Mes chers collègues, pour cette première réunion de 2018, permettez-moi de vous souhaiter, ainsi qu'à tous vos proches et à vos équipes, une excellente année 2018.
Une chose est sûre : cette année sera, comme 2017, très occupée à la délégation aux droits des femmes, si j'en juge par notre programme !
Je salue chaleureusement notre collègue Marie Mercier, présidente du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs, et je la remercie de sa présence à notre réunion.
Nous accueillons aujourd'hui Sandrine Rousseau ; je précise à son intention que nous avons décidé, dès la reconstitution de la délégation à l'issue du dernier renouvellement sénatorial, de centrer notre agenda sur les violences faites aux femmes, en lien avec une actualité chargée et avec la préparation du projet de loi annoncé par le Gouvernement. Toutes les auditions auxquelles nous avons procédé depuis le début de cette session concernent donc le thème des violences.
Deux auditions porteront plus particulièrement, en mars, sur les violences dans les outre-mer, conformément au souhait exprimé dès notre première réunion par nos trois collègues ultra-marines. En février et mars, nous travaillerons sur les mutilations sexuelles féminines. Quant au rapport d'information sur les violences faites aux femmes handicapées, inscrit à notre programme, nous sommes conduits à en décaler la réalisation en raison du décès récent de Maudy Piot, présidente universellement regrettée de la principale association référente en la matière : Femmes pour le dire, femmes pour agir. Il convient en effet que cette association se soit adaptée au contexte issu de la disparition de sa fondatrice.
Notre audition d'aujourd'hui s'inscrit dans une série de réunions dédiées au sujet des violences sexuelles, qu'il s'agisse du harcèlement, y compris dans ses dimensions « cyber », des agressions sexuelles ou du viol.
Sandrine Rousseau, vous avez été au coeur de ce qui est devenu l'« affaire Baupin » et vous faites partie des femmes qui ont contribué à « libérer la parole » face à des violences dont il est très difficile de parler.
Parler, c'est justement le titre du livre de témoignage que vous avez écrit, et c'est aussi le nom de l'association que vous avez tout récemment créée pour aider les femmes victimes de violences.
Je pense qu'il n'est pas utile de revenir sur les circonstances précises de l' « affaire Baupin », qui sont rappelées dans votre livre. Toutefois :
- pouvez-vous nous dire pourquoi les conséquences de cette affaire ne relèvent pas de la même échelle que celles de l'« affaire Weinstein » ? Les femmes en France se seraient-elles senties moins concernées par ce qui arrivait dans le milieu politique que par les agressions vécues par des actrices américaines ?
- S'agissant de votre parcours judiciaire, pourriez-vous aussi revenir sur la manière dont vous avez été accueillie par les services de police lors du dépôt de plainte ? Avez-vous des suggestions dans ce domaine pour améliorer l'accueil des victimes ? La pré-plainte en ligne envisagée par la garde des Sceaux est-elle à votre avis une solution ?
Nous aimerions aussi que vous nous présentiez votre association, qui a pour objectif d'aider à la prise de parole et d'accompagner les victimes, comme le précise votre site Internet, « jusqu'au dépôt de plainte et au-delà ». Quel est le bilan de ses premières semaines d'existence ? Les témoignages reçus par les femmes qui se sont adressées à vous confirment-ils votre propre vécu ?
Vous évoquez dans votre livre le soutien de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) et de sa déléguée générale, Marilyn Baldeck, que nous entendrons le 31 janvier. Confirmez-vous que sans ce type de soutien, votre démarche aurait été beaucoup plus difficile ?
C'est avec plaisir que je vous laisse la parole, puis mes collègues vous poseront des questions et nous aurons un temps d'échanges.
Je vous remercie de me recevoir. Mon propos introductif sera volontairement court, afin de favoriser le dialogue avec les membres de la délégation.
Pour répondre à votre question sur les réactions moins nombreuses à la suite de l' « affaire Baupin » que dans le sillage de l'« affaire Weinstein », je pense effectivement qu'il est plus difficile de parler après que les affaires sont sorties du milieu politique que du milieu du spectacle, qui a quelque chose de beaucoup plus consensuel. C'est une explication parmi d'autres. En France, je pense qu'il est assez difficile de faire émerger des affaires dans des sphères autres que la politique. On a entendu quelques dénonciations issues du militantisme politique, quelques-unes aussi dans le milieu journalistique, mais cela reste encore assez limité.
Pourquoi ai-je décidé de fonder l'association Parler et d'écrire l'ouvrage que j'ai intitulé de la même manière ? Pour répondre à cette question, il faut que je revienne un peu en arrière. Quand on a été confronté comme moi à une violence sexuelle, on vit souvent une période durant laquelle on essaie de faire avec, en se disant que ce n'est pas si grave, qu'on a fait face. Pendant cette période, on peut avoir des moments de bonheur et de joie, on ne pense pas forcément en permanence à l'agression, qui n'est pas nécessairement obsessionnelle. Malgré tout, ce souvenir reste toujours présent dans un coin de notre tête. Donc, on en parle quand même, pour essayer de faire évoluer les choses. En ce qui me concerne, j'en ai parlé au sein du parti dans les minutes qui ont suivi mon agression, je n'ai même jamais cessé d'en parler, mais je me suis heurtée à la surdité du monde politique. Personne n'a vraiment voulu entendre !
À partir du moment où l'on parle officiellement, que ce soit dans les journaux ou en allant déposer plainte à la gendarmerie ou au commissariat, on traverse une sorte de révolution personnelle, qui nous assaille pour le meilleur et pour le pire. Cela bouleverse totalement notre monde personnel. Aujourd'hui, en France, parler est vraiment un parcours extrêmement compliqué et douloureux. Voilà pourquoi j'ai écrit ce livre. Je n'ai pas trouvé beaucoup de littérature sur ce sujet, dans un moment où cela m'aurait beaucoup aidée. Il existe des livres sur le traumatisme du viol, mais très peu sur les violences sexuelles en général et sur le parcours d'une victime après la libération de sa parole. On peut avoir l'impression de devenir folle. Dans ces situations, seules les autres victimes, les femmes qui sont passées par là, peuvent constituer un soutien, alors que même vos proches ne vous comprennent plus.
J'ai donc voulu créer l'association Parler, une association de victimes, pour leur permettre de parler ensemble et leur offrir un espace de complète liberté de parole, pour échanger et leur montrer qu'elles ne sont pas seules. À la suite de la publication de mon livre, du lancement de l'association et de mon passage à l'émission On n'est pas couchés qui a suscité une polémique, j'ai reçu des milliers de témoignages de femmes. Toutes, elles disent la même chose. Il est vraiment frappant de voir à quel point leurs discours se ressemblent et à quel point leurs parcours sont communs, alors même qu'elles se sentent si seules et isolées.
Forte de mon vécu, je voudrais vous soumettre plusieurs propositions pour améliorer le parcours des femmes victimes de violences sexuelles.
Nous vous écoutons avec intérêt, puis les membres de la délégation pourront vous faire part de leurs réactions.
Une préoccupation récurrente dans les témoignages que j'ai reçus est celle de la formation de tous les personnels susceptibles d'être en contact avec les victimes, du dépôt de plainte jusqu'au terme de la procédure : les policiers qui sont chargés de l'accueil dans les commissariats, les juges, mais aussi les médecins. L'accueil dans les commissariats peut encore être défaillant. Je sais qu'il y a eu des avancées notables, mais beaucoup reste encore à faire. Un policier ou une policière par commissariat formé-e à l'accueil des femmes victimes de violences, cela ne suffit pas. Il faut qu'ils le soient quasiment toutes et tous.
De la même façon, il est particulièrement éprouvant pour une victime d'agression sexuelle ou de viol de venir raconter les faits dans le hall d'un commissariat plein de monde, sans aucune confidentialité. C'est pourquoi je suggère l'instauration d'un code, par exemple 3919, en référence au numéro d'urgence, ou d'autres mots, peu importe, pour savoir que la femme devant eux est victime de violences sexuelles. Ce code serait compris par les policiers chargés de l'accueil, qui orienteraient alors la personne dans un lieu adapté à la situation, pour lui éviter d'avoir à prononcer les mots de viol ou d'agression sexuelle devant tout le monde.
En outre, j'insiste sur la formation des psychologues et des médecins, notamment dans le cadre des expertises psychologiques, autre moment très éprouvant pour les femmes qui viennent déposer plainte. Selon la loi, les victimes de violences sexuelles font l'objet d'une expertise psychologique pour évaluer l'ampleur du traumatisme subi. Or, souvent ces expertises outrepassent cet objectif et se révèlent à charge contre les femmes qui déposent plainte pour des violences sexuelles, en les présentant parfois comme des menteuses ou des manipulatrices. Ce n'est pas ce que l'on demande à l'expert, en l'occurrence. Il me paraît donc nécessaire de mieux encadrer ces expertises, d'autant plus qu'elles représentent un élément important du dossier pour la suite de la procédure. Cette tendance problématique à présenter les femmes comme des manipulatrices en dit long, à mon avis, sur la vision que porte notre société sur les femmes et leur sexualité...
J'ai également des recommandations relatives au corps médical. Beaucoup des femmes qui ont témoigné dans le cadre de mon association ont fait part de leur mal-être lié à l'examen qu'elles ont subi en médecine légale pour constater le viol après le dépôt de plainte. En effet, bien souvent, ces prélèvements ADN sont réalisés par des hommes, ce qui est insupportable pour des femmes qui viennent de subir un viol. Il me semble qu'il serait pertinent d'élargir le champ des personnes susceptibles de procéder à ces examens, aujourd'hui réalisés par un personnel très restreint, aux infirmières ou aux médecins du travail, sous réserve de formation. A tout le moins faudrait-il encadrer ces prélèvements sensibles par un protocole, car il est vraiment très violent de faire examiner par un homme une femme qui vient tout juste d'être violée.
Toujours dans le champ médical, il faut savoir que les victimes d'un viol sont soumises à des traitements préventifs contre le VIH ou les hépatites, qui sont des protocoles assez lourds. Or, même quand l'auteur du viol a été arrêté, on ne lui fait pas d'examen pour s'assurer que ces traitements sont nécessaires : on continue à donner à la victime des trithérapies et autres traitements très contraignants alors que l'auteur du viol est connu et qu'il peut ne pas être lui-même contaminé. Cela fait partie des choses que les victimes supportent très mal dans leur parcours. Il en va de même quand on effectue les prélèvements gynécologiques ou ADN : les victimes ne sont pas tenues informées de leur dossier médical. Tout cela fait aussi partie des violences supplémentaires qu'on inflige aux femmes.
En outre, se pose la question du manque de lieux adaptés pour l'accueil des victimes de violences sexuelles dans les commissariats et les hôpitaux. Il est en effet difficile de parler de son intimité dans des lieux très froids et impersonnels, peu adaptés à l'émotion qui imprègne les propos des victimes quand elles racontent les faits, et cela peut aussi les déstabiliser. Cela m'a marquée, alors que j'ai fait ma déposition longtemps après mon agression. Or le moment du dépôt de plainte est un moment important dans le parcours d'une victime, car sa déposition servira ensuite tout au long de l'instruction. Une victime a besoin de se sentir en confiance pour parler.
Un autre problème concerne la protection des victimes. Beaucoup de femmes qui déposent plainte reçoivent des menaces contre elles-mêmes ou leurs enfants, surtout quand elles connaissent leur agresseur. Je pense que tant que la justice n'a pas statué, il faut organiser la protection de ces femmes. Les juges peuvent demander une protection dans ces situations, mais ce n'est pas systématique et cela se fait rarement en pratique, et de façon assez légère. Certaines victimes ressentent une profonde détresse face à ces menaces : les gérer en plus de leur traumatisme leur est tout simplement impossible.
En outre, j'estime qu'il faudrait permettre aux femmes qui déposent plainte de se faire rembourser 100 % des soins, notamment psychologiques, liés à leur agression, au moins jusqu'à ce que la justice ait statué. Il ne faut pas oublier les conséquences d'une agression sexuelle, du harcèlement ou d'un viol sur une victime, notamment dans le domaine professionnel. Je parle de remboursement à 100 %, pas d'enrichissement personnel ! L'objectif est juste de pouvoir aller chez le médecin, ce qui est parfois difficile pour des femmes qui ont perdu leur travail. Sans le remboursement intégral des soins, elles sont bien souvent dans l'incapacité de se faire suivre et se retrouvent alors de plus en plus isolées.
En ce qui concerne l'indemnisation des victimes, je note que, dans le contexte de l'affaire Weinstein, le Canada vient de rouvrir toutes les plaintes pour violences sexuelles classées sans suite depuis deux ans. Je trouve que c'est une décision intéressante, qui s'adapte au changement de contexte.
Enfin, il me paraît indispensable de lutter absolument contre la correctionnalisation des viols. C'est une pratique scandaleuse. Le viol est un crime et doit être jugé comme tel.
Je vous remercie pour ces pistes d'amélioration sur lesquelles réagiront sans doute mes collègues.
Je vous remercie pour ce témoignage. En tant que membre de la commission de la Culture, j'ai été très fière que cette dernière vous exprime tout de suite et spontanément sa solidarité, par une saisine du CSA, après ce que vous avez subi durant votre passage dans l'émission On n'est pas couchés, en dénonçant des agissements inadmissibles. Cette polémique illustre d'ailleurs à mon sens la collusion qui peut exister entre le monde politique et le monde médiatique.
Il est vrai que le milieu politique est un monde particulier, qui est resté pendant très longtemps l'apanage des hommes. Jusqu'à la loi sur la parité, les femmes arrivaient péniblement à entrer dans ce milieu-là et au fond - je vais peut-être choquer plusieurs d'entre vous - certaines femmes se sont peut-être prêtées dans une certaine mesure à une sorte de jeu de séduction dans ce contexte. Je ne dis pas que c'était bien ou que c'était une pratique courante. C'est juste une hypothèse.
En tout état de cause, il est très compliqué pour une femme de parler dans une situation comme celle que vous avez vécue, parce qu'elle peut avoir peur, quand elle appartient à un parti politique, à une fédération ou autre, des répercussions qui en résulteraient sur sa vie politique.
Il me paraît donc important de responsabiliser l'entourage, notamment politique, des victimes de violences sexuelles. Bien souvent, dans ce genre d'affaires, beaucoup de gens savaient, mais n'ont pas parlé pour les raisons que j'ai évoquées. Il faudrait les inciter à témoigner, en s'inspirant de ce qui existe en matière d'obligation de signalement concernant la maltraitance aux enfants.
J'ai récemment organisé une table ronde dans le sud de mon département avec d'autres élues. Je sais que la délégation a déjà évoqué la question des femmes victimes de violences en milieu rural, dans le cadre de son rapport sur les agricultrices1(*), mais je dois dire que j'ai réalisé à l'occasion de ces échanges qu'il est particulièrement difficile pour ces femmes de porter plainte contre leur mari ou leur conjoint violent. Elles ont très peu d'interlocuteurs vers qui se tourner, notamment le maire, mais ce dernier peut être un proche de l'agresseur... Cela rend la libération de la parole encore plus compliquée que dans les grandes villes. Le milieu rural est encore très isolé pour ce qui concerne la prise en charge et la protection des victimes.
Je vais faire une digression mais vous comprendrez in fine le rapport entre mes propos et notre sujet. Je fais partie d'une association qui lutte contre la maltraitance des enfants et des adolescents - et aujourd'hui cela concerne à 80 % des violences sexuelles. Nous nous constituons partie civile dans les procédures et nous n'obtenons bien souvent qu'un euro symbolique. Or, j'ai constaté depuis deux ou trois ans que dans les affaires de cyber-harcèlement, nous avons pu obtenir des dommages et intérêts.
Nous avons comme vous observé que les locaux des commissariats et gendarmeries sont des endroits peu propices à la confession des victimes, et notamment des enfants. Notre association a donc contribué au financement de salles dédiées aux enfants, dites « salles Mélanie ». Ces endroits à la fois apaisants et rassurants, équipés de jouets, gérés par des professionnels formés, sont beaucoup plus adaptés au recueil de la parole des enfants et cela donne des résultats fabuleux. On compte actuellement 25 « salles Mélanie » en France - la dernière en date sera prochainement inaugurée à Toulouse. Pourquoi ne pas imaginer ce type de salle au profit des femmes victimes de violences sexuelles ? Je serais très intéressée de pouvoir discuter d'un tel projet avec vous.
Je vous remercie pour votre témoignage. Vous avez distingué le monde politique du monde du cinéma et du reste de la société. Pour ma part, je ne suis pas persuadée qu'il faille opposer ces différents mondes. Je pense qu'il s'agit davantage d'une question culturelle qui tient à notre société. Ainsi, j'opposerais plutôt cette dernière à un monde plus puritain, anglo-saxon. On a connu au cours des dernières années des scandales dans le milieu politique en Grande-Bretagne, aux États-Unis, deux pays qui n'ont pas la même appréhension que nous des relations entre les femmes et les hommes. Les rapports entre les deux sexes y sont beaucoup plus tranchés. Dans notre pays, et plus généralement dans l'Europe du Sud, nous avons longtemps brandi l'idée de la séduction et de rapports plus apaisés entre les hommes et les femmes, ce qui occultait totalement la question des agressions sexuelles. Aujourd'hui, on en parle enfin ; notre société est en train de changer, d'évoluer et j'y suis pour ma part très favorable.
Pour conclure, je veux vous assurer que nous soutenons pleinement votre combat.
Nous partageons avec vous le fait d'être des femmes politiques et vos propos sur la difficulté à parler de ces agressions renvoient à la perception de la parole de la victime, notamment dans le monde politique qui, comme le rappelait Laure Darcos, est un univers basé sur la séduction.
Il existe bien des modalités de séduction et il est navrant de constater l'amalgame qui peut exister entre elles ; la femme ou l'homme politique désire plaire à l'électorat mais aussi à ses collègues des deux sexes, c'est un monde de complaisance.
Je désirerais que vous développiez la difficulté à témoigner dans la sphère politique où règne l'omerta.
Je constate avec satisfaction que la parole se libère à l'échelle mondiale, cependant il est de notre responsabilité et de tous ceux qui sont conscients de cette problématique que cette parole libérée soit non seulement entendue mais aussi que des mesures réelles soient prises.
Vous nous avez indiqué avoir été soutenue par l'Association européenne de lutte contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) qui effectue une considérable prise en charge des victimes de violences dans le cadre du travail. Je suis tout particulièrement consternée que les femmes ayant témoigné de harcèlement sexuel ou d'agressions sexuelles au travail perdent leur emploi dans la majorité des cas, subissant donc une double peine : le traumatisme qu'elles vivent auquel s'ajoute la violence résultant des conséquences de cette perte d'emploi.
Les dispositifs permettant à ces femmes d'être accompagnées doivent être maintenus, renforcés ou remplacés si des mesures plus efficaces peuvent être mises en oeuvre. À cet égard, je m'inquiète des récentes dispositions limitant les champs d'investigation de l'Inspection du travail et de la Médecine du travail, mais aussi de celles relatives à la fusion des instances représentatives du personnel, en application des ordonnances Pénicaud2(*) et de la loi « El Khomri »3(*). Je m'inquiète aussi de la suppression du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), alors même qu'il est déjà difficile d'entendre la parole des femmes victimes et de mettre en oeuvre des mesures appropriées. Dès lors, le risque existe que les violences sexuelles, qui peuvent aller jusqu'au viol, ne soient plus vraiment prises en compte dans le monde du travail.
Je souligne le parallélisme entre le sort réservé aux femmes agressées dans le cadre de leur travail et celui des femmes politiques qui dénoncent des faits d'agressions sexuelles : il est paradoxal qu'elles soient toutes mises au ban de leur famille politique ou de leur entreprise, alors que c'est à l'agresseur d'en être écarté.
Je vous remercie d'avoir insisté sur la nécessité de former tous les intervenants (policiers, gendarmes, médecins...) appelés à recevoir les femmes victimes d'agressions sexuelles. L'accueil et l'accompagnement d'une victime traumatisée sont essentiels, mais demeurent encore à améliorer tant sur le volet de la formation initiale que sur celui de la formation continue de ces intervenants. Malgré les dispositifs légaux qui disposent que ces formations sont obligatoires, de nombreux témoignages me laissent à penser que l'accueil d'une femme venant déposer plainte pour des faits d'agressions sexuelles laisse encore beaucoup à désirer dans certains commissariats ou unités de gendarmerie.
Il me semble qu'il faut aussi étoffer le nombre d'intervenants sociaux, en charge de l'accompagnement des femmes traumatisées et désemparées, au sein des commissariats. Qu'en pensez-vous ?
Un parallélisme certain apparaît entre votre agression sexuelle et les faits qui ont été rapportés lors des différentes auditions du groupe de travail de la commission des lois consacré aux infractions sexuelles commises sur les mineurs.
Si la transposition du concept des « salles Mélanie » dédiées au recueil de la parole des enfants constituerait un apport considérable pour assurer un accueil apaisant des femmes victimes d'agressions, il est cependant essentiel, quelle que soit l'architecture retenue, que des moyens humains y soient associés pour la faire fonctionner. Nous avons visité l'UMJ de Saint-Malo et sa « salle Mélanie », bel exemple de partenariat entre les différentes institutions. En revanche, nous avons pu constater qu'une autre « salle Mélanie », pourtant magnifique, implantée dans un CHU, ne fonctionnait pas, faute d'un environnement humain vraiment adapté à l'écoute des enfants. Les locaux, c'est certes important, mais l'humain est lui aussi primordial.
Libérer la parole est indispensable, mais les formations pour en assurer le recueil sont au moins aussi nécessaires.
J'ai été frappée par vos propos sur les hommes médecins chargés des prélèvements ADN : l'empathie des professionnels de santé n'est pas liée à mon avis à leur sexe. Peut-être vouliez-vous exprimer que cet examen médico-légal doit être pratiqué avec suffisamment de tact, de professionnalisme et de gentillesse, dans le respect de la victime d'une agression sexuelle ou d'un viol, de sa parole et de son humanité fracturée ? J'ai pu observer au cours de mes études de médecine que ces qualités humaines ne sont pas l'apanage d'un seul sexe...
Je conviens que certaines professionnelles (de la police ou de la magistrature, par exemple) que l'on peut être amené à rencontrer dans le cadre d'une agression sexuelle peuvent effectivement être très désagréables. Ce serait trop simple s'il suffisait d'avoir affaire à des femmes ! Mais il y a néanmoins quelque chose de symbolique, de l'ordre d'une insurmontable réticence, à se faire examiner avec une pénétration digitale par un homme juste après un viol !
Lorsqu'un médecin pratique un toucher vaginal ou rectal, cela relève d'un examen professionnel, il faut le déconnecter de l'agression.
La victime d'une agression est dans un état d'esprit qui ne permet pas un tel détachement.
Il y a le regard du médecin, mais il faut tenir compte du regard de la patiente. Imaginez ce que peut ressentir une adolescente consultant pour la première fois un gynécologue ! C'est souvent le premier homme devant lequel elle doit se dévêtir si elle n'a pas encore eu de rapports sexuels...
Autre sujet : l'inversion de la charge de la preuve du consentement. Les femmes sont supposées consentantes et doivent faire la preuve qu'elles ne l'étaient pas. C'est une question très grave. Cet a priori du consentement me pose problème. En outre, le rassemblement des différentes plaintes concernant un agresseur n'est pas systématique alors qu'il suffirait d'une circulaire du garde des Sceaux aux juges d'instruction pour progresser dans la connaissance de l'étendue des violences.
L'émission On n'est pas couchés a révélé le traitement qui est réservé à celles qui dénoncent des violences sexuelles : la polémique qui en a résulté portait sur l'attitude de Christine Angot mais selon moi, celle des deux autres animateurs était tout aussi problématique. Je vous remercie pour votre soutien.
Par ailleurs, impliquer l'entourage de façon à ce qu'il se sente concerné et l'amener à agir est un vrai sujet.
Vous l'avez dit, le recueil de la parole des femmes victimes de violences dans les territoires ruraux et ultramarins est délicat : les interlocuteurs auxquels elles pourraient s'adresser sont en nombre limité. De plus, en milieu rural, peut se poser un problème de confidentialité. Quand tout le monde se connaît... Une solution serait de permettre à ces victimes de s'adresser à des structures éloignées de leur domicile ; la plainte en ligne est aussi une possibilité.
Si le monde politique est un monde de séduction, c'est aussi un monde de pouvoir, y compris d'abus de pouvoir... Les violences sexuelles relèvent non pas de la séduction mais bel et bien du pouvoir : ce que j'ai ressenti n'a rien à voir avec la séduction ! Mon agression s'est déroulée dans le cadre d'une réunion que j'animais. La situation était totalement étrangère à la séduction.
Je n'ai cessé de parler de mon agression depuis les minutes qui l'ont suivie, mais personne n'a jamais réellement entendu ; selon moi, cette surdité est à mettre au compte de l'extrême influence de mon agresseur au sein du parti, nul n'ayant voulu l'affronter sur les dénonciations dont il était l'objet. Or nous étions une quinzaine à le dénoncer. Donc si le parti avait sérieusement enquêté après mes prises de parole, il serait apparu qu'il y avait bien un problème qui ne relevait pas de la seule séduction.
De cette quinzaine de femmes qui ont été agressées ou harcelées, peu demeurent au sein du parti ! Si notre parole n'a pas été contestée car nous étions trop nombreuses, s'est cependant tissé un climat parfois délétère autour de nous et à certains moments, nous avons été marginalisées au sein du parti, considérées comme des femmes dont il fallait se méfier.
Au regard de mon expérience, je suis convaincue que l'un des combats des femmes agressées sera de reprendre le chemin de la politique pour faire évoluer la société et ne pas les laisser cantonner au rang de victimes, mais montrer qu'elles sont des femmes qui peuvent assumer des responsabilités.
L'Association européenne de lutte contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) nous a éclairées, pas lors du dépôt de plainte, mais pendant l'enquête journalistique et sur le parcours judiciaire que l'on allait devoir affronter ; les membres de l'association sont des femmes aux rares compétences juridiques, malheureusement confrontées à un afflux de demandes difficile à gérer.
Mais quels vont pouvoir être les recours des femmes qui subissent des violences sexuelles au sein de leur entreprise, avec la suppression du CHSCT et la révision des prérogatives de la Médecine et de l'Inspection du travail ?
Je propose que soient créés des référents dédiés, hors hiérarchie, désignés pour recevoir les témoignages et alerter la hiérarchie.
Je vous remercie de votre témoignage, d'autant que si vous avez pu vous exprimer dans votre livre, cela doit toujours vous être difficile de vous exprimer sur ces faits.
Il faut libérer la parole et la faire suivre d'actions en justice, mais aussi donner une chance aux victimes de passer à autre chose en dépassant ce statut.
J'ai trouvé originale et excellente votre proposition d'indiquer discrètement par un code que l'on souhaite déposer plainte pour agression sexuelle dans un commissariat, sans être contrainte de préciser les faits devant tout le monde, comme cela a pu nous être rapporté.
Le dépôt de plainte en ligne pourrait aussi permettre d'orienter ces victimes vers la personne compétente et formée pour les accueillir et les entendre.
J'ai aussi été sensible à vos remarques portant sur le corps médical et je comprends tout à fait que l'état d'esprit d'une personne diffère selon qu'elle est examinée par un médecin en tant que patient, ou que victime, a fortiori après une agression sexuelle.
Je vous remercie de votre engagement ; il est bien la preuve que vous n'êtes plus une victime mais vous rend au contraire actrice de votre parcours et vous permet de rebondir vers d'autres horizons.
Merci à vous. Je suivrai vos débats avec attention au moment de l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement.
* 1 Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires, rapport n° 615 de la délégation aux droits des femmes du Sénat.
* 2 5 Ordonnances du 22 septembre 2017 : 2017-1385 à 2017-1389.
* 3 Loi 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.