Tout cela pour dire que le « paquet défense » constitue une avancée, mais qu’il ne permettra pas, à lui seul, de réaliser l’Europe de la défense.
La logique qui le sous-tend devrait permettre de disposer de bases équitables de concurrence entre industriels européens. Considérons cette avancée de façon positive et, autant que possible, tentons d’engranger des gains.
Mais il ne faut pas pour autant nourrir trop d’illusions. Nous sommes loin des objectifs affichés dans l’exposé des motifs des directives de 2009 et de la communication sur une stratégie industrielle commune en matière de défense de 2007.
Pour construire une base industrielle de défense européenne forte et autonome, il faudrait non seulement la régulation des conditions de marché ainsi qu’une clause de préférence communautaire, c’est-à-dire une politique de l’offre, mais aussi une politique de la demande, qui suppose l’harmonisation des besoins et des programmations par les états-majors des pays de l’Union et une harmonisation de l’effort de défense – point important – dans chacun des pays qui la compose. Hélas, nous n’en voyons pas le début du commencement !
L’industrie de la défense américaine dispose d’un marché intérieur non seulement protégé, mais également vaste et profond, ce qui explique sa force. Or la dimension du marché américain des armements est liée tant à l’importance des sommes qui y sont consacrées, qu’à l’uniformisation des besoins au sein d’une même armée.
Les industriels américains ne sont pas obligés de fabriquer un blindé pour la Pennsylvanie, un autre pour l’Arizona, voire un troisième pour le Vermont, ou encore de concevoir une frégate pour la Floride et une autre pour la Californie. Par ailleurs, l’Oregon et le Texas ne disposent pas d’avions de combat différents. L’Europe, elle, a trois avions de combat différents, sept programmes de frégates et dix-sept programmes de blindés ! La concentration ne se fera pas sous le seul effet des règles du marché.
Or la puissance de l’industrie de défense américaine permet aux États-Unis de s’assurer d’avantages compétitifs à l’exportation et de concurrencer durement et durablement les industriels européens sur les marchés mondiaux.
Comme l’a indiqué Aymeri de Montesquiou, tant que l’Europe ne sera pas capable d’harmoniser, de mettre fin à la segmentation de ses industries de l’armement ou d’organiser une coopération efficace entre ses entreprises de défense, la lutte demeurera inégale.
Le préalable à la réalisation de l’Europe de la défense est donc une volonté politique forte des États membres. Il n’y aura pas d’Europe de la défense sans cette volonté partagée. Le reste est littérature.
De ce point de vue, la coopération franco-britannique dans l’esprit de la déclaration de Saint-Malo, poursuivie par les traités signés à Londres au mois de novembre dernier, doit apparaître comme une étape dans la construction d’une Europe de la défense.
Certes, elle constitue une approche très différente des précédentes. Elle marque même une rupture en ce qu’elle affirme substituer une démarche pragmatique et concrète à une architecture globale et mal assurée, des programmes d’équipement précis et financés à des velléités ou à de bien minces réalisations.
Elle peut être – je le souhaite de tout cœur – le prélude à des coopérations renforcées prévues par le traité de Lisbonne qui, seules, peuvent faire progresser la politique européenne de sécurité et de défense commune, la PESDC, et lui donner un peu de consistance.
En conclusion, je dirai que le « paquet défense » peut représenter une étape nouvelle dans la réalisation d’une véritable base industrielle et technologique de défense européenne. Il ouvre des perspectives, autorise des espoirs. Il peut permettre de déboucher rapidement sur quelques projets mobilisateurs et crédibles. Il y va simplement de la volonté des acteurs.
Nous devons donc continuer à nous battre pour l’Europe de la défense, recoller les morceaux avec nos amis allemands, si vous me permettez cette expression, mes chers collègues, car on ne peut pas tourner le dos à quarante années de traité de l’Élysée comme cela. Il nous faut veiller, comme sur un trésor, à notre coopération avec l’Italie – ce n’est pas si simple –, dont nous oublions toujours qu’elle est notre premier partenaire industriel en matière de défense. Il nous faut panser les plaies de la coopération navale avec les Espagnols et consolider notre partenariat au sein d’EADS. Il nous faut coopérer avec les Néerlandais, qui ont des frégates Aegis dotées du même radar que nos frégates Horizon et qui ont, avec beaucoup de détermination et de résolution, décidé, en y mettant quelques moyens, d’en faire un instrument au service de la défense anti-missile européenne. Nous pouvons agir de même !
Bref, au lieu de donner sans cesse des leçons et de faire la démonstration de l’arrogance française, il nous faut convaincre, persuader, faire des compromis, si nous voulons favoriser la construction d’une authentique Europe de la défense. Une Europe de la défense qui ne se paiera pas de mots, mais qui continuera d’assurer la paix et la prospérité de nos citoyens, de faire respecter nos valeurs dans le monde, que ce soit au Moyen-Orient, en Afrique, ou ailleurs.
Tout cela est long, difficile, ingrat, compliqué, parfois coûteux, mais nécessaire.
Divisés, nous serons vassaux ; ensemble, nous demeurerons souverains. Cette noble et belle ambition justifie tous nos efforts.