Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans un mouvement, longtemps attendu, de reconnaissance des aidants.
Notre pays compte plus de 8 millions de ces aidants qui, en plus de faire face à leurs impératifs personnels et professionnels, soutiennent de façon bénévole et habituelle dans sa vie quotidienne un de leurs proches dépendant. Les termes « aidant familial » ou « proche aidant » qui désignent ceux qui assurent cette forme exigeante de secours à un proche ne sont apparus que relativement récemment. Longtemps en effet ils – ou plutôt elles – ont été invisibles dans nos politiques publiques.
Étant le plus souvent épouses, mères ou filles des personnes qu’elles assistent, la spécificité de leur engagement, et donc de leurs besoins, a d’abord été ignorée, parce que relevant d’une solidarité familiale perçue comme naturelle, mais reposant pourtant de façon disproportionnée sur les femmes.
Puis le regard porté sur les aidants a changé : collectivement, nous reconnaissons désormais leur apport spécifique à notre système de solidarité et avons pris conscience qu’il faut « aider les aidants ».
Depuis plus de dix ans maintenant, comme vous le rappelez dans votre rapport, madame la rapporteur, plusieurs dispositions ont été adoptées pour reconnaître des droits sociaux aux aidants, notamment salariés, comme le droit à congé, à la retraite ou, dans certains cas, l’ouverture de possibilités de dédommagement. Je salue à cet égard la création, par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, d’un droit au répit pour les proches aidants de personnes bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA.
En complément, la loi du 9 mai 2014, ou loi Mathys, a encouragé la solidarité horizontale en généralisant la possibilité de faire le don de jours de repos à un collègue pour lui permettre de rester auprès de son enfant gravement malade.
Aujourd’hui, nous complétons ce dispositif en l’étendant au « salarié qui vient en aide à une personne atteinte d’une perte d’autonomie d’une particulière gravité ou présentant un handicap ». Cette extension concernera également la fonction publique. Certes, les quelques jours de repos ainsi collectés ne permettront pas aux aidants de faire face sur le long terme – souvent plusieurs années – aux difficultés liées à la perte d’autonomie de leur proche.
Néanmoins, ce pas en avant supplémentaire est bienvenu. Nous soutiendrons ce texte par notre vote unanime, car il participe du changement culturel qui s’opère dans notre société au bénéfice des aidants.
Pour autant, nous devons constater l’émiettement des dispositions actuelles en faveur des aidants, ainsi qu’un manque de lisibilité du champ des personnes concernées et de leurs droits. Il y a donc urgence à définir une stratégie globale pour les aidants, notamment celles et ceux qui ont une activité professionnelle. On ne peut pas continuer ainsi à se pencher sur leur situation au coup par coup.
En raison de l’allongement de la durée de la vie, du recul de l’âge de la retraite, du souhait de rester chez soi, du manque de structures et du coût de celles-ci, chacun, un jour ou l’autre, peut être amené à devenir aidant d’une personne en perte d’autonomie tout en ayant une activité professionnelle, comme c’est le cas de près de 50 % des aidants en France.
Les difficultés que ces aidants rencontrent pour concilier leur vie professionnelle et leur rôle auprès de leur proche sont multiples : nécessité de réduire ses horaires de travail, absences fréquentes, choix d’un métier ou d’un poste moins rémunérateur mais moins contraignant, refus de promotions, fatigue, voire épuisement, qui affecte la productivité au travail, et malheureusement, dans certains cas, hostilité, voire discrimination.
L’enjeu de société est doublement important, car de 60 % à 70 % des aidants sont des femmes, qui souffrent déjà des inégalités entre les femmes et les hommes dans le monde du travail. Pour réduire ces inégalités, toutes les solutions doivent être mobilisées : renforcement de l’accès géographique et économique aux services d’aides à domicile pour soulager les aidantes ; conduite d’une réflexion, avec les entreprises, sur l’aménagement du temps de travail et le recours au télétravail lorsque c’est pertinent. L’aidant ne doit pas être perçu négativement dans la collectivité de travail.
Il faudra également développer les mécanismes de solidarité collective pour compenser les pertes de revenus et de cotisations résultant des réductions ou interruptions temporaires d’activité.
Le vote d’aujourd’hui n’épuisera donc pas, tant s’en faut, la question du soutien aux aidants, mais il sera le gage de notre mobilisation.