Nous sommes heureux de vous accueillir, Madame la ministre, pour cette audition sur la situation des prisons. Le mouvement social des surveillants pénitentiaires ne nous a pas surpris, et n'a pas dû vous surprendre non plus. Nous connaissons la profondeur de la crise de l'institution pénitentiaire. Notre commission a mené de manière collégiale, pendant plusieurs mois, une mission sur le redressement de la justice ; nous nous sommes rendus dans de nombreuses prisons, dans de nombreuses juridictions, à l'École Nationale de l'Administration Pénitentiaire (ENAP), au sein de l'administration centrale, réalisant plus de 300 auditions. Dès 2017, ainsi, nous avions donné l'alerte. Le Sénat est l'assemblée qui cherche des convergences, mais je n'avais pas prédit que nous en dégagerions autant. Sur 127 propositions que nous avons formulées, 125 ont été adoptées à l'unanimité, témoignant de notre volonté de dépasser les clivages politiques, car la justice doit être un sujet qui nous rassemble. Nous n'avons pas souhaité intervenir à chaud pendant le déroulement de la crise pour ne pas créer d'interférences. Il y avait des risques de mutineries, de violences, d'insécurité en cas de débordements. Le Gouvernement a conclu un protocole d'accord avec le syndicat majoritaire parmi les surveillants pénitentiaires. Toutefois nos prisons restent dans un état de grande fragilité. Nous nous sommes rendus à Fresnes mardi et nous avons reçu les organisations syndicales. Notre sentiment profond est que nous sommes à la merci de nouvelles agressions - d'ailleurs les surveillants parlent de tentatives d'assassinat, ce qui témoigne de leur inquiétude. Même si la situation s'est apaisée, elle reste précaire. Un effort massif s'impose, non seulement pour augmenter les moyens, mais aussi pour repenser notre politique pénale et diversifier les moyens de prise en charge des condamnés.
Les surveillants pénitentiaires assurent une mission essentielle de service public pour la sécurité des Français. Elle n'est pas totalement reconnue ni valorisée. Au-delà des demandes pécuniaires ou statutaires, les surveillants pénitentiaires souhaitent une amélioration de leurs conditions de travail, une meilleure reconnaissance de leurs missions, une clarification du sens de leur travail et une transformation de l'institution pénitentiaire. Les prisons sont surpeuplées et les surveillants en sous-effectif. La prison de Fresnes accueille ainsi deux fois plus de détenus qu'elle ne peut en accueillir, tandis que le nombre de surveillants ne représente que 91 % de l'effectif théorique, sans compter les absences temporaires. On se demande comment l'établissement peut fonctionner dans ces conditions ! Pendant cinq ans, en dépit d'ailleurs des engagements politiques de la majorité de l'époque, le nombre de personnes placées sous bracelet électronique a stagné, le nombre de places n'a pas augmenté et il n'y a pas eu d'avancées dans la réflexion sur la prise en charge des détenus. Les débats idéologiques sur la contrainte pénale nous ont opposés et ont pollué le débat sur la politique pénitentiaire qui s'est retrouvée à l'arrêt.
Nous voulons favoriser les convergences ; c'est l'ADN du Sénat. Nous avons déposé deux propositions de loi en juillet - une proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice et une proposition de loi organique pour le redressement de la justice - qui ont été adoptées par le Sénat à une très large majorité. Nous ne sommes pas dans une démarche d'opposition au Gouvernement comme en atteste le fait que nous n'ayons pas cherché à intervenir pendant la crise récente pour ne pas gêner votre action. Toutefois il est urgent d'agir. Nos deux propositions de loi constituent des instruments adéquats. Pourquoi ne pas les inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ? Vous auriez tout le loisir de les amender. Nous pourrions en discuter en deuxième lecture et vous pourriez faire adopter ces textes avant la fin du semestre, ce qui vous permettrait d'obtenir de Bercy, lors des arbitrages budgétaires, des crédits supplémentaires en arguant de la mise en oeuvre de la loi de programmation. L'expérience montre, en effet, que la période où les crédits des prisons et des juridictions augmente le plus est la première année des lois de programmation, comme ce fut le cas en 2002. Telles sont, Madame la ministre, nos attentes, nos sentiments. Nous souhaitons dépasser les clivages. J'ai cru comprendre que c'était également le souhait du président de la République.
Vous m'avez donné votre sentiment. Je vous en remercie. J'évoquerai les faits en retraçant les événements récents tout en les replaçant en perspective. L'événement déclencheur, qui est révélateur de la situation générale des prisons, a été la tentative d'assassinat de surveillants par un détenu radicalisé, à la prison de Vendin-le-Vieil, avec des gestes d'une grande violence. Les surveillants n'ont pas été gravement touchés physiquement mais cette agression constitue un choc psychologique, qui va au-delà du cas d'espèce. Les surveillants ont alors réclamé des mesures précises, portant sur la sécurité dans les établissements et la gestion des détenus. Aussitôt après cet événement, j'ai pris contact avec les surveillants agressés et diligenté une mission d'inspection pour évaluer les difficultés de fonctionnement. Quelques jours plus tard, munie de ses conclusions, je me suis rendu à la prison de Vendin-le-Vieil et y ai présenté un plan en dix points pour cet établissement. J'y retournerai le 16 mars pour en apprécier sa réalisation. Cet événement a entraîné une coagulation de demandes, essentiellement sur la sécurité, qui existaient de longue date car la situation dans les prisons est extrêmement tendue. J'ai demandé aux syndicats de me présenter une plateforme collective pour discuter. Très vite un syndicat s'est désolidarisé de la démarche collective pour réclamer des avantages statutaires, notamment l'obtention de la catégorie B de la fonction publique pour l'ensemble des surveillants. Les deux autres syndicats, avec lesquels nous avons continué à discuter, s'attachaient davantage aux questions de sécurité et de gestion des détenus. Nous étions sur le point de signer un accord quand est survenue la deuxième agression, qualifiée de tentative d'assassinat, à Borgo, en Corse, où je me suis rendue immédiatement. Deux surveillants ont été très gravement blessés, l'un deux étant défiguré. Cette agression particulièrement violente a suscité une émotion particulière dans un établissement qui n'avait jamais été confronté à de tels actes. Cette émotion a rejailli sur l'ensemble du personnel pénitentiaire qui a durci ses positions. Le projet d'accord a été rejeté et nous avons alors entamé une deuxième phase de discussions. Nous avons reçu à nouveau les trois organisations syndicales et avancé sur la base de leurs demandes qui comportaient aussi désormais des avancées en matière indemnitaire et auxquelles il nous semblait possible d'accéder. La CGT et Force ouvrière n'ont pas souhaité signer ce protocole d'accord car leur demande principale portait sur l'obtention de la catégorie B de la fonction publique, revendication à la fois indemnitaire et d'une forme de reconnaissance, par le biais d'un alignement sur le statut des gardiens de la paix. Le Gouvernement n'a pas souhaité accéder à cette demande car cela aurait eu des conséquences en chaîne pour les autres catégories B de la fonction publique et parce que nous avons fait un effort en matière indemnitaire qui place les surveillants pénitentiaires à parité avec les gardiens de la paix, grâce à la prime de sujétion spéciale (PSS) qui a été alignée sur celle des gardiens de la paix.
L'accord qui a été signé prévoit 1 100 créations d'emplois sur quatre ans qui s'ajoutent aux créations de postes déjà prévues pour 2018 et 2019. Il comporte aussi des mesures qui concernent l'équipement : menottes, équipements de protection contre les coups de couteaux, alarmes individuelles, etc. D'autres mesures ont trait à la gestion des détenus violents. Quant aux 500 détenus terroristes islamistes ou aux 1 200 détenus en voie de radicalisation, ils seront évalués puis placés à l'isolement ou dans des quartiers séparés. Outre ces créations d'emplois et ces mesures sur la sécurité ou la gestion des détenus, l'accord prévoit des mesures indemnitaires. Initialement nous souhaitions cibler ces mesures sur les établissements exposés, mais les syndicats ne l'ont pas souhaité et nous y avons renoncé. Trois dispositions s'appliqueront ainsi à tous les surveillants : la prime de sujétion spéciale (PSS) a été alignée sur celle des gardiens de la paix ; l'indemnité pour charge pénitentiaire (ICP) passera de 1 000 euros à 1 400 euros par an ; enfin, l'indemnité pour dimanches et jours fériés sera portée de 26 euros à 36 euros par jour. Au total, cela représente, en moyenne, environ 1 200 euros de plus par an et par surveillant. Une dernière indemnité, spécifique, vise à fidéliser les surveillants qui exercent dans des établissements où peu de candidats souhaitent aller. Une indemnité particulière, qui pourra s'élever jusqu'à 8 000 euros, sera versée à ceux qui restent plus de trois ou cinq ans en poste dans ces établissements. Au total, ces dispositions représentent un effort budgétaire pour l'État de 32 millions d'euros. Mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel est la volonté de redonner aux surveillants pénitentiaires la dignité que leur travail mérite. Ce sont eux qui encadrent les détenus au quotidien, ils les voient évoluer, ils ont des observations à faire. L'accord comporte des stipulations pour que cela soit mieux pris en compte par leur hiérarchie.
Ces réponses étaient indispensables. Les surveillants pénitentiaires font un métier difficile qui mérite une reconnaissance. Toutefois cet accord ne résoudra pas tout ; les problèmes sont anciens et profonds. Contrairement à certains propos qui ont été tenus, nous n'avons pas attendu la crise pour entamer une réflexion. J'ai d'ailleurs lu avec attention les travaux de votre commission. Nous avions anticipé les difficultés et souhaitons y répondre par des mesures de long terme. La première est le plan pour les prisons annoncé par le président de la République, qui s'est engagé à construire 15 000 places de détention supplémentaires. Pour mémoire, je rappelle que nos prisons abritent 70 000 personnes, dont 20 000 en détention provisoire, pour 60 000 places. Ce plan sera présenté fin février ; il précisera le nombre de places en fonction des lieux. Il faut sept ans pour construire une prison en moyenne. Nous prendrons des mesures, y compris législatives, permettant d'accélérer ces constructions. Surtout, nos prisons ne doivent pas être construites sur le même modèle. Tous les détenus ne peuvent pas être pris en charge de la même manière. Un détenu qui doit sortir dans quelques mois ne peut être traité de la même manière qu'un détenu violent ou radicalisé qui exige des mesures de sécurisation renforcées. À côté des maisons d'arrêt sécurisées, nous allons développer des quartiers de préparation à la sortie, moins sécurisés car ils sont destinés à préparer la sortie, dans le cadre d'un parcours élaboré avec le détenu. Avec Agnès Buzyn, nous allons aussi réfléchir à la prise en charge des détenus malades ou atteints de maladie psychiatrique. Les députés sont aussi intéressés par le modèle de prison ouverte, comme celle de Casabianda. Différentes options sont ainsi possibles pour atteindre l'objectif de 15 000 places.
Ensuite, j'ai lancé une réflexion sur la notion de peine. Un rapport m'a été remis récemment sur ce sujet, consultable sur le site du ministère. Il s'agit de travailler sur la notion d'exécution de la peine : comment s'assurer qu'une peine prononcée est bien effectuée dans des délais raisonnables ? Comment diversifier les peines ? Il n'est pas utile de créer de nouvelles peines, notre éventail semble assez riche ; en revanche, il convient d'élargir les options ouvertes aux juges, pour leur permettre de prononcer des peines alternatives à l'emprisonnement lorsque cela est opportun, avec l'exigence que la peine sera exécutée et qu'il n'y a aucun risque pour la sécurité. L'emprisonnement n'est pas à remettre en cause par principe mais, dans certains cas, il n'est pas opportun. On sait que les courtes peines conduisent à la récidive et sont la plupart du temps inutiles. Il faut donner les moyens aux magistrats de prononcer, avec des conditions de sécurité garanties, des peines alternatives, comme par exemple le port d'un bracelet électronique. Il faut que ces peines alternatives deviennent des peines en soi et non des peines d'aménagement d'une peine de prison. Les magistrats hésitent parfois à prononcer des peines de travail d'intérêt général car elles sont peu exécutées. Il faut donner aux magistrats la certitude que cette peine sera bien exécutée, avec un suivi, un tuteur, etc. C'est donc tout un chantier sur le sens et l'efficacité de la peine.
Le dernier chantier ouvert est celui de la gestion des ressources humaines. Nous devons donner la possibilité aux surveillants pénitentiaires de mener une carrière, évoluer, changer de fonction. Par exemple, après avoir commencé comme surveillant, ceux qui le souhaitent pourraient rejoindre une équipe locale de sécurité pénitentiaire ou intégrer le renseignement pénitentiaire de proximité, etc. De telles possibilités d'évolution contribueraient à renforcer l'attractivité du métier. Je pense aussi aux conseillers d'insertion et de probation, qui jouent un rôle fondamental pour suivre les détenus, les accompagner et veiller à l'exécution de la peine.
Vous le voyez, je suis très volontaire sur ce sujet, mais aussi très humble. Le chantier est colossal. Nous devrons tous nous y engager. Une loi pénale et une loi de programmation seront présentées à la fin du printemps ou au début de l'été qui tireront les leçons de ces chantiers tout en s'inspirant des travaux qui ont déjà été menés, comme ceux de votre commission.
Lorsque nous vous avions auditionnée au moment du budget vous nous aviez indiqué la construction de 10 000 nouvelles places de prison d'ici la fin du quinquennat. Ce n'est pas à la hauteur des engagements pris par le président de la République. Certes, il faut du temps pour construire des prisons. Mais dès lors que vous diversifiez les peines et les établissements et que vous prenez des mesures pour accélérer les constructions, il devrait être possible d'atteindre en cinq ans les engagements du président de la République, qui n'était pas le seul candidat à proposer de créer de nouvelles places. Pouvez-vous nous confirmer que 15 000 places seront bien construites d'ici à la fin du quinquennat ?
L'accord prévoit la création de 1 100 emplois supplémentaires en quatre ans. Cela suffira-t-il ? On dénombre 1 600 postes de surveillants vacants, alors même que le taux d'occupation de certaines prisons dépasse les 200 %. Je sais qu'il est difficile de recruter des surveillants pénitentiaires. Beaucoup partent pour rejoindre des polices municipales ou des sociétés privées de surveillance. De plus, l'ouverture de nouvelles places de prison implique aussi de recruter de nouveaux personnels. Il faudra donc aller au-delà des annonces de l'accord dans la loi de programmation.
Merci à la commission des lois d'organiser cette audition. Comme rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « justice », j'ai eu l'occasion d'évoquer avec vous la question des prisons pendant la préparation du budget. J'ai visité plusieurs prisons et rencontré les surveillants pénitentiaires. Je me suis aussi rendu à la prison de Laon à l'occasion des événements récents.
Merci pour les éléments de réponse que vous avez annoncés. Vous avez annoncé la création de 1 100 emplois supplémentaires de surveillants pénitentiaires sur quatre ans. Je rappelle que vous prévoyiez, à l'automne, la création de 481 postes en 2018 et de 659 en 2019. Je suis toutefois assez circonspect sur la crédibilité de ces annonces en raison des difficultés de recrutement que rencontre l'administration pénitentiaire. Comment parviendrez-vous à recruter ces personnels supplémentaires alors que le métier de surveillant pénitentiaire manque d'attractivité ? Ce problème d'attractivité ne pourra pas être réglé uniquement par des mesures indemnitaires. Une amélioration significative des conditions de travail paraît indispensable. Elle est souhaitée par les syndicats. J'attire aussi votre attention sur la situation des détenus vieillissants, en fin de vie ou victimes de troubles mentaux. Il faut aussi se poser la question du sens de la peine. Certains détenus considèrent que le passage par la prison fait partie des « risques du métier ». Ils craignent davantage les peines de confiscation que les peines d'emprisonnement.
J'ai aussi rencontré récemment des surveillants en formation. Depuis peu, ils se voient facturer des frais d'hébergement lorsqu'ils restent le week-end dans le centre de formation.
Vous avez aussi indiqué que vous souhaitiez déployer dès cette année des brouilleurs de portables. On sait que la possession par les détenus de téléphones portables pose des problèmes de sécurité : 40 000 téléphones sont ainsi saisis chaque année. Certains détenus, avec vue sur le parking du personnel, n'hésitent pas à le photographier, ce qui menace la sécurité des surveillants. Quand seront déployés ces brouilleurs ? Quel sera le coût de cette mesure ?
Je suis membre du groupe socialiste et républicain et je partage votre diagnostic à 90 %, hormis sur le nombre de places à créer, car en créant des places, on génère mécaniquement un engorgement des prisons dans les années qui suivent.
Le protocole d'accord que vous avez conclu précise que l'article 57 de la loi pénitentiaire sur les fouilles fera l'objet d'une évaluation parlementaire dès le mois de février. Certaines organisations syndicales en demandent l'abrogation. La notion de fouille intégrale a été encadrée par la loi pénitentiaire de 2009 portée par Jean-René Lecerf qui impose les trois principes de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France pour pratique dégradante concernant les fouilles intégrales. Bien que ce dispositif ait fait l'objet d'amodiation, à l'initiative de Jean-Jacques Urvoas, cet article reste extrêmement fort. Dans l'ambiance actuelle, le sort des détenus n'influe-t-il pas directement sur les conditions de travail du personnel pénitentiaire ? Je comprends en creux que vous n'excluez pas d'abroger cet article, que la CEDH a qualifié de « très préoccupant pour la conception des droits de l'homme en France ».
J'ai visité la maison d'arrêt de Strasbourg et je veux témoigner des attentes fortes des agents de la pénitentiaire pour que la situation s'améliore dans les prisons. C'est également ce que nous souhaitons.
Il y aurait 510 terroristes incarcérés, certains condamnés, d'autres prévenus. Pas moins de 1 200 détenus de droit commun sont susceptibles de radicalisation. Les derniers chiffres du ministère de l'intérieur indiquent que 700 Français ou anciens résidents en France se trouvent encore sur les théâtres d'opération d'Irak, de Syrie, d'Afghanistan ou de Libye. Les revers de Daech devraient les inciter à rentrer en France ou en Europe. Nul doute que certains sont déjà en route. Les ambassades nous ont alertés à cet égard. Comment gérerez-vous le retour de ces centaines de djihadistes ?
La directrice de la maison d'arrêt de Strasbourg m'a dit qu'elle était démunie face aux trois cas de djihadistes, un condamné et deux prévenus, qui figurent parmi les 590 détenus de la maison d'arrêt de Strasbourg. La prison n'est pas faite pour eux et il manque un modus operandi. Les délais sont courts et le dispositif d'accueil actuel ne semble pas adapté.
Il y a un peu moins de 700 djihadistes français encore présents sur les théâtres d'opération. Nous n'avons aucune certitude que tous rentreront. Alors que les déboires de Daech laissaient attendre un afflux de retours, seulement 66 mineurs et entre 245 et 250 personnes majeures sont rentrés des terrains de combat.
Le chiffre est à peu près stable. Nous n'avons pas constaté l'afflux attendu. Un Français qui rentre d'une zone de combat est immédiatement judiciarisé, qu'il s'agisse d'un mineur ou d'une personne majeure. Nous allons doubler le nombre des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) en les faisant passer de trois à six. Pendant quatre mois, une équipe pluridisciplinaire y évalue le niveau de dangerosité de la personne concernée pour décider si elle doit être placée à l'isolement ou dans des quartiers spécifiques étanches du reste de la détention. Notre philosophie n'a pas été de construire des établissements spécifiques, mais de réserver des quartiers qui puissent accueillir ce type de détenus dans les établissements existants, à Fleury, à Vendin-le-Vieil, ou dans d'autres endroits. J'ai visité ces établissements : la construction de ces quartiers est réalisable et nous serons en capacité d'accueillir ces djihadistes de retour en France. D'autant que d'autres terrains de combat s'ouvrent en Afghanistan ou ailleurs, ce qui laisse à penser qu'il n'y aura pas de vague puissante de retours.
C'est à l'initiative du Sénat qu'en juin 2016 un fondement légal a été donné aux unités dédiées dans les établissements pénitentiaires et qu'en juillet 2016 les peines ont été aggravées pour les infractions criminelles d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Lorsque je me rends dans les établissements pénitentiaires, les organisations représentatives du personnel me posent systématiquement la question des fouilles en détention que vise l'article 57 de la loi pénitentiaire ; et le directeur de l'administration pénitentiaire rappelle de manière tout aussi systématique la raison d'être de cet article et des trois principes que vous avez mentionnés. Dans le protocole d'accord, chaque mot a été pesé. Le Gouvernement souhaite que le dispositif des fouilles soit renforcé. Parmi les fouilles, il faut distinguer la fouille intégrale individuelle et la fouille de la cellule avec la déclinaison de possibilités que nous avons prévue. Nous avons demandé à la présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale de conduire une mission sur la fouille individuelle pour faire un bilan des pratiques, des demandes, des exigences de la règlementation européenne et des comparaisons avec les législations étrangères. Attendons les conclusions de cette mission. Votre préoccupation est d'autant plus légitime qu'en tant que garde des sceaux, je suis la garante de la constitutionnalité et de la conventionalité des dispositions que nous sommes amenés à prendre. Je resterai vigilante.
Nous avons reçu les organisations syndicales, cette semaine. Les surveillants semblent ne pas toujours savoir que l'article 57 de la loi pénitentiaire comporte déjà des souplesses introduites en 2016 pour autoriser les fouilles intégrales dès lors qu'il y aurait un soupçon d'introduction d'objets illicites. C'est naturellement le cas à la sortie des parloirs, ces lieux où la transmission d'objets illicites est particulièrement facile. Les directeurs de prison devraient rappeler à leur personnel que cette possibilité existe.
C'est tout à fait juste. La mission parlementaire offrira un cadre efficace pour faire ce type de rappel.
La commission des lois a décidé de créer en son sein une mission d'information sur les peines, qui donnera lieu à un rapport très attendu.
Au mois de juin dernier, nous avons passé un marché de 17 millions d'euros pour installer des brouilleurs dans les établissements pénitentiaires, avec une expérimentation à Vendin-le-Vieil notamment.
Plusieurs établissements seront concernés. En 2018, nous testerons dans une première vague la technique de brouillage que nous avons mise au point à la fin de 2017, en l'appliquant à un panel de structures - établissements sur-occupés, maisons centrales sécuritaires, établissements atypiques comme par exemple une division de Fresnes. L'annuité budgétaire que mentionne Mme la ministre concerne l'année 2018 et se poursuit en 2019 et 2020 avec une montée en charge progressive du marché de déploiement.
L'hébergement des élèves de l'ENAP n'est pas qu'une question de coût. Nous ne demandons pas de participation financière aux élèves qui sont hébergés à l'ENAP, mais l'école est confrontée à une difficulté de régulation des flux, car les recrutements dépassent les capacités d'hébergement de sorte que les élèves qui souhaitent rester sur le campus le week-end ne peuvent pas y être logés. Un nouveau bâtiment sera construit sur un terrain adjacent à celui du campus dès l'an prochain, avec un budget de 60 millions d'euros. Une commission sociale a été mise en place qui prendra en charge les situations difficiles.
La capacité à recruter est directement liée à l'attractivité de la profession, ce qui explique que même s'il n'y avait eu aucune incidence financière, nous aurions hésité à classer le concours en catégorie B. Au dernier concours de surveillant pénitentiaire, 33 % des candidats n'avaient pas le baccalauréat ; or, c'est un critère de candidature pour les concours de catégorie B. Nous risquions de tarir le vivier de recrutement.
Sans insulter l'avenir, je fais le pari que pour rendre la profession plus attractive, il faut développer les parcours de carrière, prévoir un indemnitaire conséquent, améliorer la reconnaissance de l'autorité des surveillants, leur donner une place plus importante dans les établissements pénitentiaires, et enfin élargir l'offre sociale dont ils bénéficient. Le budget que le ministère consacre à l'action sociale a augmenté de 7 % et nous souhaitons privilégier les services de logement et d'accueil de la petite enfance à destination des agents de l'administration pénitentiaire, notamment à Paris. L'attractivité, l'accompagnement du métier par l'action sociale et le développement des parcours de carrière, tels sont nos objectifs.
Pour atteindre l'objectif annoncé de 1 100 emplois supplémentaires, nous prévoyons d'en créer d'abord 100 en 2018 en ouvrant une liste complémentaire au concours de recrutement, puis 400 en 2019, 300 en 2020 et 300 en 2021. Ces emplois viendront s'ajouter à ceux qui sont déjà programmés. Cependant, monsieur Lefèvre, nous n'avons pas les mêmes chiffres : selon moi, 481 emplois sont déjà prévus en 2018 et 425 sont programmés en 2019, alors que vous me dites qu'il y en aura 659. Je les prends volontiers.
Il y aura 425 emplois de surveillants et 659 emplois dans le schéma d'emploi global.
La garde des sceaux vient de s'exprimer par la bouche du directeur.
Suffira-t-il de 1 100 emplois supplémentaires pour combler les vacances d'emplois ? Nous avons recensé en moyenne 1 800 vacances d'emploi et mon souhait est que nous parvenions à les combler.
J'entends bien que de nouveaux établissements vont s'ouvrir et qu'il faudra du personnel pour les faire fonctionner. Pas moins de quatre établissements ouvriront dès cette année : Draguignan, Aix 2, la Santé et Boulogne. Les 481 emplois prévus en 2018 sont réservés à ces établissements.
Si nous parvenons à diminuer la pression carcérale, la fonction s'exercera dans de meilleures conditions et nous pourrons de la sorte réduire le nombre de vacances d'emplois.
Enfin, le président de la République s'est effectivement engagé à construire 15 000 places de prison. Il serait malvenu de ma part de dire autre chose. Cependant, construire une place en détention prend du temps, de sorte que d'ici la fin du quinquennat je peux seulement garantir avec certitude la construction de 10 000 places. Si des modifications de nature législative nous permettent d'acquérir plus rapidement les terrains, de mener les enquêtes nécessaires et de réduire les coûts, nous parviendrons à honorer l'objectif des 15 000 places fixé par le président de la République. Nous y travaillons.
Sénatrice du Nord, je suis allée la semaine dernière à Sequedin, où est détenu l'agresseur de Vendin-le-Vieil. J'y ai vu des policiers aux abords de la prison. À Annoeullin, tant les policiers que les gendarmes ont eu une action d'apaisement : c'est grâce à eux que les parloirs, les promenades et les distributions de repas ont continué d'être assurés. Leur présence utile a évité un dérapage bien plus grave.
À Sequedin, la moitié des places réservées aux femmes ne sont pas occupées. Ne faudrait-il pas prévoir un centre spécifiquement dédié aux femmes et à leurs enfants dans lequel l'encadrement serait plus souple et plus léger, avec un personnel apte à les encadrer tant sur le plan psychologique qu'en matière d'éducation ?
Les maladies mentales sont un sujet récurrent dans les établissements que nous avons visités. Les établissements publics de santé mentale (EPSM) ne disposent plus de structures fermées de sorte que la prison est le seul endroit où l'on peut placer les malades dangereux pour éviter qu'ils mettent en risque la sécurité de la population.
À Tourcoing, j'ai activement développé les chantiers de travail d'intérêt général (TIG). Cela coûte cher et la mairie doit payer en partie le personnel encadrant. Il faut déployer beaucoup d'efforts pour persuader les élus de s'engager. Pourquoi ne pas inscrire une mesure incitative dans les textes afin de sensibiliser les collectivités territoriales, mairies, régions et départements à l'importance de ces chantiers qui valorisent les jeunes et constituent parfois pour eux la première expérience positive de leur vie ?
Nous soutenons les revendications des surveillants pénitentiaires à la fois en matière de revalorisation statutaire et de rémunération. Les primes de nuit et de pénibilité doivent être revues à la hausse. L'augmentation des effectifs n'est pas la seule et unique clef pour améliorer leurs conditions de travail. La solution repose à terme sur la diminution de la population carcérale. Avant-hier, le directeur du centre pénitentiaire de Fresnes nous disait qu'il y avait environ 200 suicides par an.
Dans la maison d'arrêt de courte durée de Villeneuve-sur-Saône que j'ai visitée récemment à l'improviste, on ne compte pas moins de six suicides par an. Je vous ai écrit pour dénoncer les conditions de vie déplorables des détenus. Ces suicides dénotent une grande souffrance chez les détenus. Bien sûr, vous êtes déjà très attentive à la grande violence qui s'exerce en prison et qui n'est pas uniquement le fait de ceux qui se sont radicalisés. Peut-être faudrait-il aller plus loin ? En cinq ans, la Finlande a divisé par trois le nombre de ses prisonniers. Nos voisins scandinaves en sont progressivement venus à penser que la plus efficace des préventions ne réside probablement pas dans des mesures pénales.
L'ancien garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, avait déjà annoncé la création de 125 places au sein de six quartiers pour détenus violents. Le Gouvernement actuel envisage de multiplier ce chiffre par dix en proposant 1 350 places. L'ancien ministre avait prévu que les règles de sécurité les plus strictes y seraient appliquées : fouilles régulières, changements de cellules, limitation des effets personnels, restriction des contacts avec les autres détenus. Le Gouvernement veut aller plus loin en ajoutant l'installation de passe-menottes aux portes des cellules et le menottage des détenus durant leurs déplacements. L'approche ultra-sécuritaire des détenus les plus dangereux s'intensifie, de sorte que l'Observatoire international des prisons met en garde contre ce qui ressemble dangereusement aux quartiers de haute sécurité, fermés en 1982 par M. Badinter qui dénonçait leur régime inhumain. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Le personnel des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) manifeste cet après-midi. Les mesures catégorielles pour ces conseillers pénitentiaires ont été gelées en 2018. Qu'avez-vous prévu pour améliorer les conditions de travail de ces agents, dont nous savons tous qu'ils sont les acteurs essentiels de la réinsertion des personnes incarcérées ?
Notre collègue André Reichardt indiquait tout à l'heure que le personnel de l'établissement pénitentiaire de Strasbourg se trouvait démuni face aux détenus radicalisés, faute de modus operandi. Existe-t-il une méthode d'évaluation de la radicalisation ? Cette évaluation est-elle confiée au personnel de l'administration pénitentiaire ou bien à des intervenants extérieurs ?
Les prisons n'intéressent pas les Français. Je ne suis pas certain qu'elles intéressent beaucoup les politiques. Vous en prendrez la mesure lorsqu'il vous faudra faire appel aux élus locaux pour trouver des terrains afin d'y construire de nouveaux établissements. J'en ai fait l'expérience à Strasbourg. Telle est la réalité, et il faut sans doute des crises comme celle que nous venons de vivre pour nous faire réagir, même au Parlement. J'espère que nous saurons nous en souvenir lorsque vous nous présenterez le prochain texte de loi.
On constate une inflation du nombre de peines d'incarcération prononcées, et cela valait déjà sous le gouvernement précédent. La détention préventive est également très utilisée, si bien que les prisons se remplissent de plus en plus. Le monde judiciaire reste parfaitement indifférent à ce qui peut s'y passer et l'administration pénitentiaire connaît un isolement très fort.
Il est temps de faire évoluer notre vision du système pénitentiaire. Nous savons bien, monsieur le président de la commission de lois, que la contrainte pénale a fait débat entre nous. Pour autant, nous ne changerons pas la situation sans recourir à des peines alternatives, qui seront intégrées à la réflexion sur la construction des nouveaux lieux de détention. Un certain nombre de personnes pourrait déjà être placé en détention dans des établissements moins sécuritaires. Les quartiers de préparation à la sortie, moins rigides, pourraient facilement accueillir ceux qui sont condamnés à des peines courtes ou qui subissent une sanction pour ne pas avoir respecté des jours d'amende. En outre, les élus accepteront sans doute beaucoup plus facilement de vous trouver un terrain s'il s'agit de construire un établissement moins sécuritaire. Les délais peuvent être longs - je l'ai constaté dans le Haut-Rhin avec Lutterbach - et je vous souhaite de ne pas mettre autant de temps qu'il en a fallu pour décider qu'on ne construirait pas d'aéroport à Notre-Dame des Landes.
Après avoir visité l'établissement où une tentative d'assassinat a eu lieu, vous avez promis un plan en dix points. Comme sénateurs, nous visitons tous les établissements qui se trouvent dans notre circonscription et nous savons combien, partout, les besoins sont importants. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté les a relevés. Il est urgent de dégager des moyens supplémentaires. Nous sommes disposés à vous soutenir auprès du Gouvernement et de Bercy pour faire en sorte que l'amélioration de la situation des prisons devienne une priorité. L'idée ne sera pas forcément populaire, mais c'est à nous, élus, de faire comprendre à nos concitoyens que la peine d'emprisonnement attendue par les victimes pour éloigner le délinquant ne l'empêchera jamais de revenir. Il faut avoir le courage de le dire, de même qu'il faut dire aussi que les courtes peines qui conduisent à l'encombrement de nos maisons d'arrêt ne sont pas une solution. Elles ne font que créer une difficulté supplémentaire pour le personnel pénitentiaire qui, privé de toute latitude pour mener un travail d'accompagnement, se trouve réduit à faire de la simple surveillance et de la garde. Or, les surveillants pénitentiaires ont un vrai travail social à accomplir. En Scandinavie, puisque vous parlez de comparaisons internationales, madame la ministre, il y a un surveillant pour trois détenus !
Si nous voulons changer de modèle, cela suppose que nous cherchions ensemble, dans le consensus, une autre manière d'envisager la peine et son exécution, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas de peine.
Pour ce qui est des recrutements, vous avez indiqué un premier volant d'embauches de 1 100 agents, répartis sur quatre ans, dont 500 dès 2018-2019. La Chancellerie a évalué les besoins à 2 500 embauches. Pouvez-vous nous préciser sur quelle période ? Et y aura-t-il un deuxième volant de recrutements ?
Lors du dernier concours de recrutement, 30 % seulement des candidats inscrits se sont présentés aux épreuves. La prime et les indemnités que vous prévoyez de mettre en place pour la charge pénitentiaire et pour les jours fériés et les dimanches renforceront certainement l'attractivité du métier. Cependant, la crise que nous venons de traverser ne sera pas un facteur favorable pour attirer les candidats.
Alors que le président de la République s'était à l'origine engagé à construire 15 000 places de prison sur le quinquennat, les délais courent désormais jusqu'en 2027. Pouvez-vous nous confirmer que cet allongement des délais ne remet pas en question l'objectif de 80 % des détenus en cellule individuelle ? Comment expliquez-vous ce retard dans le calendrier ? Alors que votre prédécesseur avait défini un programme immobilier en octobre 2016, il semblerait qu'aucune opération n'ait été lancée, et qu'on en soit resté au stade de l'identification du foncier. Pouvez-vous nous le confirmer ?
Je vous remercie de nous avoir transmis un message clair et précis, même s'il ne nous rassure que partiellement. Il y a beaucoup de détenus violents en prison. C'est aussi la prison qui rend violent et on constate beaucoup de suicides. Or, la France manque de psychiatres, et particulièrement en prison, où les détenus sont peu ou mal soignés par des médecins généralistes qui ne leur prescrivent pas forcément les médicaments adaptés. Il faut dix ans pour former un psychiatre. En attendant que l'on déverrouille la profession et que le numerus clausus augmente, comment pallier ce manque pour juguler la violence en prison ?
Si les établissements de détention ont pu continuer à fonctionner pendant cette crise qui a duré une douzaine de jours - et l'on sait combien la continuité du service public est essentielle dans l'administration pénitentiaire, ce qui justifie d'ailleurs le statut spécial accordé aux agents - c'est grâce au personnel d'encadrement qui s'est énormément investi dans des conditions particulièrement difficiles, grâce aux agents qui ont accepté de continuer leur service, mais aussi grâce aux forces de sécurité intérieure. Je les en remercie.
Au niveau national, on ne recense que 3 % de femmes détenues, qui sont accueillies dans des quartiers qui leur sont réservés à elles et à leurs enfants. J'ai récemment visité celui de Fleury et je voudrais aller à Rennes. Les capacités d'accueil à Fleury sont largement suffisantes.
La situation des malades psychiatriques est un vrai sujet. Dans le protocole d'accord que nous avons signé avec les organisations syndicales, il est mentionné que nous devons développer une prise en charge particulière à leur intention. Nous y travaillerons avec Agnès Buzyn. Actuellement, 186 psychiatres et 315 psychologues exercent dans nos établissements pénitentiaires. Partout où je vais, on me dit que ce n'est pas suffisant pour prendre en charge les détenus malades qui se plaignent de ne pas pouvoir voir un médecin assez rapidement, tandis que les médecins regrettent de ne pouvoir réaliser qu'une prise en charge partielle pour répondre à l'urgence. Les malades peuvent être soignés au sein de l'établissement ou être hospitalisés à l'extérieur. Quoi qu'il en soit, l'offre de santé mentale reste insuffisante, conséquence sans doute de la situation extrêmement tendue dans laquelle se trouve la psychiatrie au niveau national.
Mettre en place un TIG suppose qu'une collectivité ou un entrepreneur acceptent de prendre en charge le détenu, que nous puissions assurer leur rémunération et que les magistrats soient informés précisément de l'existence et de la disponibilité de ces chantiers. Nous avons confié une mission parlementaire à votre collègue député Didier Paris et à M. David Layani afin de déployer une plateforme numérique qui garantisse une meilleure prise en charge des TIG.
On a enregistré 113 suicides de détenus en 2015 et autant en 2016. Le taux de suicide est de 15,7 % pour 10 000 détenus. Il a diminué, car il était à 18 % en 2008, alors que la surpopulation carcérale s'est accentuée. Il s'explique bien sûr par les conditions très difficiles dans lesquelles vivent les détenus. Une grande violence sévit effectivement dans les prisons. Il n'est qu'à voir le film de l'agression qui a eu lieu à la prison de Borgo : cela dure plus d'une minute et le surveillant est agressé sauvagement. Sans préjuger des résultats de l'enquête, la personnalité du détenu incriminé semblait poser problème à l'administration. Il s'agissait d'un détenu de droit commun qui n'était pas entré pour radicalisation, mais qui peut-être se radicalisait. L'enquête nous en dira plus. Quoi qu'il en soit, la violence n'est effectivement pas uniquement le fait des détenus radicalisés.
Lorsque je me suis rendue à Fleury, j'ai discuté avec des surveillants qui avaient en charge les très courtes peines. C'était avant les événements. Ces personnes étaient fatiguées et nourrissaient une forme de colère due au manque de respect des détenus et à la remise en cause constante de leur autorité.
J'ai une position très pragmatique au sujet des passe-menottes et des moyens ultra-sécuritaires. Il faut assurer la sécurité du personnel pénitentiaire et dans certaines situations des équipements particuliers seront utiles. Lors de la tentative d'assassinat à Vendin-le-Vieil, les surveillants étaient quatre pour faire sortir le détenu de sa cellule car ils avaient des doutes sur son comportement - le détenu avait appris la veille qu'il allait être extradé aux États-Unis. Dans un cas comme celui-ci, les surveillants auraient pu utiliser un passe-menottes pour sécuriser le déplacement. Pour autant, le respect des droits restent une ligne infranchissable. Le protocole d'accord indique que ces équipements de sécurité seront adaptés à une situation particulière ou à des quartiers spécifiques.
Les conseillers d'insertion et de probation jouent un rôle majeur. Nous devrons nous appuyer sur eux si nous voulons faire évoluer le sens de la peine et garantir son efficacité. Ils mènent d'ailleurs aujourd'hui une journée nationale d'action pour dénoncer le fait que le protocole d'accord signé avec le gouvernement précédent a été décalé d'un an, comme c'est le cas pour l'ensemble des protocoles d'accord de ce type dans la fonction publique. Pour faire évoluer et pour clarifier les missions de ces conseillers d'insertion et de probation, le directeur de l'administration pénitentiaire a récemment publié un référentiel des métiers. La loi de programmation augmentera le nombre d'emplois dans cette branche sur cinq ans. Pas moins de 150 emplois supplémentaires seront créés dès cette année. Nous souhaitons que la progression se maintienne, car le rôle de ces agents est essentiel pour l'efficacité de la peine.
L'évaluation de la radicalisation est confiée à un personnel pluri catégoriel. Il s'agit non pas de surveillants pénitentiaires, mais de psychologues, de sociologues, de médecins et, le cas échéant, de référents dans le domaine religieux.
Monsieur Bigot, vous avez raison il faut d'abord réfléchir au sens de la peine avant de la définir. Toute notre démarche consiste à garantir l'individualisation de la peine, principe fondamental de notre droit, car chaque détenu est dans une situation spécifique et doit être traité de manière particulière, avec des évolutions pendant la peine. Les quartiers de préparation à la sortie impliquent des exigences en termes de sécurité moindres que des prisons comme Vendin-le-Vieil ; ils pourront donc être construits à un rythme plus rapide. Vous avez évoqué les 10 engagements que j'ai annoncés lors de ma visite de la maison centrale de Vendin-le-Vieil...
Le Gouvernement est dans l'action et n'a pas attendu la crise pour réfléchir sur les peines ou pour annoncer des constructions de prisons ! Les engagements que j'ai pris à la maison centrale de Vendin-le-Vieil ne concernent que la situation de cette prison. Pour le reste, je partage votre avis : la prison n'est peut-être pas toujours une réponse pertinente. Devons-nous, en particulier, continuer à prononcer des peines d'emprisonnement très courtes, de moins d'un mois, qui créent des ruptures sociales ? D'autres peines ne seraient-elles pas plus efficaces ?
On peut aussi poser la question différemment : convient-il d'enfermer quelqu'un pour un mois dans les conditions de détention actuelle ? Nous pourrions prévoir des établissements adaptés.
Pourquoi pas ? Cela rejoint aussi ce que dit M. Bigot. On peut imaginer que des personnes condamnées à des peines d'intérêt général, mais sans disposer d'hébergement, ou à des peines qui nécessitent une prise en charge particulière, puissent être accueillies dans des établissements spécifiques qui garantissent l'exécution de la peine mais qui ne soient pas des maisons d'arrêt.
Monsieur Bonhomme, vous mentionnez 2 500 vacances de postes. Ce n'est pas un chiffre de la chancellerie. En réalité, les vacances d'emplois varient au cours de l'année en fonction des arrivées des jeunes recrues, des départs, etc. Elles fluctuent entre 900 et 1600 postes par an. Les créations de postes annoncées devraient permettre de les couvrir. Seuls 30 % candidats inscrits au dernier concours se sont présentés aux épreuves, en effet, mais il y avait 15 000 inscrits, ce qui prouve qu'il y a un vivier de candidats suffisant.
Le calendrier de construction des 15 000 places de prison supplémentaires figurera dans la prochaine loi de programmation. Les engagements du président de la République seront tenus. Toutefois, l'expérience des précédents programmes pénitentiaires montre que construire des prisons prend du temps. C'est pourquoi je jugeais raisonnable de fixer un objectif de 10 000 places d'ici à la fin du quinquennat. Toutefois, si nous parvenons à diversifier les modalités de construction des établissements, nous devrions sans doute être en mesure de tenir l'objectif de 15 000 places d'ici cinq ans. Nous sommes en train d'achever le projet de programmation. Le président de la République fera des annonces bientôt. Dans de nombreux cas le foncier est déjà identifié et les études de faisabilité ont déjà été faites. Nous avons mobilisé à nouveau les préfets en décembre pour trouver du foncier dans les régions où les besoins sont les plus importants : en région parisienne, en Rhône-Alpes et en Provence-Alpes-Côtes d'Azur.
Merci pour ces réponses détaillées. Nous attendrons les futures annonces du Gouvernement. De notre côté, nous avons pris nos responsabilités et nous ne pouvons que souligner l'urgence d'une réforme et d'une programmation, qui manquaient dans le budget de la justice pour 2018, raison pour laquelle nous ne l'avons pas voté.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 10.