Les 15 et 16 janvier derniers, une délégation du bureau de notre commission s'est rendue à Bruxelles dans le cadre de nos échanges continus et réguliers avec les institutions européennes. Cette délégation était composée de Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Fabienne Keller, Gisèle Jourda, Pierre Médevielle et de moi-même.
Les multiples rencontres que nous avons eues nous ont tout d'abord permis de prendre la mesure d'un véritable changement d'atmosphère, très palpable au sein des institutions bruxelloises. Voilà encore un an, après une décennie d'accumulation de crises, culminant avec le référendum sur le Brexit et l'élection de Donald Trump, l'ambiance était morose et l'on craignait que la « vague populiste » ne finisse par emporter la construction européenne à l'occasion des élections néerlandaises et françaises. Tel n'est plus du tout le cas aujourd'hui. Le regain d'optimisme tient pour partie à la façon dont notre pays est perçu.
Le moment semble donc favorable à la fois pour le projet européen, mais aussi pour la France. Nous sommes servis par la conjoncture politique et le retrait relatif de l'Allemagne, depuis l'été dernier et pour quelques mois encore. L'ambassadeur d'Allemagne à Paris, M. Nikolaus Meyer-Landrut, que nous avons entendu en commission, a aussi été reçu en entretien par le président Larcher. Il envisage un gouvernement en ordre de marche début mars, sans imaginer l'échec de la grande coalition, car le vote des membres du SPD ne peut être discordant. Dans le même temps, à Bruxelles, on parle plutôt du Président Macron et du retour de la France.
La France peut aussi capitaliser sur son « avantage conceptuel ». Alors que le Brexit, l'évolution de l'Amérique ou encore la nécessité d'une politique commerciale et industrielle offensive bousculent le paradigme de nombre de nos partenaires, il ne fait que confirmer la vision « gaullienne » qui faisait traditionnellement l'originalité de notre pays.
Premiers enseignements pour bénéficier de cette fenêtre d'opportunités, la France doit poursuivre son action dans le cadre du couple franco-allemand, en évitant toutefois de donner à ce couple un caractère trop exclusif, ce qui nous empêche d'exercer un leadership notamment à l'égard de « petits pays ». M. Wolff, directeur de l'Institut Bruegel, a parlé d'un couple « inclusif », qui serait plutôt « ouvert » pour M. Giuliani. M. Macron évoque, lui, un triangle de la jalousie. Cette analyse se défend.
La France doit enfin être attentive à fédérer autour de propositions réalistes et acceptables par le consensus qui gouverne l'Europe, au sein du Conseil européen. Nos interlocuteurs nous ont parfois fait comprendre que toutes les propositions du discours de la Sorbonne ne remplissaient pas ces conditions. Le regain d'optimisme constitue un atout appréciable pour aborder l'année 2018. Néanmoins, il ne sera peut-être pas suffisant pour affronter les défis inscrits à l'agenda des semaines et des mois qui viennent.
Il s'agit tout d'abord des trois négociations parallèles sur le Brexit : l'accord de retrait, la période transitoire et, surtout, le cadre des relations futures. Elles constitueront un défi à l'unité des Vingt-sept qui, j'en suis le premier étonné, a tenu jusqu'à maintenant. Espérons que cette situation perdure. Rendons hommage à notre compatriote Michel Barnier : il s'est rendu dans les vingt-sept capitales, ce qui a été l'une des clefs du succès. Cette unité pourrait en effet se fissurer lorsque les négociations vont entrer dans le concret et que les divergences d'intérêts entre les différents États membres vont se faire sentir. Nous pouvons faire confiance à nos amis anglais pour savoir les exploiter... L'accord du 8 décembre concernant l'Irlande, c'est tout et son contraire ! Le groupe de suivi sur le Brexit se déplacera le moment venu, mais je suis dubitatif s'agissant de solutions concrètes, car j'ai plutôt l'impression que Mme May gagne du temps.
Je citerai ensuite la négociation du cadre financier pluriannuel pour la période 2012-2027 avec les 20 à 25 milliards d'euros supplémentaires qui doivent être trouvés : 10 à 13 milliards d'euros sur le Brexit et 10 à 12 milliards sur de nouvelles politiques. De plus, comme nous le faisait remarquer notre nouvel ambassadeur, M. Léglise-Costa, il y a toujours le risque que ces différentes négociations « s'embolisent » mutuellement, surtout si l'on y ajoute la réforme annoncée du droit d'asile. Le blocage lié à une ligne de fracture Europe de l'Est-Europe de l'Ouest n'est pas non plus à exclure avec les divergences très sensibles sur les différents dossiers.
Au-delà de ce tour d'horizon général, nous avons rencontré trois commissaires européens afin d'assurer le suivi de nos relations avec Bruxelles concernant le plan Juncker, la réforme de la PAC et la politique commerciale. Je retiendrai de nos échanges avec le commissaire Katainen un large satisfecit pour le plan Juncker en général et pour la France en particulier. Selon les souhaits exprimés par le Sénat, l'effort doit se poursuivre pour rendre ce dispositif plus accessible aux PME et aux petites collectivités territoriales. Le ticket d'entrée reste élevé, même s'il est passé de 50 millions d'euros au départ à 10 millions d'euros.
S'agissant de la PAC, nous sommes en phase sur bien des sujets avec le commissaire Phil Hogan. Celui-ci nous a demandé à plusieurs reprises notre appui sur le maintien de la ligne budgétaire, car la politique agricole et la politique de cohésion risquent d'être mises à contribution. Néanmoins, il nous a fait part de sa surprise lorsque certaines fuites de l'Élysée, certes démenties, indiquaient que les autorités françaises ne seraient pas opposées à un cofinancement des aides directes... Je le redis, une telle renationalisation de la PAC n'est pas acceptable, ce qui n'empêche pas de se féliciter des propositions récentes du commissaire pour plus de subsidiarité et de souplesse.
Quant aux propos du commissaire Hogan sur la situation de son pays, l'Irlande, dans le cadre du Brexit, son expression a confirmé la charge émotionnelle et politique très forte de cette question, dont certains pensent qu'elle pourrait être la cause d'un « non-accord » - no deal - entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.
Enfin, quelques mois après l'épisode « wallon » relatif au CETA avec le Canada, ou accord économique et commercial global, la commissaire Malmström nous a rappelé sa politique à la fois d'ouverture à de nouveaux accords, de transparence en amont des négociations et de recherche de relations commerciales plus équilibrées. Selon ses propos, la disjonction de la partie investissements des accords mixtes ne deviendra pas une pratique systématique visant à faire échapper la Commission européenne au vote des parlements nationaux. De plus, face aux limites de l'OMC, confirmées lors de la réunion de Buenos Aires, la commissaire n'excluait pas de rechercher de nouvelles formules comme celles d'accords plurilatéraux. Le multilatéralisme étant en léthargie avec le blocage, par les États-Unis, du renouvellement de plusieurs juges de l'organe de règlement des différends, le président Juncker a habilement orienté la Commission vers la multiplication d'accords de libre-échange. Les normes européennes pourraient ainsi devenir des normes mondiales. L'accord avec le Japon sera le plus emblématique en la matière.
Nous continuerons de nous rendre régulièrement à Bruxelles où nous avons pris deux rendez-vous pour les mois qui viennent, l'un avec le commissaire Hogan pour échanger sur la contribution du Sénat français aux réflexions sur la réforme de la PAC - le commissaire a exprimé sa satisfaction à l'égard de nos réflexions -, et l'autre avec les équipes du premier vice-président Frans Timmermans, chargées de la Task Force sur le contrôle de la subsidiarité et de la proportionnalité par les parlements nationaux.
Par ailleurs, nous avons rencontré le Danois Jeppe Tranholm-Mikkelsen, secrétaire général du Conseil, ainsi que les Français qui occupent des postes-clés dans les différentes institutions : Jean-Eric Paquet, secrétaire général-adjoint de la Commission européenne, Christine Roger à la direction générale Justice et affaires intérieures du Conseil, l'ancienne cheffe de cabinet de Michel Barnier, Mme Anne Bucher, présidente du comité d'examen de la réglementation, M. Valère Moutarlier, directeur Fiscalité directe, coordination fiscale, analyse économique et évaluation de la Commission européenne. Pour eux, la France est de retour, mais ils estiment que ce sentiment devra être concrétisé par des actes.