Intervention de Jean-Christophe Fromantin

Commission des affaires économiques — Réunion du 30 janvier 2018 à 16:5
Conséquences économiques du retrait de la candidature française à l'exposition universelle de 2025 — Audition de M. Jean-Christophe Fromantin président du conseil d'administration d'expofrance 2025

Jean-Christophe Fromantin, président du conseil d'administration d'EXPOFRANCE 2025 :

Je vous remercie de nous faire l'honneur de cet échange, après avoir pris connaissance du retrait de la candidature de la France à l'Exposition universelle de 2025 par un tweet du Journal du Dimanche. La déception est d'autant plus grande, après sept ans de travaux préparatoires, la remise du dossier au Bureau international des expositions (BIE), de concert avec l'État et les partenaires publics et privés, que l'opportunité d'accueillir une exposition universelle se présente une fois par siècle.

À mes côtés, pour vous répondre, l'économiste Christian de Boissieu, qui travaille depuis six ans sur l'impact économique de l'Exposition universelle, évalué à près de 23 milliards d'euros, et Brice Chasles, de chez Deloitte, qui oeuvre depuis plusieurs années à la modélisation de cette exposition universelle.

Je vous rappelle brièvement les différentes séquences de ce projet, démarré en 2011. De 2014 à 2015, des travaux parlementaires, dont une mission que j'ai présidée à l'Assemblée nationale, des travaux universitaires, mais aussi avec des entreprises, ont abouti à l'officialisation de notre candidature par le Président de la République. Celle-ci s'est structurée autour de trois entités : le comité EXPOFRANCE 2025 regroupant 35 grandes entreprises françaises, une délégation interministérielle dirigée par Pascal Lamy et un groupement d'intérêt public comprenant notamment la Ville de Paris, la métropole et la région Île-de-France. Ensuite, tout s'est accéléré : en mai-juin 2017, le site de Saclay a été choisi, puis le dossier de candidature a été remis au BIE, le 28 septembre, en même temps que le Japon, l'Azerbaïdjan et la Russie. Nous avons entamé notre campagne de promotion internationale à Astana, pour l'Exposition internationale. Le Premier ministre, concomitamment au dépôt du dossier, nous a questionnés sur la solidité de notre modèle économique. Or notre candidature, d'un budget d'environ 30 millions d'euros, est presque entièrement financée sur fonds privés, gage de l'appétence des acteurs privés pour cette aventure.

L'ambition de cette exposition était de donner rendez-vous au monde autour du thème de la connaissance à partager, de la planète à protéger, avec un objectif de 40 millions à 45 millions de visiteurs, dont la moitié de visiteurs étrangers.

Deux grands principes étaient retenus : un globe central comme expérience immersive permettant aux pays de se valoriser et aux visiteurs d'approfondir leur connaissance de la planète ; un système de pavillons modulaires polyvalents préfigurant l'architecture du XXIe siècle et réduisant de façon appréciable la facture pour les pays. Je ne m'attarde pas, puisque c'est sous l'angle économique que vous nous auditionnez.

Ce projet a été construit, en accord avec l'État, sur une hypothèse de billetterie de 1,5 milliard d'euros : 34 millions de visiteurs, 34 euros la visite, 1,3 visite par personne. Le choix de Saclay s'entendait bien entendu avec la ligne 18 et aucune réserve n'avait été émise à ce moment-là. J'avais néanmoins écrit au Premier ministre, le 18 septembre, pour lui demander confirmation sans obtenir de réponse. Pour autant, nous avons mis en place un groupe de travail sur le modèle économique avec les expertises de Deloitte, Taj, le Crédit Agricole pour le refinancement ou le financement des investissements, le cabinet Weil sur les éléments de droit public internationaux.

Deux grandes composantes ont été intégrées, à la demande du Premier ministre. La protection juridique de l'État, d'une part, sur la base de l'article 10, alinéa 2, de la convention de 1928 qui régit le Bureau International des Expositions (BIE), qui autorise l'État à mandater une personne morale de droit privé pour se substituer à lui, pour autant qu'il garantisse que les moyens sont véritablement mis en oeuvre. La sécurité économique, d'autre part, est organisée autour de deux pôles : un pôle « investissement » confié à un consortium d'aménageurs, et un pôle « exploitation » confié à un groupement d'acteurs chargés de l'exploitation et de l'organisation de l'Exposition universelle.

Pour simplifier, il y a donc un organisateur, les deux pôles que je viens d'évoquer, le territoire de Paris-Saclay mettant 110 hectares à disposition, et l'État qui mandate l'organisateur. Le coeur de la question économique, dans ce modèle, est l'hypothèse de billetterie (fréquentation, prix du billet), puisque la démonstration économique part du groupement d'exploitants. Ces hypothèses sont-elles crédibles, de sorte que l'exploitant puisse payer une redevance à l'organisateur, lequel verse un loyer au consortium et à Paris- Saclay ? Si les hypothèses tournent, le modèle économique est assuré.

Vous connaissez les chiffres. Dans l'hypothèse, déjà dégradée, validée par l'État (34 millions de visiteurs, 34 euros le billet), l'exposition est très largement financée. Le loyer permet au consortium d'amortir son risque, l'établissement public est indemnisé bien au-delà de la charge foncière sans l'Exposition universelle. Enfin, le globe est financé à hauteur de 630 millions d'euros. À la demande du Premier ministre, nous avons cherché le « point mort » de l'Exposition, qui s'établit à 25 millions de visiteurs. La solidité économique est garantie dans cette hypothèse : le territoire est financé pour la mise à disposition du site, l'équation pour la ZAC de Saclay étant plus favorable que sans l'Exposition universelle ; le globe est financé à hauteur de 300 millions d'euros ; le loyer aux investisseurs est assuré afin de pondérer leur risque. Il s'agit surtout, pour eux, d'un risque temporel, puisqu'on leur demande de construire à partir de 2020, de livrer en 2025, de démanteler certaines installations après 2025 et de ne récupérer finalement un revenu immobilier qu'à partir de 2027 ou 2028.

La mise en doute du modèle économique porte donc sur les hypothèses de billetterie et de fréquentation. Le prix des billets se situe plutôt dans la fourchette basse des tarifs de loisirs pratiqués en France (Tour Eiffel, Futuroscope, Parc Astérix, Puy-du-Fou, EuroDisney). Pour la fréquentation, le nombre de visiteurs internationaux est également une hypothèse très conservatrice (15 millions voire 11 millions de visiteurs dans l'hypothèse « point mort ») compte tenu du nombre de touristes présents dans notre pays durant l'Exposition (soit un ratio respectivement de 18 % et de 13 %). Concomitamment à l'abandon de notre candidature, le Premier ministre annonce en effet un objectif de 100 millions de touristes en 2020. Pour ce qui est des visiteurs nationaux, soit 18 millions ou 14 millions selon les hypothèses, autrement dit 27 % ou 20 % de la population, nous sommes tout à fait dans l'épure de ce qui se fait traditionnellement.

Les ratios de visiteurs constatés à Milan confortent les hypothèses de notre dossier au regard de la population et des performances touristiques de Paris et du Grand Paris, soit 28 millions à 30 millions de visiteurs, au-delà du point mort de l'Exposition.

Nous contestons donc fortement que le modèle économique soit la cause de l'annulation de la candidature française.

J'en viens à un sujet extrêmement important, celui des territoires. Une étude d'opinion menée il y a 5 et 6 ans a montré que, pour les Français, une exposition universelle devait répondre à deux critères : ne rien coûter au contribuable, d'où notre modèle économique et notre candidature financée sur fonds privés, et profiter à toute la France. Contre vents et marées, ni le BIE ni l'État français n'étant favorables à un dossier englobant les territoires, nous avons présenté un dossier de candidature comportant dix-sept forums thématiques dans toute la France, avec une fréquentation attendue de 11 millions de visiteurs. Depuis un an et demi, la plupart des territoires concernés avaient créé des groupes de travail composés des collectivités, d'entreprises privées, des universités...

Dernier élément, l'impact macroéconomique, sur lequel Christian de Boissieu travaille depuis quatre ans. Nous avons utilisé le système de Leontief, avec des coefficients pour chaque type de dépenses. Sans entrer dans le détail, l'impact économique a été estimé à 23 milliards d'euros, dont 18 milliards d'euros liés au village global, 0,5 point de PIB, 160 000 emplois durables.

Le ratio risque-résultat est probablement l'un des plus favorables jamais proposé dans un grand événement : une candidature financée sur fonds privés, un modèle économique autofinancé, un bénéfice de 200 millions d'euros dans l'hypothèse de 34 millions de visiteurs, un impact économique de 23 milliards d'euros, une sécurité économique et juridique pour l'État. Le seul engagement de l'État était une caution de l'ordre de 200 millions d'euros, non maastrichtienne, pour le BIE en cas d'annulation avant la date de l'Exposition, l'expérience de 1989 ayant laissé quelques traces.

La lettre du Premier ministre, adressée à Pascal Lamy, à notre adresse, relève trois éléments. Il est faux d'invoquer une cession gratuite du foncier, puisque 230 millions à 325 millions d'euros sont versés en compensation des 110 hectares du territoire de Saclay. La deuxième remarque porte sur l'absence de marge d'aléas. Celle-ci est de 200 millions d'euros dans le dossier de candidature déposé au BIE. De plus, la marge d'aléas entre l'hypothèse Paris et l'hypothèse Milan permet tout à fait de réaliser l'Exposition universelle. Enfin, le troisième élément concerne les acteurs prêts à s'exposer. Cette dernière demande n'a pas beaucoup de sens, car les entreprises ne souhaitent pas figurer dans un dossier d'étude pour se retrouver exclues des appels d'offres. Elles demandent par ailleurs un engagement sur la ligne 18 et une garantie, comme pour les Jeux olympiques, que le délai entre 2020 et 2025 ne sera pas neutralisé par des recours et des complexités administratives. Enfin, nous avions justement demandé à une banque, le Crédit Agricole, de valider les demandes de refinancement.

Au mois d'octobre, sur le territoire de Saclay, le Président de la République soulignait la pertinence de ce projet et la qualité de son modèle économique, ce qui a rendu d'autant plus difficile à accepter, vous vous en doutez, le tweet du JDD samedi soir annonçant le retrait de la candidature de la France.

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