Intervention de Sandrine Rousseau

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 17 janvier 2018 : 1ère réunion
Audition de Mme Sandrine Rousseau présidente de l'association parler

Sandrine Rousseau :

Une préoccupation récurrente dans les témoignages que j'ai reçus est celle de la formation de tous les personnels susceptibles d'être en contact avec les victimes, du dépôt de plainte jusqu'au terme de la procédure : les policiers qui sont chargés de l'accueil dans les commissariats, les juges, mais aussi les médecins. L'accueil dans les commissariats peut encore être défaillant. Je sais qu'il y a eu des avancées notables, mais beaucoup reste encore à faire. Un policier ou une policière par commissariat formé-e à l'accueil des femmes victimes de violences, cela ne suffit pas. Il faut qu'ils le soient quasiment toutes et tous.

De la même façon, il est particulièrement éprouvant pour une victime d'agression sexuelle ou de viol de venir raconter les faits dans le hall d'un commissariat plein de monde, sans aucune confidentialité. C'est pourquoi je suggère l'instauration d'un code, par exemple 3919, en référence au numéro d'urgence, ou d'autres mots, peu importe, pour savoir que la femme devant eux est victime de violences sexuelles. Ce code serait compris par les policiers chargés de l'accueil, qui orienteraient alors la personne dans un lieu adapté à la situation, pour lui éviter d'avoir à prononcer les mots de viol ou d'agression sexuelle devant tout le monde.

En outre, j'insiste sur la formation des psychologues et des médecins, notamment dans le cadre des expertises psychologiques, autre moment très éprouvant pour les femmes qui viennent déposer plainte. Selon la loi, les victimes de violences sexuelles font l'objet d'une expertise psychologique pour évaluer l'ampleur du traumatisme subi. Or, souvent ces expertises outrepassent cet objectif et se révèlent à charge contre les femmes qui déposent plainte pour des violences sexuelles, en les présentant parfois comme des menteuses ou des manipulatrices. Ce n'est pas ce que l'on demande à l'expert, en l'occurrence. Il me paraît donc nécessaire de mieux encadrer ces expertises, d'autant plus qu'elles représentent un élément important du dossier pour la suite de la procédure. Cette tendance problématique à présenter les femmes comme des manipulatrices en dit long, à mon avis, sur la vision que porte notre société sur les femmes et leur sexualité...

J'ai également des recommandations relatives au corps médical. Beaucoup des femmes qui ont témoigné dans le cadre de mon association ont fait part de leur mal-être lié à l'examen qu'elles ont subi en médecine légale pour constater le viol après le dépôt de plainte. En effet, bien souvent, ces prélèvements ADN sont réalisés par des hommes, ce qui est insupportable pour des femmes qui viennent de subir un viol. Il me semble qu'il serait pertinent d'élargir le champ des personnes susceptibles de procéder à ces examens, aujourd'hui réalisés par un personnel très restreint, aux infirmières ou aux médecins du travail, sous réserve de formation. A tout le moins faudrait-il encadrer ces prélèvements sensibles par un protocole, car il est vraiment très violent de faire examiner par un homme une femme qui vient tout juste d'être violée.

Toujours dans le champ médical, il faut savoir que les victimes d'un viol sont soumises à des traitements préventifs contre le VIH ou les hépatites, qui sont des protocoles assez lourds. Or, même quand l'auteur du viol a été arrêté, on ne lui fait pas d'examen pour s'assurer que ces traitements sont nécessaires : on continue à donner à la victime des trithérapies et autres traitements très contraignants alors que l'auteur du viol est connu et qu'il peut ne pas être lui-même contaminé. Cela fait partie des choses que les victimes supportent très mal dans leur parcours. Il en va de même quand on effectue les prélèvements gynécologiques ou ADN : les victimes ne sont pas tenues informées de leur dossier médical. Tout cela fait aussi partie des violences supplémentaires qu'on inflige aux femmes.

En outre, se pose la question du manque de lieux adaptés pour l'accueil des victimes de violences sexuelles dans les commissariats et les hôpitaux. Il est en effet difficile de parler de son intimité dans des lieux très froids et impersonnels, peu adaptés à l'émotion qui imprègne les propos des victimes quand elles racontent les faits, et cela peut aussi les déstabiliser. Cela m'a marquée, alors que j'ai fait ma déposition longtemps après mon agression. Or le moment du dépôt de plainte est un moment important dans le parcours d'une victime, car sa déposition servira ensuite tout au long de l'instruction. Une victime a besoin de se sentir en confiance pour parler.

Un autre problème concerne la protection des victimes. Beaucoup de femmes qui déposent plainte reçoivent des menaces contre elles-mêmes ou leurs enfants, surtout quand elles connaissent leur agresseur. Je pense que tant que la justice n'a pas statué, il faut organiser la protection de ces femmes. Les juges peuvent demander une protection dans ces situations, mais ce n'est pas systématique et cela se fait rarement en pratique, et de façon assez légère. Certaines victimes ressentent une profonde détresse face à ces menaces : les gérer en plus de leur traumatisme leur est tout simplement impossible.

En outre, j'estime qu'il faudrait permettre aux femmes qui déposent plainte de se faire rembourser 100 % des soins, notamment psychologiques, liés à leur agression, au moins jusqu'à ce que la justice ait statué. Il ne faut pas oublier les conséquences d'une agression sexuelle, du harcèlement ou d'un viol sur une victime, notamment dans le domaine professionnel. Je parle de remboursement à 100 %, pas d'enrichissement personnel ! L'objectif est juste de pouvoir aller chez le médecin, ce qui est parfois difficile pour des femmes qui ont perdu leur travail. Sans le remboursement intégral des soins, elles sont bien souvent dans l'incapacité de se faire suivre et se retrouvent alors de plus en plus isolées.

En ce qui concerne l'indemnisation des victimes, je note que, dans le contexte de l'affaire Weinstein, le Canada vient de rouvrir toutes les plaintes pour violences sexuelles classées sans suite depuis deux ans. Je trouve que c'est une décision intéressante, qui s'adapte au changement de contexte.

Enfin, il me paraît indispensable de lutter absolument contre la correctionnalisation des viols. C'est une pratique scandaleuse. Le viol est un crime et doit être jugé comme tel.

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