur laquelle travaille le Gouvernement.

Nous conviendrons certainement ici que le phénomène majeur de ce siècle est la crise migratoire, que celle-ci cristallise des désastres humanitaires et des risques sécuritaires, que la moitié des réfugiés arrivés en Europe ces trois dernières années sont le résultat des guerres, sans doute ratées, de l’Occident.

Nous conviendrons certainement aussi que l’Europe, y compris la France, faillit en n’accueillant pas dignement des hommes, des femmes et des enfants qu’elle doit protéger, mais qu’elle ne peut accueillir toute la misère du monde, ne l’oublions pas.

Nous conviendrons sans doute enfin que, partout en Europe, nos concitoyens sont choqués de l’absence de maîtrise des déplacements et des installations sur notre sol. Les images de la jungle de Calais et de Lampedusa ou les agressions de Cologne font le miel des extrêmes, et conduisent aux succès électoraux que l’on connaît, en Autriche, au Bundestag en Allemagne, peut-être également en Grande-Bretagne, avec le Brexit, mais aussi lors de scrutins locaux ou nationaux en France.

Ce texte, technique, par conséquent concret et opérationnel, pose deux questions de vérité.

Au-delà des incantations, des déclarations de principe, voulons-nous doter notre pays de politiques d’éloignement efficaces, des moyens de réguler les flux sur notre territoire pour accueillir dignement celles et ceux qui ont droit à notre protection ? Approuver ce texte, c’est répondre oui.

Ces dispositifs de régulation relèvent de la compétence des États membres de l’Union européenne. Approuver ce texte, c’est donc, c’est la seconde réponse, refuser de renoncer à notre souveraineté nationale.

Le groupe La République En Marche soutiendra cette proposition de loi.

M. Julien Bargeton applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen », tel est le titre trompeur du texte qui nous réunit aujourd’hui. « Proposition de loi visant à la banalisation de l’enfermement des étrangers » ou « proposition de loi visant à affaiblir un peu plus le droit d’asile » : voilà des intitulés qui auraient reflété le véritable contenu de ce texte.

En effet, les artifices rhétoriques n’y changeront rien, l’objectif de cette proposition de loi, déposée opportunément par les députés Les Constructifs à quelques mois de l’examen du projet de loi sur l’asile et l’immigration, est uniquement d’augmenter le nombre de placements en rétention pour accroître celui des reconduites à la frontière.

C’est un retour à une politique du chiffre, donc, et au tout-répressif en matière de politique migratoire.

Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, dois-je, en cette circonstance, vous répéter ce que les défenseurs des droits fondamentaux nous rappellent depuis des mois : la gestion répressive des migrations et le non-respect du droit d’asile ne donnent jamais les résultats que l’on prétend en attendre. D’autres parmi vos prédécesseurs, monsieur le ministre d’État, s’y sont essayés, sans grand succès.

Nous opposera-t-on que toutes ces voix, ces presque cinq cents associations, ces avocats, ces magistrats, ces citoyens, dénonçant une politique d’une dureté sans précédent, mentent, probablement sous l’influence de terribles groupuscules d’extrême gauche ? Dérisoire réponse ! Que dira-t-on alors du Défenseur des droits, qui considère que cette proposition de loi « constitue un tournant politique déplorable en termes de respect des droits et des libertés fondamentales » ? Encore un gauchiste ?

Le sujet est grave : il s’agit de priver de liberté des demandeurs d’asile juste pour se donner le temps de déterminer l’État européen par lequel ils sont arrivés en premier et où ils ont laissé leurs empreintes. Il s’agit de priver de liberté des demandeurs d’asile contre lesquels aucune mesure d’éloignement n’a été prise.

Comme le rappelle la CIMADE, aucune régression de cette ampleur n’avait jamais été envisagée par le législateur. La rétention n’a pas été pensée pour enfermer les gens à titre préventif, pour les avoir sous la main et pour faire le tri entre bons réfugiés et mauvais migrants. Elle devrait uniquement permettre à l’administration – dans un délai raisonnable et dans le respect des droits fondamentaux – d’exécuter une mesure d’éloignement du territoire.

Tout, dans cette proposition de loi, qui est dans la droite ligne des positions du Gouvernement, vient heurter les principes fondamentaux du droit autant que nos convictions.

Les demandeurs d’asile, même placés en procédure Dublin, sont en situation régulière. Et l’on voterait, sans sourciller, la possibilité de les priver de liberté ?

S’ériger contre pareille mesure, mes chers collègues, c’est défendre des valeurs, mais c’est aussi, et peut-être avant tout, défendre la Constitution !

« Humanité et fermeté », tel est le nouveau slogan lancé par le Président Macron et repris à l’envi par les membres du Gouvernement. Sur la fermeté, pas de doute possible, les promesses sont tenues. Quant à l’humanité, on en attend encore des preuves.

On n’en trouvera certainement pas dans un texte consacrant la possibilité d’enfermer les familles avec enfants mineurs, placés en procédure Dublin, alors même que la France a été condamnée six fois par la Cour européenne des droits de l’homme pour cette pratique. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’opposera évidemment avec force à cette proposition de loi inique.

Ses membres ne cesseront pas de dénoncer, chaque fois que l’occasion leur en sera donnée, une politique migratoire dont ils ont observé les effets dramatiques à Paris, à Calais, à Ouistreham, à Briançon, à Menton et ailleurs.

Comme plusieurs personnalités, pourtant proches de M. Macron, l’ont écrit dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, nous ne nous résignons pas à vivre « dans un pays où l’on arrache leurs couvertures à des migrants à Calais. Où l’on lacère leurs toiles de tente à Paris. Où l’on peut se perdre, pieds et mains gelés, sur les pentes enneigées de la frontière franco-italienne. Où des circulaires cherchent à organiser le recensement administratif dans les centres d’hébergement d’urgence. » Comment pourrions-nous accepter que « des Érythréens, des Soudanais ou des Syriens, humiliés dans leur pays, torturés en Libye, exploités par des passeurs criminels, terrorisés en Méditerranée et entrés en Europe par la Grèce ou l’Italie [puissent] bientôt être privés de liberté en France ? »

Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le droit d’asile est le sombre miroir des crises migratoires et des mouvements de réfugiés. J’ai consulté, en préparant cette intervention, des travaux universitaires avançant le chiffre de 64 millions de réfugiés à travers le monde, l’Asie arrivant devant l’Afrique et celle-ci devant l’Europe, dans une approche strictement quantitative.

Dans notre pays, le cap des 100 000 demandes d’asile a été franchi en 2017, ce qui a marqué les esprits.

Ces mouvements puissants conduisent à s’interroger sur les États-nations, leur souveraineté, comme sur la notion de citoyenneté. Le sujet est donc complexe ; il renvoie à des questions éthiques ou philosophiques perturbantes.

Le droit d’asile, nous le savons, est une règle internationale qui est concrétisée dans la convention de Genève et qui bénéficie d’une protection constitutionnelle dans notre pays. Le Sénat sera toujours le défenseur des libertés individuelles, comme des traditions républicaines, pour reprendre une formule utilisée par l’un des orateurs précédents.

Ce que nous examinons aujourd’hui, ce n’est pas la réforme du droit français de l’asile, que M. le ministre d’État nous annonce pour dans quelques semaines, entre principe d’humanité et principe de réalité. Nous abordons aujourd’hui une première étape, officiellement strictement technique, en examinant des compléments relevant du règlement Dublin III.

Comme cela a été rappelé, il s’agit de tirer les conséquences de plusieurs décisions de justice qui ont mis en exergue les faiblesses de notre système juridique ou les insuffisances de la loi de 2015, sur lesquelles je n’insisterai pas, afin de ne pas être discourtois.

Avant d’exprimer, monsieur le ministre d’État, le soutien du groupe Union Centriste à cette proposition de loi, en écho à votre propre approbation, je voudrais émettre une réserve générale, pour aujourd’hui comme pour demain.

Je ne crois pas beaucoup à l’efficacité et à la pertinence d’une législation française du droit d’asile, ni aujourd’hui ni demain. L’enjeu et la solution sont européens. Ce sujet est typique de ce que le Président de la République a appelé, dans son discours de la Sorbonne, « l’européanisation de la souveraineté de la France ». Dans le cadre de la combinaison des moyens nationaux et européens, nous devons raisonner à partir d’une souveraineté partagée.

Le vrai problème, c’est le blocage des négociations européennes autour du règlement Dublin III, dont je crains qu’il ne soit durable, comme nous avons pu le mesurer en rencontrant la Direction générale « migration et affaires intérieures », ou, avec la commission des affaires européennes, au cours d’autres entretiens avec les commissaires européens.

D’une certaine manière, il est même excessif d’évoquer un droit européen de l’asile. La réalité, mes chers collègues, c’est que les traités ne donnent pas compétence à l’Union européenne en matière de droit d’asile. C’est tout le paradoxe ! Ce domaine relève strictement de la souveraineté des États et des législations nationales. Les accords qui sont intervenus sont multilatéraux, en dehors du traité de l’Union européenne, à l’exemple des accords de Schengen, qui réunissent, vous le savez, quatre pays qui ne font pas partie de l’Union européenne. Le règlement Dublin III est, quant à lui, issu des accords de Tampere, de 1999.

Notre déception est donc considérable s’agissant du blocage de toute négociation sur ce terrain, avec les problèmes que chacun de vous connaît quant à la position des pays de l’ex-Europe de l’Est, voire de pays traditionnellement proches du nôtre, qui ne partagent pas tout à fait nos appréciations et, en particulier, ne sont pas prêts à renoncer à leur propre dispositif. La reconnaissance mutuelle des décisions prises en matière de droit d’asile, seule manière de répondre à la problématique des migrants secondaires, tout à fait caractéristique du règlement Dublin III, ne semble pas possible en l’état. Je voulais insister sur cette dimension européenne, en amont des discussions que nous aurons sur le futur texte.

Techniquement, les propositions qui nous sont faites correspondent effectivement aux enjeux.

La première réponse apportée dans la proposition de loi consiste à préciser les critères permettant de placer un demandeur en rétention, alors que l’autorisation de transfert n’a pas encore été obtenue, c’est-à-dire pendant la période de demande, à condition que celle-ci soit limitée dans le temps. Cette mesure correspond à la position exprimée par le Conseil d’État.

La deuxième réponse figurant dans la proposition de loi porte sur un meilleur contrôle de l’assignation à résidence, afin de permettre aux préfectures de moins utiliser la rétention, qui est lourde et exigeante en nombre de places disponibles, comme l’a illustré un drame récent. Il s’agit ici de répondre aux préoccupations du Conseil constitutionnel.

La troisième réponse, probablement la plus importante, consiste à définir de manière plus objective les critères permettant de penser qu’il peut exister un risque de fuite, de manière à pouvoir de nouveau utiliser le mécanisme de rétention avant de procéder à l’expulsion effective une fois obtenu l’accord du pays responsable. C’est la réponse à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne et à celui de la Cour de cassation de septembre 2017.

Enfin, les dispositions que nous examinons – c’est important pour mon groupe – ne sont pas destinées à inverser la jurisprudence. Il ne s’agit pas d’aller à l’encontre de décisions de justice, lesquelles ont simplement tiré les conséquences d’insuffisances rédactionnelles de nos dispositions. Il s’agit de compléter ces dernières et non de contredire les décisions de nos plus hautes juridictions.

En conclusion, mon groupe approuve le texte proposé. Notre pays doit se doter de moyens techniques légaux proportionnels permettant de mettre fin aux situations irrégulières et le texte qui nous est soumis en fait partie.

Cela étant, le sujet reste ouvert en particulier sur le plan européen – c’est notre principal point de déception –, mais également sur le plan national.

Ce texte doit être examiné sans moralisation, sans débat sur le bien ou le mal, mais, simplement, à partir du constat que notre pays ne sait pas aujourd’hui « écarter » – la formule n’est pas élégante – les personnes qui ne relèvent pas du droit d’asile, mais, parallèlement, n’intègre pas correctement celles qui en relèvent et que nous devons protéger.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Monsieur le ministre d’État, vous êtes assurément membre d’un gouvernement de rupture.

Rupture, lorsque le 12 décembre dernier, une circulaire remet en cause la tradition et les principes de l’accueil inconditionnel.

Rupture, lorsque vous défendez une proposition de loi qui prévoit l’enfermement de demandeurs d’asile dont le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précise qu’ils sont régulièrement sur le territoire. Pis encore, ce texte n’exclut pas l’enfermement de mineurs dans les mêmes conditions, et il prévoit que les demandeurs d’asile puissent être enfermés sans avoir de décision d’éloignement.

Permettez-moi de citer un extrait du blog de Sylvie Goulard, votre ancienne collègue : « La France s’enorgueillit d’être la “patrie des droits de l’homme”, mais la situation finirait par donner raison à Robert Badinter, quand il interroge, grinçant : “Peut-être la France n’est-elle finalement que la patrie de la déclaration des droits de l’homme”. »

Par ailleurs, la méthode adoptée pose question. Plutôt que d’introduire les dispositions prévues dans cette proposition de loi dans le prochain projet de loi, elles arrivent avant et seules. Cela présente deux avantages : le premier est qu’il n’y aura pas d’étude d’impact ; le second est que le texte ne passera pas devant le Conseil d’État.

Premier point, pas d’étude d’impact : il est certain qu’un éloignement vers l’Allemagne, par exemple de Strasbourg à Kehl, est compté comme « plus un » dans les chiffres. Et si la personne éloignée a l’élégance de revenir deux jours après et qu’elle est reprise, cela sera compté comme « plus deux », ce qui est encore mieux !

Les témoignages des agents de la police aux frontières, la PAF, qui indiquent que beaucoup de personnes éloignées reviennent, devraient nous conduire à nous interroger sur le sens de cette mesure. À part servir la politique du chiffre, à quoi sert-elle ? Les centres de rétention administrative, les CRA, qui sont déjà surchargés, le seront encore plus. Dans les circonstances actuelles, n’y a-t-il pas des objectifs plus efficaces, plus utiles et plus dignes à confier aux fonctionnaires de la police et des préfectures ?

Second point, pas de passage devant le Conseil d’État. Il n’y aura donc pas d’analyse de la cohérence de ce texte, en particulier d’une privation de liberté non proportionnée et totalement en rupture avec nos traditions, avec nos obligations constitutionnelles et conventionnelles. Le droit d’asile est attaqué frontalement dès lors qu’une personne peut être enfermée et privée de liberté parce qu’elle demande l’asile.

La multiplication des situations juridiquement inextricables conduira à un embouteillage des recours. C’est pourtant à cause de ces obligations conventionnelles que le dispositif législatif précédent a dû être invalidé. Celui que vous nous proposez aujourd’hui est beaucoup moins protecteur.

La commission des lois a reçu l’auteur de la proposition de loi, M. Warsmann. Tout patelin, il nous a indiqué qu’il ne prétendait pas faire une grande loi, mais qu’il voulait seulement réformer le système actuel pour qu’il fonctionne. Mais ce n’est pas possible ! Le système Dublin ne peut plus fonctionner.

Le règlement Dublin a été mis en place avec le système de prise d’empreintes EURODAC en raison de l’instauration de la liberté de circulation dans l’espace Schengen. Comme l’a dit le rapporteur, il visait à empêcher une personne de déposer plusieurs demandes d’asile et d’« emboliser » les systèmes.

Cela a plus ou moins bien fonctionné tant que le nombre de demandeurs d’asile dans l’espace européen n’excédait pas les 300 000 par an. Depuis 2014, les choses sont bien différentes. Nous avons eu un peu plus de 400 000 demandeurs d’asile en 2013, plus de 600 000 en 2014, plus d’1, 4 million en 2015 et un peu plus d’1, 2 million en 2016. Avec une population d’un demi-milliard d’habitants, l’Union européenne n’arrive pas à faire face à cette inflation.

Comparée au Liban, à la Turquie ou à la Jordanie, nous devons malheureusement le constater, l’Europe n’a pas fait preuve de résilience face à ce défi. Elle s’est montrée très fragile, car incapable d’accueillir les demandeurs d’asile à la hauteur de ce que font ses voisins et à la hauteur de son devoir.

Il me semble que, aujourd’hui, la première responsabilité des femmes et des hommes politiques est de construire cette résilience des opinions publiques européennes. Sans cela, l’Europe sera toujours plus faible face à ses voisins.

Entre 2014 et 2017, il y a eu sept fois plus de « dublinés » parmi les demandeurs d’asile en France. Ils représentent actuellement un peu moins 40 % des demandeurs d’asile, d’abord en provenance d’Allemagne où ils se sont vu débouter après une première demande d’asile, puis, de plus en plus depuis quelques mois, en provenance d’Italie où ils ont été « eurodaqués » après être arrivés par la Libye. La proposition de loi que nous examinons prévoit que ces personnes qui n’ont pas fait de demande d’asile en Italie puissent se voir refuser la possibilité de demander l’asile en France alors qu’elles ont parfois besoin de protection.

Nous ne pouvons pas durablement accepter que notre pays se retranche derrière une situation géographique plus facile que celle de la Grèce, de l’Italie ou de l’Espagne pour réaffirmer les principes de Dublin. Ces derniers ne fonctionnent pas, et à terme nous risquons de déstabiliser ces pays et de détruire complètement le système Schengen.

Depuis 2015, la Grèce et l’Italie ont accepté que l’ensemble des personnes entrant dans l’Union européenne passent dans les hotspot où FRONTEX les enregistre dans EURODAC. Cette sécurité que nous avons obtenue, nous la fragilisons si ces deux pays doivent porter seuls toute la demande d’asile de l’Union européenne.

L’absence de solidarité remettra en cause l’espace Schengen. Schengen est pourtant une solution, comme, plus généralement, la coopération entre des pays européens qui font face aux mêmes défis. Cela suppose de cesser de nous renvoyer les responsabilités les uns aux autres ; de dédramatiser le choix du pays de première analyse de la demande en donnant la liberté d’installation dans l’Union européenne à toute personne protégée dès lors qu’elle obtient le statut de réfugié et pas simplement après cinq ans ; et, enfin, de faire converger les systèmes d’asile en créant une agence européenne de l’asile, mais aussi en faisant converger les systèmes de recours. Ce dernier point est absolument indispensable.

En tout état de cause, monsieur le ministre d’État, il semble nécessaire, de manière transitoire, de donner aux préfets des instructions différenciées, pour que, suivant le parcours précédent des « dublinés », ceux-ci puissent rapidement voir leur demande d’asile traitée en France, en particulier lorsqu’ils n’ont pas déposé de demande d’asile dans un autre pays de l’Union européenne.

Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, rendre hommage à Angela Merkel, mais en même temps agir comme Viktor Orbán relève d’une duplicité qui pèsera lourdement sur la crédibilité de la France pour refonder l’Union européenne. Nous refusons une refondation de l’Europe qui remettrait en cause les valeurs et les principes qui sont au cœur de la construction européenne depuis ses débuts.

Se battre pour l’attractivité de la France est essentiel, mais il faut aussi assumer les conséquences de cette politique. Si nous sommes plus attractifs en matière d’asile, nous aurons plus de demandes. Il me semble qu’il vaut mieux être attractif et assumer les conséquences de son attractivité que se refermer sur soi-même. C’était aussi le sens de la campagne que vous avez menée avec le Président de la République l’année dernière, monsieur le ministre d’État, et je crois qu’il ne faut pas vous dérober à cette responsabilité.

De plus, en tant que maire de Lyon, vous savez bien que votre ville, celle que vous aimez, ne serait pas la même sans l’apport de tous les réfugiés, en particulier de ceux qui ont réussi à survivre au génocide arménien et l’ont fui.

Un discours positif, pédagogique, visant à améliorer la résilience de l’opinion publique sur la question de l’asile est indispensable. Vous ne pouvez pas vous y dérober. Il n’est pas trop tard pour corriger la trajectoire du Gouvernement, tant les espoirs étaient importants l’année dernière.

Il reste que, dans l’état actuel des choses, le groupe socialiste et républicain est totalement opposé à cette proposition de loi, inutile compte tenu du fonctionnement actuel de la procédure Dublin, mais d’abord complètement indigne.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le régime d’asile européen commun repose sur un principe cardinal : un seul État est compétent pour l’examen d’une demande d’asile.

Huit critères hiérarchisés permettent de déterminer l’État responsable de l’examen de la demande. Dans la pratique, c’est à partir des prises d’empreintes digitales des demandeurs, enregistrées dans la base de données EURODAC, que fonctionne principalement le régime Dublin.

Pour l’année 2016, ce sont près de 26 000 procédures Dublin qui ont été engagées sur le territoire français, soit cinq fois plus qu’en 2014.

Aujourd’hui nous constatons que le régime Dublin n’est pas efficace. Tout d’abord, au niveau européen, l’application du règlement Dublin rencontre de grandes difficultés en pesant lourdement sur un tout petit nombre d’États – la Grèce, l’Italie, la Hongrie, la Bulgarie et la Roumanie –, dont certains, pour ne pas être déclarés responsables de la demande d’asile, développent des stratégies d’évitement. Ainsi, seuls 23 % des franchissements irréguliers d’une frontière extérieure de l’Union européenne font l’objet d’un prélèvement d’empreintes digitales.

À l’échelon national, le droit actuel français ne permet pas le placement en rétention des étrangers sous procédure Dublin avant l’obtention d’une autorisation de transfert, conformément à la volonté initiale du législateur, comme l’a rappelé le Conseil d’État, saisi pour avis par la cour administrative d’appel de Douai.

Après une décision de transfert, et pour préparer celui-ci, la préfecture peut placer l’étranger sous assignation à résidence ou en rétention. L’article 28 du règlement Dublin III précise les conditions requises pour décider d’une rétention après l’obtention de l’autorisation de transfert : un risque non négligeable de fuite, caractérisé après un examen individuel de la situation et respectant le principe de proportionnalité, étant entendu que d’autres mesures, comme l’assignation à résidence, peuvent être préférées.

Mais un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de mars 2017 a considéré que le placement en rétention d’un étranger « dubliné » ne pouvait être mis en œuvre par un État que si celui-ci avait défini, par des dispositions de portée générale, les critères établissant le risque non négligeable de fuite.

La Cour de cassation a suivi le même raisonnement et jugé que les critères figurant dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour autoriser la rétention de droit commun n’étaient pas suffisants, faute de définition explicite du risque non négligeable de fuite.

Aujourd’hui, nos préfectures se trouvent privées de moyens. En effet, elles n’ont plus la possibilité de placer en rétention une personne, même si elle a fait l’objet d’une autorisation de transfert.

Cette proposition de loi ne vise pas à résoudre l’ensemble de la problématique migratoire. Il ne s’agit pas non plus de débattre de la régulation des flux migratoires. Enfin, ce texte n’a pas pour objet de revoir les conditions d’accueil et d’intégration des étrangers sur notre sol.

Non, cette proposition de loi vient tirer les conséquences des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation et apporter une réponse en sécurisant juridiquement la possibilité de placement en rétention après la décision de transfert, et en autorisant dans certains cas le placement en rétention avant l’obtention d’une autorisation de transfert.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de cette proposition de loi, dont les dispositions sont à la fois pertinentes et justifiées.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nécessité fait loi. Plus que jamais, cet aphorisme latin, fondement de notre construction juridique, est illustré aujourd’hui dans la proposition de loi que nous discutons.

Depuis septembre dernier, cela a été rappelé précédemment, l’autorité administrative ne peut plus placer en rétention un demandeur d’asile dit « dubliné » lorsque son transfert vers le pays de premier enregistrement est demandé.

Le cadre juridique d’intervention est donc réduit, et notre vote d’aujourd’hui est d’autant plus important.

Si cette proposition de loi ne résout aucun problème lié à la politique migratoire de notre pays, notamment la situation d’afflux massif de demandeurs d’asile et de demandes de titres de séjour auquel nous sommes confrontés, elle permet de traiter le sort des migrants sous statut Dublin.

Comme l’a rappelé M. le rapporteur, que je souhaite une fois de plus remercier de son expertise précise de la situation, le règlement Dublin III est une pierre angulaire de la politique européenne d’asile et un gage de respect du cadre de l’espace de libre circulation.

Cela a été dit à de nombreuses reprises, nous sommes aujourd’hui confrontés à la nécessité de faire évoluer au niveau européen notre système d’asile. Pour sauvegarder le principe de l’asile des réfugiés politiques, il est indispensable que nous ayons le courage d’assumer un système d’éloignement effectif des ressortissants étrangers dont les démarches pour intégrer notre nation ont échoué et qui n’ont donc plus le droit de se maintenir en France.

Mes chers collègues, une politique ferme en matière d’immigration n’est viable que si elle est fondée sur des piliers solides, sans ambiguïté dans leur mise en œuvre. Si nous voulons vraiment sauvegarder le système d’asile, ce à quoi, au sein du groupe Les Républicains, nous sommes profondément attachés, il faut parallèlement avoir un système d’instruction efficace des dossiers de demande, puis un système de renvoi réel, afin de ne pas laisser persister l’espoir suivi de désillusion.

Nous restons à cet égard dans l’attente attentive, monsieur le ministre d’État, du projet de loi sur l’asile et l’immigration que vous nous annoncez. Il est en effet nécessaire de changer rapidement de paradigme en la matière.

Ainsi, en matière d’immigration régulière, les circulaires Valls de 2012, qui ont permis d’augmenter les régularisations de près de 32 % en quatre ans, sont toujours en application.

Par ailleurs, la politique d’intégration elle-même est en souffrance, ne permettant pas de donner les clés nécessaires aux étrangers souhaitant vivre dans notre pays : le contrat d’intégration républicaine, par exemple, mis en place en 2016, est en panne du fait de la baisse du nombre d’heures de formation linguistique.

Quant à la politique de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière, dont vous nous dites faire une priorité, le budget pour 2018 lui donne à notre sens peu de chances d’être effectivement mise en œuvre. Nous notons une baisse de 7 % des crédits dédiés à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, lesquels permettront d’effectuer seulement 14 500 éloignements forcés en 2018, alors que 15 161 exactement ont été exécutés en 2014 et 15 485 en 2015.

La Cour des comptes l’a relevé sévèrement : l’exécution des mesures d’éloignement est trop faible. Ainsi, en 2016, moins de 18 % des mesures d’éloignement prononcées ont été réellement exécutées, c’est-à-dire que 75 500 personnes se sont maintenues sur le territoire sans en avoir le droit, dont 53 600 déboutés du droit d’asile.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les moyens humains sont insuffisants pour assurer les éloignements nécessaires et les centres de rétention administrative sont sous-budgétisés pour assumer la rétention des personnes dont l’avenir n’est pas en France.

Malgré cette réalité chiffrée préoccupante, la proposition de loi que nous allons adopter établit la possibilité de rétention dès avant la décision de transfert d’un demandeur d’asile sous procédure Dublin, contrairement au droit commun actuel de la rétention administrative qui impose une décision de transfert.

Nous sommes satisfaits que le refus de donner ses empreintes ou leur altération volontaire soient un critère supplémentaire permettant de caractériser le risque de fuite et donc la mise en rétention.

Nous nous satisfaisons également que tout élément dissimulé dans la narration du parcours migratoire soit pris en compte dans la décision de possible mise en rétention.

Enfin, sans revenir sur l’historique de la disposition, et pour prévenir tout risque de fuite, il est en effet impératif de redéfinir le régime de l’assignation à résidence des personnes faisant l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, bien au-delà de la question des demandeurs asile « dublinés », dont la France connaît aujourd’hui plus que jamais la réalité, ce sujet est préoccupant pour nos concitoyens et pour tout responsable politique.

Émigrer de son pays, quelles qu’en soient les raisons, est naturellement toujours une souffrance pour celui qui est contraint de partir. Mais la France, pays d’accueil, doit aussi savoir définir des règles dans le cadre européen pour le système Dublin. Ce dernier repose sur une idée simple : une personne étrangère à l’Union européenne qui demande l’asile dans un État de l’Union n’a pas vocation à le demander ensuite dans un autre pays de l’Union.

Pour cette raison, le groupe Les Républicains votera bien entendu la proposition de loi en discussion.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Dany Wattebled

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le règlement Dublin III est une pierre angulaire de la politique européenne d’asile. Il repose sur le principe qu’un seul État européen est responsable de la demande d’asile d’une personne ressortissante d’un État tiers.

Il s’agit d’éviter à la fois que le demandeur d’asile ne sollicite successivement plusieurs pays européens, mais aussi qu’il ne soit renvoyé d’un pays à l’autre sans que sa demande soit jamais examinée. L’État responsable est celui qui a permis l’entrée ou le séjour du demandeur sur le territoire européen.

Adopté le 26 juin 2013, le règlement Dublin III s’applique aux vingt-huit pays de l’Union européenne ainsi qu’à l’Islande, à la Norvège, au Liechtenstein et à la Suisse, ces quatre pays faisant partie de l’espace Schengen.

Sa mise en œuvre par les États se fait en deux étapes. Tout d’abord, la détermination de l’État responsable de l’examen de la demande d’asile : en effet, l’État d’accueil, après étude du parcours migratoire du demandeur, peut estimer que la responsabilité de l’examen de cette demande relève d’un autre État européen. Il sollicite alors cet État, lui demandant de prendre en charge le demandeur. Ensuite, en cas d’accord de l’État sollicité, l’État requérant peut prendre une décision de transfert du demandeur vers cet État.

Depuis l’adoption de ce règlement, la France s’efforce d’assurer efficacement ces transferts. Or deux décisions de justice récentes, l’une de la Cour de justice de l’Union européenne, l’autre de la Cour de cassation, ont privé l’autorité administrative de la possibilité de recourir au placement en rétention.

Dans un arrêt du 7 mars 2017, la première cour a estimé que le paragraphe 2 de l’article 28 du règlement Dublin autorisant le placement en rétention n’était pas applicable à défaut d’adoption de mesures d’application par les États membres. En effet, cet article précise que le placement en rétention est possible « lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite » de l’intéressé, tandis que l’article 2 définit ce risque comme « l’existence de raisons, fondées sur des critères objectifs définis par la loi, de craindre la fuite » du demandeur.

En s’appuyant sur cet arrêt, la Cour de cassation a estimé que, « en l’absence de disposition contraignante de portée générale fixant les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur », le placement en rétention était illégal. Les préfectures se trouvent donc démunies pour assurer l’effectivité des transferts.

Mes chers collègues, cette proposition de loi tire les conséquences des arrêts précédemment cités. Elle permet de fixer un cadre clair assurant une mise en œuvre plus efficace de la procédure Dublin.

Elle a été enrichie par la commission des lois du Sénat d’ajouts pertinents permettant de lutter plus efficacement contre les refus de prise d’empreintes digitales, de faciliter l’organisation matérielle des visites domiciliaires, d’accélérer les procédures par la réduction de quinze à sept jours du délai de saisine du juge administratif contre une décision de transfert en l’absence d’assignation à résidence ou de placement en rétention, et de sécuriser les assignations à résidence des étrangers faisant l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire.

Il s’agit donc d’un texte équilibré. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

La discussion générale est close.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.