Intervention de Jean-Dominique Giuliani

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 janvier 2018 à 15h00
Institutions européennes — Audition de Mm. Nikolaus Meyer-landrut ambassadeur d'allemagne jean-dominique giuliani président de la fondation robert schuman et guntram wolff directeur de l'institut bruegel en commun avec la commission des affaires étrangères

Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman :

Je ne m'exprimerai pas en langage diplomatique, mais plutôt au nom de la Fondation Robert Schuman, observateur attentif, engagé en matière franco-allemande et européenne, mais aussi lucide.

En premier lieu, la relation franco-allemande est une relation spéciale, bilatérale, à vocation européenne. Cette relation est exceptionnelle, car nous sommes parvenus, ne l'oublions jamais, à un degré exceptionnel de coopération entre nos deux États. C'était un choix de raison initié - cela est souvent ignoré - par Robert Schuman, un homme des frontières, sacralisées par le général de Gaulle, l'homme de la Résistance et du redressement de la France, et confirmé depuis par tous les Présidents de la République, toutes les majorités et tous les chanceliers en Allemagne.

Cette relation spéciale fait mentir la traditionnelle logique géopolitique selon laquelle, dans l'histoire de l'humanité, deux États voisins proches par l'histoire, la culture, l'économie et la puissance, ne peuvent que s'affronter. C'est un exemple unique, d'où le reproche que l'on nous fait parfois de la méthode Coué. Oui, nous n'avons pas le choix : la France et l'Allemagne doivent toujours travailler pour aller plus loin.

En deuxième lieu, cette relation spéciale doit être revigorée - pour employer un terme qui correspond à celui de « rénové » qu'a employé M. l'ambassadeur - car les habitudes, les certitudes, un certain confort ne suffisent plus à répondre aux nouveaux défis qui sont ceux de nos pays et de l'Union européenne. Ces défis sont la sécurité au sens large, y compris la défense et l'immigration, question qui nous occupera longtemps, ainsi que la gouvernance, tant économique que des institutions européennes et de nos propres démocraties.

En troisième lieu, nous travaillons dans notre laboratoire d'idées à de nouvelles méthodes pour lesquelles les parlements doivent jouer un rôle particulier. Entre nos deux pays, il est nécessaire, alors que nous sommes parvenus à un seuil de coopération exceptionnel avec l'échange de conseillers et de fonctionnaires, d'approfondir la confiance, pour dépasser les non-dits. Nous célébrons l'amitié franco-allemande par le vote d'une résolution commune, et les travées à l'Assemblée nationale sont aux trois quarts vides... Cela prouve que l'engagement fait défaut.

Nos concitoyens, favorables à la coopération entre nos deux pays, mériteraient que nous échangions davantage sur les questions identitaires, la globalisation, les bouleversements liés aux nouvelles technologies, autant de questions qui interpellent nos deux nations à un degré identique. Toutes les occasions de dialogue entre parlementaires permettront d'approfondir cette confiance, sans laquelle nous ne pourrons pas aller vite et loin. Les relations franco-allemandes et au niveau européen ne peuvent se limiter à la diplomatie. Elles doivent être concrétisées par des décisions politiques.

De la même façon, comme l'a évoqué M. l'ambassadeur, il faut faire des pas concrets dans les trois sujets que j'évoquais. Vous, parlementaires, allez examiner un nouveau texte de loi sur l'immigration. J'espère qu'il est négocié avec nos partenaires, car l'un des problèmes de l'accueil des réfugiés réside dans la différence des procédures, des statuts des réfugiés. Les besoins en matière d'immigration ne sont pas les mêmes entre les différents pays au sein de l'Union européenne. L'Allemagne et la France n'ont pas les mêmes besoins. Nous pourrions par exemple nous mettre d'accord sur des procédures proches, y compris avec l'Italie et l'Espagne, afin d'éviter les fraudes et les trous dans les filets destinés à réguler une immigration que nous ne pourrons jamais totalement empêcher.

En matière de gouvernance, entre l'ordolibéralisme et la dépense publique effrénée, entre la discipline et les solidarités, un vrai dialogue franco-allemand engagé par des groupes d'économistes doit se poursuivre. Chacun pourra faire quelques pas en direction de l'autre, en particulier dans le domaine de la fiscalité. À la Fondation Robert Schuman, nous sommes persuadés que nous devrions utiliser un calendrier franco-allemand concernant le rapprochement de notre fiscalité sur les entreprises. Les hautes administrations ne sont pas très enthousiastes tant ce sujet est compliqué, mais le Président Valéry Giscard d'Estaing avait déjà proposé une base et un taux proches pour l'impôt sur les sociétés. Cela devrait aboutir d'ici à cinq ans, voire dix si nous effectuons 5 % de la démarche chaque année.

En matière de défense, la situation est plus compliquée eu égard à la situation de nos deux pays. Nous devons montrer l'exemple, car nous sommes attendus. L'histoire, les constitutions, les lois, les traditions ne sont pas les mêmes. Pour résumer le chantier énorme et très difficile qui est devant nous, je dirai que nous devons changer de dépendances pour construire ensemble une nouvelle indépendance. Pour ce faire, nous devons prendre en compte la réalité allemande, ce que nous ne faisons pas suffisamment, mesurer l'engagement pacifique du peuple allemand, considérer ce que représente ou a représenté l'OTAN pour l'Allemagne et l'attachement particulier de ce pays à son outil industriel.

Nos amis allemands devraient, pour leur part, tenter de mieux appréhender la vision stratégique de la France, qui a une tradition d'engagement hors de ses frontières. S'agissant de l'industrie de l'armement, les Allemands estiment que les Français réfléchissent en termes de besoins opérationnels, tandis que nous considérons qu'ils prêtent d'abord attention aux intérêts de leurs entreprises. Pour la même raison, le sujet de l'exportation d'armes, qui voit s'opposer deux doctrines différentes, est hautement délicat. Sur ce dossier, la France devrait plus résolument aller de l'avant, car il sera difficile à l'Allemagne d'engager d'elle-même une évolution.

Pour ce qui concerne la gouvernance, des avancées concrètes peuvent aisément être réalisées. À titre d'illustration, un groupe d'éminents juristes propose de travailler à un code franco-allemand des affaires, comportant des dispositions en droit des faillites et en droit commercial notamment, dans une démarche proche de celle qui a permis l'instauration d'un code commun à plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, qui fut un accélérateur considérable de développement de la région. Une réglementation commune en matière de droit des affaires constituerait un instrument favorable pour les investisseurs.

Il faut faire preuve de davantage de pédagogie autour de la relation franco-allemande : sa réussite représente un sujet de fierté, à l'heure où, trop souvent et notamment en France, les critiques relatives à l'efficacité européenne se banalisent. Pourtant, l'Union européenne a fort bien résisté à la crise des subprimes, si bien d'ailleurs que les Britanniques, malgré le Brexit, souhaitent conserver les bénéfices d'une participation au marché unique. Beaucoup reste certes à réaliser, mais les réussites européennes doivent être mieux valorisées auprès des populations ; c'est aussi le rôle des parlements nationaux.

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