Intervention de Pierre Mathiot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 31 janvier 2018 à 14h30
« un nouveau baccalauréat pour construire le lycée des possibles » — Audition de M. Pierre Mathiot professeur des universités en science politique à sciences po lille

Pierre Mathiot, professeur des universités, auteur du rapport « Un nouveau baccalauréat pour construire le lycée des possibles » :

L'engagement d'Emmanuel Macron, durant la campagne présidentielle, de simplifier et de dynamiser le baccalauréat, constituait le point de départ de la mission qui m'a été confiée. Il vise à réduire le nombre des épreuves du baccalauréat et d'y instiller une dose de contrôle continu. Tel est également le contenu de la lettre de cadrage confirmée par le Premier ministre, lors de son discours de politique générale du 4 juillet dernier.

De nombreux rapports ont été consacrés à la réforme du baccalauréat et certaines de mes préconisations tirent les leçons des échecs essuyés par les réformes précédentes.

Notre équipe, composée également de quatre inspecteurs généraux et épaulée par les équipes de la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), a organisé une centaine d'auditions et des déplacements dans les académies de Marseille, Lille et Besançon. Concomitamment, le ministère a lancé une consultation nationale à laquelle 46 000 lycéens ont répondu. Notre examen a également porté sur les conditions de délivrance, à l'étranger, de l'équivalent du baccalauréat et certaines de nos propositions, comme le grand oral, s'inspirent de ces pratiques. Le baccalauréat contribue à notre visibilité internationale et de nombreux élèves le préparent dans les lycées de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) ou de la Mission laïque française. Il fallait ainsi être vigilant à ce que cette réforme ne ruine pas l'attrait du baccalauréat « à la française » auprès de ces élèves étrangers.

Le lycée est totalement organisé en fonction du baccalauréat qui se déroule durant le mois de juin de la classe de terminale. Réformer le baccalauréat est ainsi l'étape initiale d'une réforme en profondeur du lycée. Fort de ma culture de chef d'établissement, j'ai été très attentif au réalisme de nos propositions. Le baccalauréat serait organisé en quatre épreuves finales, durant l'année de terminale, et une épreuve anticipée, en classe de première. Cette démarche marque l'aboutissement d'une réflexion sur les épreuves et les programmes. Ainsi, la préparation de l'épreuve de français accorde actuellement une part trop importante aux épreuves techniques, au détriment de la littérature. Celle-ci devrait n'être plus composée que d'un oral et d'un écrit, comptant tous deux pour une note. Parmi les quatre épreuves terminales proposées, les élèves en passeraient deux correspondant à leur spécialité au retour des vacances de Pâques, afin que leurs résultats soient portés à la connaissance de Parcoursup. Les deux autres épreuves - une de philosophie et le grand oral - seraient passées en juin ; ces cinq épreuves, français inclus, compteraient pour 60 % de la note finale. Les 40 % restant pourraient consister soit en des épreuves organisées ponctuellement en première et terminale, au risque de transférer les charges administratives dégagées en juin à d'autres moments de la scolarité ; soit en la prise en compte des bulletins de notes, avec comme contrepartie la fin du critère d'anonymat que ne respecte pas non plus l'admission dans les filières post-bac sélectives. L'égalité des chances y gagnerait, puisque les critères de notation s'avèrent souvent plus drastiques dans les établissements situés en centre-ville. Enfin, une troisième possibilité plus médiane, qui a reçu l'aval des syndicats, consisterait à pondérer à hauteur de 30 % les épreuves ponctuelles et à 10 % les bulletins, afin de garantir l'assiduité des élèves jusqu'à la fin du mois de juin. L'exécutif devra trancher cette question.

Le diplôme se verrait aussi doté d'un supplément. Aujourd'hui, sur Parcoursup, les élèves ont la possibilité de fournir des informations sur leur cursus, ainsi qu'une lettre qui est bien souvent rédigée par leurs parents. Un tel dispositif me semble accroître les disparités sociales. Le supplément au diplôme fournirait un document officiel, collationnant les compétences acquises et retraçant l'ensemble des activités accomplies durant le lycée. Ce document officiel serait ainsi transmis à Parcoursup. Enfin, l'épreuve de rattrapage serait transformée en examen du livret scolaire et de l'assiduité à l'issue duquel le jury serait souverain pour délivrer le baccalauréat. Les lycées y gagneraient six jours de fonctionnement. Cette réorganisation, permettant de financer la numérisation des copies et des convocations des élèves, contribuerait également à la modernisation de l'organisation de l'épreuve. Cette réforme répondrait en outre à un impératif moral ; le rattrapage, dans sa configuration actuelle, ne bénéficiant actuellement guère aux élèves besogneux, issus des milieux modestes, qui ne peuvent obtenir des résultats supérieurs à la moyenne durant cette épreuve, conviendrait à des élèves dont les notes, tout au long de l'année scolaire, étaient faibles mais qui ont obtenu une note supérieure le jour du bac.

Le baccalauréat actuel ne compte en rien pour l'orientation vers l'enseignement supérieur. Près de la totalité des élèves reçoivent leur notification d'admission dans le supérieur avant même le début des épreuves terminales du baccalauréat ! Il faudrait à l'inverse que près de 75 % des résultats au baccalauréat des élèves soient connus des instances de l'enseignement supérieur au moment de leur décision. La valeur certificative du baccalauréat est une priorité : il est illogique que les élèves, qui y ont pourtant obtenu une mention, échouent dans le supérieur !

Cette réforme peut être conduite de manière autonome, sans modifier structurellement l'organisation du lycée. La préparation au baccalauréat se composerait de trois unités de formation réparties sur six semestres. Outre la mise en oeuvre d'un tronc commun jusqu'à la fin de la terminale, les élèves à la fin de la seconde pourront choisir une unité d'approfondissement et de complément, en bénéficiant d'un droit à l'erreur sans être pour autant pénalisés dans Parcoursup. Cette unité modulaire permettrait également aux élèves d'élever leur niveau dans les disciplines de leur choix et de prendre une certaine avance dans la filière qu'ils comptent rejoindre, une fois leur baccalauréat obtenu. Mais ce n'est pas parce qu'un élève s'est spécialisé en sciences durant son lycée qu'il ne pourra pas étudier en faculté de droit ! Une troisième unité, qui serait une sorte d'accompagnement personnalisé revisité et consacré à l'accompagnement, permettrait de mieux préparer les élèves à l'entrée dans l'enseignement supérieur. Aujourd'hui, les élèves n'y sont que très marginalement préparés, faute d'une information sur les orientations. Cette information doit être internalisée pour que le lycée réussisse sa mission d'émancipation de tous ! Cette unité aurait également vocation à préparer les élèves aux méthodes de travail de l'enseignement supérieur et à l'autonomie. Aujourd'hui moins de 50 % des élèves d'aujourd'hui demandent leur inscription en année de licence et le secteur privé à but lucratif est désormais très prisé, y compris par les milieux populaires ! En outre, les quatre filières les plus demandées - STAPS, psychologie, médecine et droit - ne sont pas enseignées au lycée. Initier par des enseignements ponctuels les élèves à ces quatre disciplines, dès la seconde, permettrait, en amont, de réguler les flux et d'éviter les abandons dès la première année universitaire ! L'accompagnement à l'orientation est un pari à relever, afin de lutter contre l'échec en licence et l'accroissement des inégalités dans l'enseignement supérieur. Enfin, dans le cadre de cette unité serait sanctuarisé un volume horaire pour améliorer l'expression orale. Une certification en langues étrangères, visée par le ministère de l'éducation nationale, serait aussi délivrée. L'apprentissage de deux langues étrangères ne me paraît nullement une nécessité, comme l'on connaît le niveau préoccupant des personnes qui, quelques années après leur sortie du système scolaire, n'en possèdent plus aucun rudiment ! J'ai proposé qu'un test de positionnement, dans une première langue vivante autre que l'anglais, devienne la condition de l'apprentissage d'une seconde ; cette proposition contournant l'opposition initiale du ministère des affaires étrangères et des professeurs de langues à un critère de conditionnalité pour l'apprentissage des langues étrangères.

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