En notre nom à tous, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de nos deux commissions pour évoquer la relation franco-allemande. Après avoir célébré le cinquante-cinquième anniversaire du traité de l'Élysée, il nous a paru important d'organiser au Sénat cet échange sur la façon dont cette relation peut répondre aux défis auxquels l'Union européenne est confrontée.
Nous avons désormais bon espoir que le contexte politique allemand se clarifiera dans les prochaines semaines.
Moi aussi !
Vous nous donnerez sans doute davantage de précisions sur ce point. L'Allemagne et la France pourront jouer ensemble tout leur rôle au service du projet européen. Au-delà de l'amitié entre nos deux pays, notre conviction commune est que la relation franco-allemande est essentielle pour bâtir de nouvelles avancées dans la construction européenne. Nous l'avions indiqué dans le rapport que nous avions rédigé au nom du groupe de suivi que j'ai eu l'honneur de présider avec Jean-Pierre Raffarin, puis avec Christian Cambon : pour nous, il n'existe aujourd'hui aucune alternative au moteur franco-allemand. Nous avons besoin de partager notre analyse des défis à relever.
Sur cette base, nous devons établir une feuille de route qui engagera les réformes nécessaires de l'Union européenne. À nos yeux, la relation franco-allemande doit aussi être le cadre approprié pour promouvoir une Europe des projets concrets à travers des coopérations renforcées, insuffisamment utilisées depuis un certain nombre d'années par les Vingt-sept, par exemple dans des domaines tels que le numérique, l'énergie ou la défense. Il nous semble indispensable, aussi, de nous orienter vers une convergence fiscale et sociale qui pourrait servir de modèle pour l'ensemble de l'Union.
Nous souhaitons recueillir votre analyse sur ces points. Peut-on partager notre point de vue concernant les défis que doit relever l'Union européenne ? Comment envisagez-vous une feuille de route conjointe sur la réforme de l'Union ? Enfin, comment concrétiser ces projets communs qui nous permettraient d'avancer ensemble ?
Je vous prie d'excuser le président de la commission des affaires étrangères, M. Christian Cambon, retenu par une obligation diplomatique. Merci d'avoir accepté de faire un point sur la relation franco-allemande et ses perspectives, alors que nous venons de célébrer le cinquante-cinquième anniversaire du traité de l'Élysée. L'année 2018 sera-t-elle celle du retour de l'Europe ? Nous l'espérons, la configuration géostratégique le nécessite. Le Brexit l'impose. Mais le retour de l'Europe sera celui du moteur franco-allemand, ou ne sera pas. Les conditions sont-elles réunies pour avancer ? La situation politique s'éclaircit en Allemagne. Certains appellent à un nouveau traité de l'Élysée ; est-ce réaliste ?
De nombreuses incertitudes demeurent. Dans quelle mesure ce rapprochement est-il possible, et susceptible d'entraîner dans son sillage d'autres pays d'Europe ? Comment l'initiative commune du Président français et de la chancelière allemande est accueillie en Allemagne ? S'agit-il d'un tournant historique, ou d'une déclaration supplémentaire de bonnes intentions, alors que l'Europe est confrontée à des défis majeurs ?
Messieurs les présidents, merci de votre invitation qui nous permet d'échanger sur la relation franco-allemande et d'approfondir certains points. Le contexte est important et conditionne les actions à venir. Nous vivons un grand moment de changements, notamment géopolitiques, avec des conflits militaires en Ukraine et en Europe, des afflux majeurs de réfugiés et migrants et des attentats terroristes en Europe. Face à ces phénomènes, la Russie réfléchit et agit plus en termes d'influence que de coopération. Nous assistons également à des conflits régionaux ayant des conséquences directes sur notre situation. Par ailleurs, la situation en Turquie se révèle préoccupante. Avec le Brexit, nous ne pouvons accepter, lors des négociations futures, ce qui pourrait détricoter le marché unique. Quant à la situation américaine depuis l'élection de M. Trump, elle nous plonge dans l'incertitude.
Des changements majeurs affectent d'autres sphères sans faire l'objet d'autant d'insistance. Je pense aux changements climatiques, à la digitalisation, à la modification de nos économies et de nos sociétés en profondeur, qui sont autant de défis à relever.
Dans ce contexte, il nous semble fondamental de préserver et de faire avancer l'ordre européen tel qu'il a été créé par les différents traités, ainsi que les principes et valeurs sur lesquels il repose, notamment l'État de droit dans toutes ses dimensions.
S'agissant de la relation franco-allemande, nous souhaitons que le nouveau gouvernement allemand soit formé le plus rapidement possible, ce qui devrait intervenir au mois de mars compte tenu de toutes les procédures impliquées dans le processus. Outre la CDU et le SPD, les Verts et le FDP ont aussi souscrit à la déclaration commune adoptée par le Bundestag et l'Assemblée nationale, ce qui montre que les partis majoritaires au Parlement ont la même vision des choses.
C'est une opportunité et une responsabilité majeure de faire avancer la construction européenne avec la France, comme en témoignent les premiers pourparlers entre le SPD et la CDU. Selon une volonté politique commune, les questions européennes ont été placées en tête de leur accord. Les responsables des deux partis ayant négocié cet accord savent que la législature qui a commencé sera adossée à un sujet majeur : la suite de l'intégration européenne. Cela étant, il faut reconnaître que, lors des récents débats du SPD, les questions européennes étaient beaucoup moins présentes qu'un certain nombre de sujets de politique intérieure. Mais absence de débat ne veut pas nécessairement dire absence de soutien en faveur de cette orientation.
Pour favoriser une négociation et un accord entre la France et l'Allemagne, cette dernière ne doit pas fixer les derniers détails de sa position pour former un gouvernement, qui constitueraient autant de limites dans la négociation avec les partenaires. Dans le même temps, tous les sujets sont abordés, y compris les questions financières comme l'augmentation des ressources de l'Union européenne, même s'ils ne sont pas clos. Cela donne une base de négociation pour l'ensemble des sujets évoqués par le Président français dans son discours.
Le travail franco-allemand comporte aujourd'hui trois volets. Le volet international a commencé dès le départ et continue d'être actionné de façon constante. Il englobe les grands sujets internationaux et les différents sommets qui ont eu lieu au printemps et à l'automne. À ce sujet, la coordination a été étroite et a permis l'adoption de positions souvent communes. Une vraie volonté de coopérer se manifeste en la matière. Le deuxième volet est plus bilatéral et comporte deux expressions de cette volonté de coopérer. D'une part, lors du conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet dernier, la partie défense et le projet de coopération en matière d'armement ont été longuement abordés. De plus, malgré l'échéance électorale en Allemagne et les pourparlers qui ont lieu en ce moment pour former un gouvernement, des travaux extrêmement intenses entre les deux ministères de la défense, y compris les ministres elles-mêmes, ont eu lieu tout au long de l'automne. Le travail de fond repose sur cette action continue et produira bientôt des résultats. Certaines décisions relèveront du nouveau gouvernement, mais le travail de préparation est avancé. D'autre part, les déclarations adoptées en début de semaine sur le traité de l'Élysée, aussi bien au sein de l'Assemblée nationale et du Bundestag que par les deux chefs d'État et de gouvernement, ont montré leur volonté de rénover ce traité.
Trois éléments doivent être soulignés. Premièrement, le traité de l'Élysée tel qu'il a été conclu en 1963 ne doit pas être supprimé, car il conserve une valeur symbolique pour la mise en place des institutions et constitue une base de coopération. Il reste évidemment en vigueur.
Deuxièmement, il est important de savoir, parmi les domaines de coopération qui n'étaient pas au coeur du traité de l'époque, ceux qui représentent le défi de demain et qui requièrent un approfondissement de la coopération. Quant aux différentes déclarations à ce sujet, un travail de tri et de précision doit être opéré pour les concrétiser, y compris en matière économique, de digitalisation ou s'agissant des agences pour les innovations de rupture. Ce travail de fond prendra un peu de temps, mais il peut commencer, car la volonté est très claire et les paramètres sont maintenant définis ensemble.
Troisièmement, un travail doit être réalisé au niveau européen. Quand on se penche sur le discours de M. Macron, on s'aperçoit que des actions sont déjà en cours sur de nombreux sujets. Je citerais le Fonds européen de défense, adopté en décembre et qui représente une avancée majeure, ou la réforme du droit d'asile et de l'immigration. En l'espèce, ces sujets réunissent d'autres partenaires que la France et l'Allemagne, même s'il est important que nos deux pays définissent en commun leur approche.
Des décisions ont également été prises en décembre concernant les universités en Europe et la formation.
Ce qui est le plus important pour l'opinion publique, c'est l'avenir de la gouvernance de la zone euro. J'y insiste, l'Allemagne est prête à organiser la prochaine étape, et un travail de fond devra être effectué. Il faut bien définir les risques contre lesquels on veut se prémunir, mais il n'y a aucun doute sur la volonté des deux parties d'engager les négociations pour construire la prochaine étape.
Je ne m'exprimerai pas en langage diplomatique, mais plutôt au nom de la Fondation Robert Schuman, observateur attentif, engagé en matière franco-allemande et européenne, mais aussi lucide.
En premier lieu, la relation franco-allemande est une relation spéciale, bilatérale, à vocation européenne. Cette relation est exceptionnelle, car nous sommes parvenus, ne l'oublions jamais, à un degré exceptionnel de coopération entre nos deux États. C'était un choix de raison initié - cela est souvent ignoré - par Robert Schuman, un homme des frontières, sacralisées par le général de Gaulle, l'homme de la Résistance et du redressement de la France, et confirmé depuis par tous les Présidents de la République, toutes les majorités et tous les chanceliers en Allemagne.
Cette relation spéciale fait mentir la traditionnelle logique géopolitique selon laquelle, dans l'histoire de l'humanité, deux États voisins proches par l'histoire, la culture, l'économie et la puissance, ne peuvent que s'affronter. C'est un exemple unique, d'où le reproche que l'on nous fait parfois de la méthode Coué. Oui, nous n'avons pas le choix : la France et l'Allemagne doivent toujours travailler pour aller plus loin.
En deuxième lieu, cette relation spéciale doit être revigorée - pour employer un terme qui correspond à celui de « rénové » qu'a employé M. l'ambassadeur - car les habitudes, les certitudes, un certain confort ne suffisent plus à répondre aux nouveaux défis qui sont ceux de nos pays et de l'Union européenne. Ces défis sont la sécurité au sens large, y compris la défense et l'immigration, question qui nous occupera longtemps, ainsi que la gouvernance, tant économique que des institutions européennes et de nos propres démocraties.
En troisième lieu, nous travaillons dans notre laboratoire d'idées à de nouvelles méthodes pour lesquelles les parlements doivent jouer un rôle particulier. Entre nos deux pays, il est nécessaire, alors que nous sommes parvenus à un seuil de coopération exceptionnel avec l'échange de conseillers et de fonctionnaires, d'approfondir la confiance, pour dépasser les non-dits. Nous célébrons l'amitié franco-allemande par le vote d'une résolution commune, et les travées à l'Assemblée nationale sont aux trois quarts vides... Cela prouve que l'engagement fait défaut.
Nos concitoyens, favorables à la coopération entre nos deux pays, mériteraient que nous échangions davantage sur les questions identitaires, la globalisation, les bouleversements liés aux nouvelles technologies, autant de questions qui interpellent nos deux nations à un degré identique. Toutes les occasions de dialogue entre parlementaires permettront d'approfondir cette confiance, sans laquelle nous ne pourrons pas aller vite et loin. Les relations franco-allemandes et au niveau européen ne peuvent se limiter à la diplomatie. Elles doivent être concrétisées par des décisions politiques.
De la même façon, comme l'a évoqué M. l'ambassadeur, il faut faire des pas concrets dans les trois sujets que j'évoquais. Vous, parlementaires, allez examiner un nouveau texte de loi sur l'immigration. J'espère qu'il est négocié avec nos partenaires, car l'un des problèmes de l'accueil des réfugiés réside dans la différence des procédures, des statuts des réfugiés. Les besoins en matière d'immigration ne sont pas les mêmes entre les différents pays au sein de l'Union européenne. L'Allemagne et la France n'ont pas les mêmes besoins. Nous pourrions par exemple nous mettre d'accord sur des procédures proches, y compris avec l'Italie et l'Espagne, afin d'éviter les fraudes et les trous dans les filets destinés à réguler une immigration que nous ne pourrons jamais totalement empêcher.
En matière de gouvernance, entre l'ordolibéralisme et la dépense publique effrénée, entre la discipline et les solidarités, un vrai dialogue franco-allemand engagé par des groupes d'économistes doit se poursuivre. Chacun pourra faire quelques pas en direction de l'autre, en particulier dans le domaine de la fiscalité. À la Fondation Robert Schuman, nous sommes persuadés que nous devrions utiliser un calendrier franco-allemand concernant le rapprochement de notre fiscalité sur les entreprises. Les hautes administrations ne sont pas très enthousiastes tant ce sujet est compliqué, mais le Président Valéry Giscard d'Estaing avait déjà proposé une base et un taux proches pour l'impôt sur les sociétés. Cela devrait aboutir d'ici à cinq ans, voire dix si nous effectuons 5 % de la démarche chaque année.
En matière de défense, la situation est plus compliquée eu égard à la situation de nos deux pays. Nous devons montrer l'exemple, car nous sommes attendus. L'histoire, les constitutions, les lois, les traditions ne sont pas les mêmes. Pour résumer le chantier énorme et très difficile qui est devant nous, je dirai que nous devons changer de dépendances pour construire ensemble une nouvelle indépendance. Pour ce faire, nous devons prendre en compte la réalité allemande, ce que nous ne faisons pas suffisamment, mesurer l'engagement pacifique du peuple allemand, considérer ce que représente ou a représenté l'OTAN pour l'Allemagne et l'attachement particulier de ce pays à son outil industriel.
Nos amis allemands devraient, pour leur part, tenter de mieux appréhender la vision stratégique de la France, qui a une tradition d'engagement hors de ses frontières. S'agissant de l'industrie de l'armement, les Allemands estiment que les Français réfléchissent en termes de besoins opérationnels, tandis que nous considérons qu'ils prêtent d'abord attention aux intérêts de leurs entreprises. Pour la même raison, le sujet de l'exportation d'armes, qui voit s'opposer deux doctrines différentes, est hautement délicat. Sur ce dossier, la France devrait plus résolument aller de l'avant, car il sera difficile à l'Allemagne d'engager d'elle-même une évolution.
Pour ce qui concerne la gouvernance, des avancées concrètes peuvent aisément être réalisées. À titre d'illustration, un groupe d'éminents juristes propose de travailler à un code franco-allemand des affaires, comportant des dispositions en droit des faillites et en droit commercial notamment, dans une démarche proche de celle qui a permis l'instauration d'un code commun à plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, qui fut un accélérateur considérable de développement de la région. Une réglementation commune en matière de droit des affaires constituerait un instrument favorable pour les investisseurs.
Il faut faire preuve de davantage de pédagogie autour de la relation franco-allemande : sa réussite représente un sujet de fierté, à l'heure où, trop souvent et notamment en France, les critiques relatives à l'efficacité européenne se banalisent. Pourtant, l'Union européenne a fort bien résisté à la crise des subprimes, si bien d'ailleurs que les Britanniques, malgré le Brexit, souhaitent conserver les bénéfices d'une participation au marché unique. Beaucoup reste certes à réaliser, mais les réussites européennes doivent être mieux valorisées auprès des populations ; c'est aussi le rôle des parlements nationaux.
Je souhaiterais aborder trois points. Le premier concerne le rôle essentiel du couple franco-allemand pour l'avenir de l'Union européenne, malgré l'existence de points de discorde sur différents sujets. Pour autant, cette relation privilégiée et le leadership qui en découle doit, pour contribuer au succès de l'Union européenne, demeurer inclusif. Je citerai, à titre d'illustration, l'exemple de l'Institut Bruegel, que j'ai l'honneur de diriger : fondé par la France et l'Allemagne, avec la participation de l'Italien Mario Monti, à l'occasion du quarantième anniversaire du traité de l'Élysée, il rassemble aujourd'hui des chercheurs originaires de toute l'Europe (l'Institut est soutenu par dix-neuf États membres). Or, la relation franco-allemande me semble faire trop souvent l'objet de critiques de la part d'autres pays européens, qui peut-être s'en sentent exclus. Ainsi, les Pays-Bas considèrent-ils que la France et l'Allemagne souhaitent aller trop loin en matière d'intégration budgétaire, sans parfois se soucier de leurs partenaires. De fait, l'accord de Deauville relatif à la gouvernance économique de l'Union, conclu en 2010 par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, a eu des conséquences certaines, pour l'Italie par exemple. Soyons donc attentifs à ne pas confondre leadership et domination.
Mon deuxième point est une réflexion sur les conséquences institutionnelles de l'approfondissement de la coopération entre les deux pays, qui représente la contrepartie somme toute logique au manque de confiance croissant des gouvernements vis-à-vis de la Commission européenne, pourtant indispensable au fonctionnement de l'Union. Les institutions européennes jouent, en outre, un rôle majeur pour les États membres de taille modeste, qui y trouvent la possibilité de faire valoir leurs intérêts. La perte de confiance dans la Commission européenne s'explique-t-elle par les pratiques de l'institution, en particulier celle, récente, des Spitsenkandidaten, les candidats désignés à sa présidence en amont des élections européennes ? Le Parlement européen souffre, quant à lui, d'un inquiétant déficit de représentativité de nos concitoyens. Le Brexit, qui supprime mécaniquement 73 postes de députés, représente une occasion unique de réformer le mode d'élection, en instaurant par exemple des listes transnationales, comme le propose le Comité des régions.
Mon troisième et dernier point porte sur les défis auxquels est confrontée l'Union européenne et sur les moyens d'y répondre. Le premier d'entre eux est évidemment la crise migratoire, qui a conduit l'Union à une petite révolution depuis que, selon le souhait de la majorité des membres du Conseil européen, la protection des frontières extérieures est assurée par Frontex, quand bien même certains États membres s'y opposeraient. L'attention portée à ce sujet au coeur des préoccupations de nombre de nos concitoyens est essentielle pour l'avenir de l'Union européenne. Ainsi, en Allemagne, le parti Alternative für Deutschland (AFD) ne dépassait guère 4 % des suffrages lorsqu'il défendait uniquement le retour au Mark. Depuis qu'il s'est positionné, en 2015, sur la lutte contre l'immigration, il rassemble près de 14 % des électeurs. L'approfondissement de la zone euro représente également un défi majeur. Il s'agit d'achever l'union bancaire avec la mise en place de garanties européennes de dépôt pour les banques placées sous la supervision de la Banque centrale européenne (BCE). Le ministre des finances par intérim de l'Allemagne, Peter Altmaier, a fait état de son souhait de faire aboutir ce dossier, même si cela pourrait prendre une dizaine d'années. Il convient, par ailleurs, d'améliorer le fonctionnement de la zone euro, afin de lui permettre de disposer des ressources nécessaires pour faire face à un choc asymétrique. Un tel mécanisme peut s'envisager hors comme au sein du budget de l'Union ; je plaide pour ma part, à l'instar de la Commission européenne, en faveur de la seconde solution, qui m'apparaît à la fois plus cohérente et plus efficace, en particulier depuis qu'avec le Brexit, 85 % du produit intérieur brut (PIB) de l'Union appartient à la zone euro. Elle pose néanmoins la question de la faible légitimité de la Commission européenne, notamment en matière financière. Comment dès lors mener démocratiquement à bien une telle réforme ? Un dernier défi réside, selon moi, dans la gestion de la transition énergétique et climatique, qui fait l'objet de nombreuses discussions franco-allemandes. Le projet de créer une taxe sur le charbon évoqué dans ce cadre est certes intéressant, mais le dispositif ne sera que peu effectif s'il se limite à deux pays.
L'enjeu, pour faire face aux défis que je viens d'évoquer, est de réfléchir aux différents niveaux auxquels l'Union européenne pourrait ou devrait fonctionner. La Commission est favorable à une égalité entre États membres dans ce domaine mais, en pratique, des coalitions se forment et varient selon les sujets. Le prochain gouvernement allemand pourrait vouloir avancer sur certains points aux côtés de la France, mais quel serait le cadre juridique et démocratique de telles décisions ? J'insiste : bien que l'axe franco-allemand soit essentiel, prenons garde à la qualité de nos relations avec les autres États membres comme avec la Commission européenne. Des degrés variés d'intégration à l'Union sont acceptables, à la condition qu'ils ne soient pas arbitrairement définis.
Vous avez, monsieur l'ambassadeur, eu raison d'insister sur les enjeux économiques. J'ai également particulièrement apprécié l'optimisme affiché par Jean-Dominique Giuliani et la nécessité qu'il a rappelée de fixer un calendrier, même si son intervention m'a interrogé sur le concept de souveraineté tel qu'envisagé par les Britanniques. Je partage enfin, monsieur Wolff, votre analyse sur la crise migratoire et sur l'importance de veiller à un leadership inclusif.
Monsieur l'ambassadeur, vous êtes le seul à ne pas avoir évoqué le sujet de l'immigration. Est-ce parce que vous ne le considérez pas crucial ? Monsieur Wolff, comment mettre en oeuvre un leadership inclusif si la France et l'Allemagne ne rencontrent pas les mêmes difficultés ou en ont une vision opposée ? De fait, comme l'indiquait M. Giuliani dans son propos introductif, l'Allemagne a besoin d'immigrés, même si ses dirigeants ont récemment fait les frais électoraux de leur généreuse politique d'accueil, tandis que, s'agissant de la France, les immigrés cherchent à quitter le pays pour se rendre en Grande-Bretagne. Une minorité veut aussi y revenir après avoir combattu dans les rangs de Daech. Les problématiques semblent donc quelque peu différentes. Quant à la Pologne, à la Hongrie, à la République tchèque et à la Slovaquie, leurs gouvernements ont choisi de lutter contre l'immigration illégale à leurs frontières. Quelle coopération européenne peut être mise en oeuvre dans ces conditions ?
Le traité de l'Élysée comprend un volet relatif aux lycées franco-allemands, qui a permis la création des établissements de Buc, Sarrebruck et Fribourg. Cinquante-cinq ans après sa signature, un nouvel établissement va prochainement ouvrir à Hambourg. Ces initiatives masquent toutefois mal les difficultés de l'apprentissage de l'allemand en France, qui a considérablement pâti de la fermeture, même temporaire, des classes bilangues, comme du français en Allemagne. Quel tableau pouvez-vous dresser de la situation de part et d'autre de la frontière ? Je souhaiterais, par ailleurs, vous interroger sur les chances qu'a l'Allemagne de disposer prochainement d'un gouvernement, alors que la majorité ne s'est établie qu'à 56,45 % des six cents délégués de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) et que l'initiative de Kevin Kühnert contre l'union du Parti social-démocrate (SPD) avec la CDU semble avoir quelque succès auprès des adhérents. Selon vous, un gouvernement pourra-t-il être installé s'il était issu d'une coalition minoritaire ou faudra-t-il impérativement organiser de nouvelles élections ?
La politique énergétique, notamment nucléaire, constitue un important point de discorde entre les deux pays. Pourrait-il prochainement exister une position commune dans ce domaine ?
Malgré les difficultés qu'il peut rencontrer, le couple franco-allemand présente à l'Europe et au monde une voix raisonnable, à l'opposé actuellement des États-Unis, et nous devons nous en féliciter. À l'occasion du cinquante-cinquième anniversaire du traité de l'Élysée, le Bundestag et l'Assemblée nationale ont adopté une déclaration commune dans laquelle il est notamment proposé de développer des eurodistricts, qui auraient compétence, dès lors que les législations nationales auront été adaptées, en matière de santé, d'éducation ou encore de transports publics. Quelle est, monsieur l'ambassadeur, la position du gouvernement allemand sur cette initiative ?
L'anniversaire du traité de l'Élysée représente une excellente occasion de réfléchir ensemble à la relation franco-allemande. Je partage votre analyse, monsieur Giuliani, sur la nécessité de disposer d'un calendrier. Comme Ladislas Poniatowski, je crois indispensable de fixer en Europe des règles convergentes en matière de droit d'asile et, surtout, de les appliquer. Comment pourrait-on avancer sur ce dossier, si possible avant les prochaines élections européennes ? Je suis élue dans un département frontalier, où les coopérations avec l'Allemagne sont déjà nombreuses. Elles gagneraient néanmoins à être renforcées et étendues à l'ensemble du territoire. Pourquoi, par exemple, ne pas réfléchir à un partenariat entre nos deux pays en matière d'apprentissage à l'occasion de la réforme à venir, sur le modèle du processus de Bologne pour l'enseignement supérieur ?
Vous comprendrez qu'il m'est difficile de m'exprimer au nom d'un gouvernement allemand qui n'est pas installé. Je puis répondre toutefois à certaines de vos interrogations. Monsieur Poniatowski, je n'ai pas, il est vrai, évoqué la question de l'immigration, mais, cela va sans dire, il reste un travail considérable à mener auprès des pays d'origine et de transit. Sur ce dossier, la dimension extérieure est d'ailleurs plus avancée que la dimension européenne : l'Allemagne s'est engagée en soutien auprès de plusieurs pays. Les progrès sont également notables en matière de contrôle aux frontières extérieures de l'Union européenne, même si certains États, de l'Est de l'Europe notamment, sont plus efficaces et volontaires que d'autres.
Troisième volet, ce qui se passe à l'intérieur de l'Union européenne. Le droit d'asile est un droit fondamental qui exige que toute demande soit examinée. En aucun cas le gouvernement allemand ne fera de compromis sur cette question. Mais la durée et les conditions de la procédure, notamment en cas de refus, devraient être rapprochées. La Commission a mis des propositions sur la table. La présidence a proposé d'adopter ces textes avant la fin de l'été.
En 2015, l'Allemagne n'a ni ouvert, ni fermé ses frontières. La différence d'appréciation n'est pas sans importance : ses frontières étaient ouvertes, elle aurait pu les fermer, mais elle ne l'a pas fait.
Un parti qui obtient plus de 30 % aux élections, ce n'est pas si mauvais, même si cela ne suffit pas en Allemagne pour obtenir la majorité des sièges au Parlement... Ensuite, qu'il ait 32 % ou 37 %, au moment de chercher un partenaire pour former un gouvernement, le défi reste identique même si l'équation est un peu différente.
Je suis assez confiant sur la possibilité d'avoir un gouvernement. Il y aura des négociations, dans un cadre défini. Les adhérents du SPD auront leur mot à dire. Je ne suis pas spécialiste du comportement de ces adhérents, mais je sais une chose : dans ces domaines, plus on avance et plus il est coûteux de faire marche arrière.
L'Allemagne a pour objectif de recevoir un nombre net de réfugiés et de migrants compris entre 180 000 et 220 000. En 2017, nous y sommes parvenus, puisqu'ils ont été un peu plus de 180 000. Cet objectif doit pouvoir être poursuivi sans nuire au droit fondamental d'asile. Nous évaluons la part des gens employables la première année à 10 % et ceux qui le deviennent d'ici quatre à cinq ans à 50 %. Il ne s'agit pas d'immigration de travail, mais de réfugiés qu'il faut donc former et intégrer au marché du travail.
Sur l'apprentissage des langues, nous avons certes un problème avec l'anglais. Mais il ne faut pas chercher la compétition avec cette langue ; comme les maths, il est absolument nécessaire de la maîtriser, tandis que le français ou l'allemand sont un atout qui fait la différence.
Nous sommes ouverts sur les eurodistricts, comme sur le travail transfrontalier. Mais l'application en France des règles relatives aux travailleurs détachés est actuellement un obstacle pour ce dernier. Pour chaque heure que vous travaillez, vous devez vous inscrire sur un site en français, en indiquant toutes vos données... Nous discutons actuellement avec le gouvernement français pour rendre les choses plus faciles.
Lorsque j'entends Guntram Wolff parler de coalition arbitraire ou de coopération inclusive, je reconnais bien un langage communautaire habituel. Je préfère pour ma part parler de coopération ouverte et de coalition exemplaire. Par ces expressions, la Commission veut continuer comme avant, alors que nous touchons au coeur de la souveraineté de nos États. La méthode communautaire traditionnelle ne fonctionnera pas si l'impulsion ne vient pas des capitales. Or nous sous-estimons le degré d'intégration considérable - les Britanniques sont en train de s'en rendre compte - de nos pays. Un pays ne peut pas adhérer à l'Union s'il pratique la peine de mort, ce qui n'est pas le cas pour les États-Unis.
Il faut des exemples. Il faut que la France et l'Allemagne donnent l'exemple - que cela plaise ou non aux autres. Ce qu'il faut, c'est que ces exemples s'inscrivent dans une démarche européenne, en vue d'avoir un jour une politique commune d'immigration, une gouvernance économique de la zone euro plus intégrée, une politique de défense plus commune. Mais le chemin est long.
Tout renvoyer sur la Commission, qui n'en peut mais et a déjà beaucoup fait - avec les orientations plus politiques du président Juncker - c'est se décharger de nos responsabilités nationales. C'est particulièrement vrai en matière de défense. M. Le Drian et Mme von Der Leyen veulent partager une base aérienne commune pour le transport stratégique. Que se passe-t-il aussitôt ? Tout le monde veut y participer, et nous nous retrouvons avec une coopération structurée permanente à 25 sur 28, ce qui ne veut rien dire. Chacun est content d'avoir 19 projets, mais en réalité, stratégiquement, nous n'avons pas avancé.
Il faut que nous soyons des Européens exemplaires et que nous montrions l'exemple par des réalisations concrètes. Cela s'appelle la méthode Schuman : « L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait », disait-il le 9 mai 1950. Nos amis de l'Est ne partagent pas notre politique migratoire. Mais s'ils voient que nous avons des règles communes, ils devront bien un jour s'y intéresser.
Je ne crois pas qu'il y ait un désaccord sur ce sujet. Pour la crise migratoire, il faut aller au-delà de la coopération franco-allemande. Les réfugiés arrivent en Grèce ou en Italie ; il faut donc parler avec nos partenaires de ces pays. C'est ce que nous avons fait. Nous avons trouvé des budgets européens très importants pour financer le coût de l'accueil des populations en Grèce en 2016 et l'accord avec la Turquie. Oui, la France et l'Allemagne sont des moteurs, mais il faut travailler avec les autres.
Un des grands sujets - nous venons de sortir une note sur le sujet - sont les critères différents d'attribution de l'asile. Si vous venez d'Afghanistan, la probabilité d'obtenir l'asile peut être selon les pays de 10 %, de 50 % ou de 90 %. C'est un problème si nous partageons un espace de libre circulation comme Schengen. Il faudra y travailler.
Les pays d'Europe de l'Est ont fait beaucoup de progrès sur la protection des frontières. Mais concernant la redistribution des réfugiés, la résistance est très forte et la sensibilité politique très importante ; l'existence d'une décision approuvée par la Cour européenne de justice n'y fait rien. C'est un véritable problème, mais c'est une question politique. Le Sondierungspapier de la coalition appelée à former le prochain gouvernement allemand pourrait être lu comme une déclaration de guerre à la Pologne, tant il insiste sur l'application du droit européen au sein de l'Union européenne. Cela va dans la bonne direction. Au-delà des réfugiés, la question est celle de la Cour constitutionnelle polonaise.
Si la relation franco-allemande a été exceptionnelle pour deux générations, elle est devenue une évidence - ce qui peut expliquer l'absence de certains députés à l'Assemblée nationale hier... Les projets, tant pour les scolaires que les associations, sont en diminution, d'après la secrétaire générale de l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ). M. Giuliani dit que la relation doit être revigorée. Peut-être y a-t-il assez de lycées en Allemagne, mais pas assez en France. Il existe bien une université franco-allemande, mais sans existence physique, puisqu'il ne s'agit que de financements de cursus dans différents établissements. Il faut absolument avancer sur l'apprentissage.
L'OFAJ marche très bien. À 17 ans, j'ai été dans le premier groupe expérimental envoyé en Allemagne, qui allait le préfigurer...
Vous avez raison, madame la sénatrice. On aurait pu espérer plus de députés présents, mais ce que je trouve important, c'est que pour la première fois, deux parlements signent un accord sur la structure de leur coopération à l'avenir. S'il est mis en oeuvre, ce sera un niveau de coopération sans commune mesure.
Il faut faire le maximum sur la jeunesse et l'apprentissage, mais c'est encore compliqué pour la formation professionnelle car les parcours sont différents. Il faudrait mettre autour d'une table ceux qui s'en occupent dans les régions. Peut-être faudrait-il identifier quelques pilotes. Pour rétablir la paix entre les deux autres intervenants, je dirais que le seul noyau légitime, c'est le franco-allemand !
Nos diplomates ont des calendriers, mais les opinions publiques ne les connaissent pas. Or c'est important, que ce soit un calendrier de rapprochement sur la fiscalité pour les investisseurs, ou un calendrier sur l'immigration pour les citoyens... Cela ferait passer le message : « on s'en occupe. » La Commission a fait beaucoup ; mais qui le sait ?
Il très important que les échanges ne concernent pas seulement les élites mais se fassent à tous les niveaux.
Merci. J'ai noté quelques points : l'importance du rôle des capitales ; la bonne vieille méthode Schuman, avec des réalisations concrètes sur les éléments du quotidien ; un accord franco-allemand avec, si possible, un calendrier. Nous vivons depuis quelques temps une période de transition avec la problématique du Brexit. Nos amis britanniques s'aperçoivent de toute la pertinence du marché unique et de l'union douanière, de cet environnement dont avaient rêvé nos prédécesseurs. L'Union européenne est la première zone économique mondiale, en face des États-Unis, qui se recroquevillent sur eux-mêmes, et de la Chine, qui cherche des partenaires. Nous n'avons jamais signé autant d'accords de libre-échange, et ce faisant, nous sommes en train d'imposer les normes européennes, qui deviennent des normes mondiales. Cette puissance de l'Europe permet de vrais moments d'optimisme qui devraient être expliqués à nos concitoyens.
Nous vous remercions. Pour rassurer M. l'ambassadeur, nous sommes très proches des parlementaires allemands, avec qui la commission travaille depuis longtemps.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 25.