Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 8 juin 2011 à 14h30
Contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre — Discussion en deuxième lecture et adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

… tant entre l’Assemblée nationale et le Sénat, lequel a apporté à l’édifice une contribution assez consistante, qu’entre l’opposition et la majorité, qui y ont l’une et l’autre beaucoup travaillé.

Il est vrai que l’enjeu de ce texte est important ou, du moins, pourrait l’être. En tout état de cause, il ne justifiait pas de désaccord entre nous.

Nous avons fait part de nos observations en première lecture, tant en commission que dans l’hémicycle, en particulier s’agissant du maintien d’un contrôle nécessaire sur un marché, celui des armes, qui n’a rien d’ordinaire. Je n’y reviens donc pas, et notre groupe confirmera le vote qu’il a déjà émis sur ce texte.

Les directives du « paquet défense » vont plutôt dans la bonne direction et marquent une amélioration par rapport à la situation présente.

Elles vont simplifier la vie de nos industriels et leur ouvrir, peut-être, – l’avenir le dira – des opportunités de nouveaux marchés : rendez-vous dans quelque temps…

Le problème tient à ce que le « paquet défense » ne comporte pas de clause de préférence communautaire. Or l’émergence d’une authentique base industrielle européenne implique bel et bien l’existence d’une telle clause vis-à-vis des opérateurs économiques de pays tiers au grand marché.

Sans clause de préférence communautaire, il n’y aurait jamais eu de politique agricole commune et, sans politique agricole commune, nous ne serions pas parvenus à faire le marché commun, et donc l’euro. Évidemment, le problème ne se pose pas en ces termes, car agriculture et défense ne peuvent être comparées, mais le fait que nous ayons pu – il est vrai que nous étions alors moins nombreux et plus allants… – nous imposer une telle clause en matière agricole mais que nos contemporains ne réussissent pas à le faire en matière de défense en dit long sur l’essoufflement de la construction européenne !

À cause de cela, nous nous retrouvons dans une situation bien curieuse, avec, d’un côté, une base de défense industrielle américaine solidement protégée et qui s’ouvre uniquement lorsque les autorités américaines l’estiment profitable – je pense au récent épisode des avions ravitailleurs MRTT – et, de l’autre, une base de défense européenne ouverte à tous les vents !

Nous avons bien lu l’exposé des motifs de la directive MPDS : c’est une profession de foi dans les vertus du libre-échange, assortie de l’espoir – mais ce n’est qu’un espoir – de récompense en contrepartie. Permettez-moi cependant d’être sceptique : le libre-échange peut-être, la naïveté, non ! En matière de commerce international, nous croyons plus aux rapports de force et à la réciprocité.

C’est pourquoi, devant cette cécité de nature idéologique, nous en venons à nous demander si, au-delà d’une croyance dans les vertus du libre-échange, la volonté de la Commission, du Conseil et du Parlement européens n’a pas été tout simplement de laisser se construire une base industrielle en direction de l’OTAN plutôt qu’une base industrielle véritablement européenne.

Pour autant, et pour être honnête, il faut reconnaître que les choses sont plus compliquées qu’il n’y paraît. Nous savons tous qu’une clause de préférence communautaire en matière de défense aurait des avantages, car elle permettrait de consolider et de conforter l’industrie nationale en lui apportant la quasi-certitude de bénéficier de programmes d’équipement, mais elle aurait aussi un grand inconvénient, puisqu’elle pourrait conduire à acquérir des armes peut-être moins performantes et sûrement à des prix plus élevés, voire beaucoup plus élevés, que celles qui pourraient être acquises auprès de pays tiers.

La clause de préférence communautaire peut même conduire les autorités d’un État à subventionner de fait ses propres entreprises, surtout si celles-ci sont en situation de monopole. Dans le marché des avions MRTT que je viens d’évoquer, c’est bien parce que les autorités américaines ont refusé de payer à Boeing la rente qui découlait de son monopole qu’elles ont voulu mettre cette entreprise en concurrence avec l’européen EADS. Rien ne les y obligeait, mais, au final, c’est quand même l’entreprise américaine qui a remporté le marché. Le contribuable américain a réalisé grâce à cette « vraie-fausse » mise en concurrence une économie de sept milliards de dollars. Peut-être saura-t-il renvoyer la politesse au contribuable Européen ?...

Le refus d’une clause de préférence communautaire s’explique par le fait que les États européens ne disposent pas, en général, d’une industrie de défense et qu’ils n’étaient pas prêts à payer plus cher l’acquisition d’armes éventuellement moins performantes. Ils l’étaient d’autant moins que, pour eux, conforter la base industrielle européenne se serait résumé à acheter aux industriels français, britanniques, allemands, italiens, espagnols ou suédois, au nom d’un « intérêt général européen » dont ils ont du mal à percevoir les contours au-delà de leurs propres frontières.

Tel n’est pas le cas des autorités américaines, qui n’ont aucun scrupule à acheter plus cher à leurs propres industriels des armes moins performantes que celles qu’elles pourraient acheter aux industriels européens. Je pense encore, bien sûr, au contrat MRTT.

Par ailleurs, bon nombre d’entreprises européennes, comme le britannique BAE ou l’italien Finmeccanica, se sont beaucoup implantées aux Etats-Unis, à tel point que, par certains aspects de leur chiffre d’affaires, ces entreprises sont presque plus américaines qu’européennes ! Réserver le marché aux entreprises authentiquement européennes eût été, pour certains gouvernements, mettre en péril des stratégies d’implantation outre-Atlantique mises en œuvre depuis de longues années.

C’est afin de limiter les dégâts sur notre propre industrie de défense que le Sénat français a introduit – que nous avons introduit – une clause de préférence communautaire sous la forme d’un principe raisonnablement souple : lorsque nos autorités lanceront un appel d’offres en matière d’armement, cet appel d’offres sera réservé aux industriels européens et ce ne sera que par dérogation à ce principe que nous pourrons ouvrir nos appel d’offres à la concurrence internationale.

Nous avons ainsi choisi de jouer la carte européenne plutôt que la carte atlantiste. Qui en Europe pourrait nous le reprocher ? C’est une manière pour nous de tracer une ligne rouge. La souveraineté, c’est la faculté pour un État de pouvoir ouvrir ses offres quand il le veut, comme il le veut et à qui il veut.

Je vais donner un exemple. Aujourd’hui, parce que l’industrie aéronautique européenne de défense a complètement « raté » – et je pèse le mot ! – la révolution technologique des drones MALE

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