Intervention de Nicole Belloubet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 1er février 2018 à 16h15
Audition de Mme Nicole Belloubet garde des sceaux ministre de la justice sur la situation des prisons

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Vous m'avez donné votre sentiment. Je vous en remercie. J'évoquerai les faits en retraçant les événements récents tout en les replaçant en perspective. L'événement déclencheur, qui est révélateur de la situation générale des prisons, a été la tentative d'assassinat de surveillants par un détenu radicalisé, à la prison de Vendin-le-Vieil, avec des gestes d'une grande violence. Les surveillants n'ont pas été gravement touchés physiquement mais cette agression constitue un choc psychologique, qui va au-delà du cas d'espèce. Les surveillants ont alors réclamé des mesures précises, portant sur la sécurité dans les établissements et la gestion des détenus. Aussitôt après cet événement, j'ai pris contact avec les surveillants agressés et diligenté une mission d'inspection pour évaluer les difficultés de fonctionnement. Quelques jours plus tard, munie de ses conclusions, je me suis rendu à la prison de Vendin-le-Vieil et y ai présenté un plan en dix points pour cet établissement. J'y retournerai le 16 mars pour en apprécier sa réalisation. Cet événement a entraîné une coagulation de demandes, essentiellement sur la sécurité, qui existaient de longue date car la situation dans les prisons est extrêmement tendue. J'ai demandé aux syndicats de me présenter une plateforme collective pour discuter. Très vite un syndicat s'est désolidarisé de la démarche collective pour réclamer des avantages statutaires, notamment l'obtention de la catégorie B de la fonction publique pour l'ensemble des surveillants. Les deux autres syndicats, avec lesquels nous avons continué à discuter, s'attachaient davantage aux questions de sécurité et de gestion des détenus. Nous étions sur le point de signer un accord quand est survenue la deuxième agression, qualifiée de tentative d'assassinat, à Borgo, en Corse, où je me suis rendue immédiatement. Deux surveillants ont été très gravement blessés, l'un deux étant défiguré. Cette agression particulièrement violente a suscité une émotion particulière dans un établissement qui n'avait jamais été confronté à de tels actes. Cette émotion a rejailli sur l'ensemble du personnel pénitentiaire qui a durci ses positions. Le projet d'accord a été rejeté et nous avons alors entamé une deuxième phase de discussions. Nous avons reçu à nouveau les trois organisations syndicales et avancé sur la base de leurs demandes qui comportaient aussi désormais des avancées en matière indemnitaire et auxquelles il nous semblait possible d'accéder. La CGT et Force ouvrière n'ont pas souhaité signer ce protocole d'accord car leur demande principale portait sur l'obtention de la catégorie B de la fonction publique, revendication à la fois indemnitaire et d'une forme de reconnaissance, par le biais d'un alignement sur le statut des gardiens de la paix. Le Gouvernement n'a pas souhaité accéder à cette demande car cela aurait eu des conséquences en chaîne pour les autres catégories B de la fonction publique et parce que nous avons fait un effort en matière indemnitaire qui place les surveillants pénitentiaires à parité avec les gardiens de la paix, grâce à la prime de sujétion spéciale (PSS) qui a été alignée sur celle des gardiens de la paix.

L'accord qui a été signé prévoit 1 100 créations d'emplois sur quatre ans qui s'ajoutent aux créations de postes déjà prévues pour 2018 et 2019. Il comporte aussi des mesures qui concernent l'équipement : menottes, équipements de protection contre les coups de couteaux, alarmes individuelles, etc. D'autres mesures ont trait à la gestion des détenus violents. Quant aux 500 détenus terroristes islamistes ou aux 1 200 détenus en voie de radicalisation, ils seront évalués puis placés à l'isolement ou dans des quartiers séparés. Outre ces créations d'emplois et ces mesures sur la sécurité ou la gestion des détenus, l'accord prévoit des mesures indemnitaires. Initialement nous souhaitions cibler ces mesures sur les établissements exposés, mais les syndicats ne l'ont pas souhaité et nous y avons renoncé. Trois dispositions s'appliqueront ainsi à tous les surveillants : la prime de sujétion spéciale (PSS) a été alignée sur celle des gardiens de la paix ; l'indemnité pour charge pénitentiaire (ICP) passera de 1 000 euros à 1 400 euros par an ; enfin, l'indemnité pour dimanches et jours fériés sera portée de 26 euros à 36 euros par jour. Au total, cela représente, en moyenne, environ 1 200 euros de plus par an et par surveillant. Une dernière indemnité, spécifique, vise à fidéliser les surveillants qui exercent dans des établissements où peu de candidats souhaitent aller. Une indemnité particulière, qui pourra s'élever jusqu'à 8 000 euros, sera versée à ceux qui restent plus de trois ou cinq ans en poste dans ces établissements. Au total, ces dispositions représentent un effort budgétaire pour l'État de 32 millions d'euros. Mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel est la volonté de redonner aux surveillants pénitentiaires la dignité que leur travail mérite. Ce sont eux qui encadrent les détenus au quotidien, ils les voient évoluer, ils ont des observations à faire. L'accord comporte des stipulations pour que cela soit mieux pris en compte par leur hiérarchie.

Ces réponses étaient indispensables. Les surveillants pénitentiaires font un métier difficile qui mérite une reconnaissance. Toutefois cet accord ne résoudra pas tout ; les problèmes sont anciens et profonds. Contrairement à certains propos qui ont été tenus, nous n'avons pas attendu la crise pour entamer une réflexion. J'ai d'ailleurs lu avec attention les travaux de votre commission. Nous avions anticipé les difficultés et souhaitons y répondre par des mesures de long terme. La première est le plan pour les prisons annoncé par le président de la République, qui s'est engagé à construire 15 000 places de détention supplémentaires. Pour mémoire, je rappelle que nos prisons abritent 70 000 personnes, dont 20 000 en détention provisoire, pour 60 000 places. Ce plan sera présenté fin février ; il précisera le nombre de places en fonction des lieux. Il faut sept ans pour construire une prison en moyenne. Nous prendrons des mesures, y compris législatives, permettant d'accélérer ces constructions. Surtout, nos prisons ne doivent pas être construites sur le même modèle. Tous les détenus ne peuvent pas être pris en charge de la même manière. Un détenu qui doit sortir dans quelques mois ne peut être traité de la même manière qu'un détenu violent ou radicalisé qui exige des mesures de sécurisation renforcées. À côté des maisons d'arrêt sécurisées, nous allons développer des quartiers de préparation à la sortie, moins sécurisés car ils sont destinés à préparer la sortie, dans le cadre d'un parcours élaboré avec le détenu. Avec Agnès Buzyn, nous allons aussi réfléchir à la prise en charge des détenus malades ou atteints de maladie psychiatrique. Les députés sont aussi intéressés par le modèle de prison ouverte, comme celle de Casabianda. Différentes options sont ainsi possibles pour atteindre l'objectif de 15 000 places.

Ensuite, j'ai lancé une réflexion sur la notion de peine. Un rapport m'a été remis récemment sur ce sujet, consultable sur le site du ministère. Il s'agit de travailler sur la notion d'exécution de la peine : comment s'assurer qu'une peine prononcée est bien effectuée dans des délais raisonnables ? Comment diversifier les peines ? Il n'est pas utile de créer de nouvelles peines, notre éventail semble assez riche ; en revanche, il convient d'élargir les options ouvertes aux juges, pour leur permettre de prononcer des peines alternatives à l'emprisonnement lorsque cela est opportun, avec l'exigence que la peine sera exécutée et qu'il n'y a aucun risque pour la sécurité. L'emprisonnement n'est pas à remettre en cause par principe mais, dans certains cas, il n'est pas opportun. On sait que les courtes peines conduisent à la récidive et sont la plupart du temps inutiles. Il faut donner les moyens aux magistrats de prononcer, avec des conditions de sécurité garanties, des peines alternatives, comme par exemple le port d'un bracelet électronique. Il faut que ces peines alternatives deviennent des peines en soi et non des peines d'aménagement d'une peine de prison. Les magistrats hésitent parfois à prononcer des peines de travail d'intérêt général car elles sont peu exécutées. Il faut donner aux magistrats la certitude que cette peine sera bien exécutée, avec un suivi, un tuteur, etc. C'est donc tout un chantier sur le sens et l'efficacité de la peine.

Le dernier chantier ouvert est celui de la gestion des ressources humaines. Nous devons donner la possibilité aux surveillants pénitentiaires de mener une carrière, évoluer, changer de fonction. Par exemple, après avoir commencé comme surveillant, ceux qui le souhaitent pourraient rejoindre une équipe locale de sécurité pénitentiaire ou intégrer le renseignement pénitentiaire de proximité, etc. De telles possibilités d'évolution contribueraient à renforcer l'attractivité du métier. Je pense aussi aux conseillers d'insertion et de probation, qui jouent un rôle fondamental pour suivre les détenus, les accompagner et veiller à l'exécution de la peine.

Vous le voyez, je suis très volontaire sur ce sujet, mais aussi très humble. Le chantier est colossal. Nous devrons tous nous y engager. Une loi pénale et une loi de programmation seront présentées à la fin du printemps ou au début de l'été qui tireront les leçons de ces chantiers tout en s'inspirant des travaux qui ont déjà été menés, comme ceux de votre commission.

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