Intervention de Guntram Wolff

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 janvier 2018 à 15h00
Institutions européennes — Audition de Mm. Nikolaus Meyer-landrut ambassadeur d'allemagne jean-dominique giuliani président de la fondation robert schuman et guntram wolff directeur de l'institut bruegel en commun avec la commission des affaires étrangères

Guntram Wolff, directeur de l'Institut Bruegel :

Je souhaiterais aborder trois points. Le premier concerne le rôle essentiel du couple franco-allemand pour l'avenir de l'Union européenne, malgré l'existence de points de discorde sur différents sujets. Pour autant, cette relation privilégiée et le leadership qui en découle doit, pour contribuer au succès de l'Union européenne, demeurer inclusif. Je citerai, à titre d'illustration, l'exemple de l'Institut Bruegel, que j'ai l'honneur de diriger : fondé par la France et l'Allemagne, avec la participation de l'Italien Mario Monti, à l'occasion du quarantième anniversaire du traité de l'Élysée, il rassemble aujourd'hui des chercheurs originaires de toute l'Europe (l'Institut est soutenu par dix-neuf États membres). Or, la relation franco-allemande me semble faire trop souvent l'objet de critiques de la part d'autres pays européens, qui peut-être s'en sentent exclus. Ainsi, les Pays-Bas considèrent-ils que la France et l'Allemagne souhaitent aller trop loin en matière d'intégration budgétaire, sans parfois se soucier de leurs partenaires. De fait, l'accord de Deauville relatif à la gouvernance économique de l'Union, conclu en 2010 par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, a eu des conséquences certaines, pour l'Italie par exemple. Soyons donc attentifs à ne pas confondre leadership et domination.

Mon deuxième point est une réflexion sur les conséquences institutionnelles de l'approfondissement de la coopération entre les deux pays, qui représente la contrepartie somme toute logique au manque de confiance croissant des gouvernements vis-à-vis de la Commission européenne, pourtant indispensable au fonctionnement de l'Union. Les institutions européennes jouent, en outre, un rôle majeur pour les États membres de taille modeste, qui y trouvent la possibilité de faire valoir leurs intérêts. La perte de confiance dans la Commission européenne s'explique-t-elle par les pratiques de l'institution, en particulier celle, récente, des Spitsenkandidaten, les candidats désignés à sa présidence en amont des élections européennes ? Le Parlement européen souffre, quant à lui, d'un inquiétant déficit de représentativité de nos concitoyens. Le Brexit, qui supprime mécaniquement 73 postes de députés, représente une occasion unique de réformer le mode d'élection, en instaurant par exemple des listes transnationales, comme le propose le Comité des régions.

Mon troisième et dernier point porte sur les défis auxquels est confrontée l'Union européenne et sur les moyens d'y répondre. Le premier d'entre eux est évidemment la crise migratoire, qui a conduit l'Union à une petite révolution depuis que, selon le souhait de la majorité des membres du Conseil européen, la protection des frontières extérieures est assurée par Frontex, quand bien même certains États membres s'y opposeraient. L'attention portée à ce sujet au coeur des préoccupations de nombre de nos concitoyens est essentielle pour l'avenir de l'Union européenne. Ainsi, en Allemagne, le parti Alternative für Deutschland (AFD) ne dépassait guère 4 % des suffrages lorsqu'il défendait uniquement le retour au Mark. Depuis qu'il s'est positionné, en 2015, sur la lutte contre l'immigration, il rassemble près de 14 % des électeurs. L'approfondissement de la zone euro représente également un défi majeur. Il s'agit d'achever l'union bancaire avec la mise en place de garanties européennes de dépôt pour les banques placées sous la supervision de la Banque centrale européenne (BCE). Le ministre des finances par intérim de l'Allemagne, Peter Altmaier, a fait état de son souhait de faire aboutir ce dossier, même si cela pourrait prendre une dizaine d'années. Il convient, par ailleurs, d'améliorer le fonctionnement de la zone euro, afin de lui permettre de disposer des ressources nécessaires pour faire face à un choc asymétrique. Un tel mécanisme peut s'envisager hors comme au sein du budget de l'Union ; je plaide pour ma part, à l'instar de la Commission européenne, en faveur de la seconde solution, qui m'apparaît à la fois plus cohérente et plus efficace, en particulier depuis qu'avec le Brexit, 85 % du produit intérieur brut (PIB) de l'Union appartient à la zone euro. Elle pose néanmoins la question de la faible légitimité de la Commission européenne, notamment en matière financière. Comment dès lors mener démocratiquement à bien une telle réforme ? Un dernier défi réside, selon moi, dans la gestion de la transition énergétique et climatique, qui fait l'objet de nombreuses discussions franco-allemandes. Le projet de créer une taxe sur le charbon évoqué dans ce cadre est certes intéressant, mais le dispositif ne sera que peu effectif s'il se limite à deux pays.

L'enjeu, pour faire face aux défis que je viens d'évoquer, est de réfléchir aux différents niveaux auxquels l'Union européenne pourrait ou devrait fonctionner. La Commission est favorable à une égalité entre États membres dans ce domaine mais, en pratique, des coalitions se forment et varient selon les sujets. Le prochain gouvernement allemand pourrait vouloir avancer sur certains points aux côtés de la France, mais quel serait le cadre juridique et démocratique de telles décisions ? J'insiste : bien que l'axe franco-allemand soit essentiel, prenons garde à la qualité de nos relations avec les autres États membres comme avec la Commission européenne. Des degrés variés d'intégration à l'Union sont acceptables, à la condition qu'ils ne soient pas arbitrairement définis.

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