Je désire appeler l'attention du Sénat sur le jugement qui vient d'être rendu par le conseil des prud'hommes de Longjumeau.
Dans un esprit de magnanimité, je ne vous lirai que quelques-uns des attendus de ce jugement rendu sur la formule analogue à celle que vous proposez aujourd'hui, à savoir le CNE.
« Attendu que la période d'essai est destinée à permettre aux cocontractants d'évaluer les capacités professionnelles du salarié et les conditions de travail dans l'entreprise ;
« Que la Cour de cassation a pu préciser que le caractère prématuré ou tardif de la rupture de période d'essai est un élément d'appréciation d'un abus de la part de l'auteur de la rupture ;
« Qu'en l'espèce la SARL ACG a procédé au renouvellement de la période d'essai le dernier jour de celle-ci ;
« Qu'elle a ensuite procédé à la rupture de la période d'essai le dernier jour de celle-ci ;
« Que ces éléments font présumer l'abus de l'employeur dans l'utilisation de son droit au renouvellement et de son droit à la rupture de période d'essai ;
« Que ces éléments sont renforcés par l'embauche de M..., le jour même de la rupture de la période d'essai, par la SARL ACTE, sous le régime précaire du contrat nouvelles embauches;
« Qu'il convient de relever par surcroît que cette rupture de période d'essai a eu lieu le 6 août 2005, alors que l'ordonnance instituant le contrat nouvelles embauches, du 2 août 2005, venait d'entrer en vigueur ;
« Que les SARL ACG et ACTE étant étroitement liées, il est inconcevable que, le demandeur n'ayant pas établi sa capacité à remplir sa mission de contrôleur technique dans la première, il soit embauché dans la même qualité dans la seconde ; [...]
« Attendu que le contrat nouvelles embauches est destiné, d'après le rapport présenté au Président de la République, à rassurer les chefs d'entreprise ayant des difficultés à anticiper l'évolution de la conjoncture économique ou à. apprécier les qualités du salarié ;
« Qu'il est destiné, comme son nom l'indique, à favoriser de ?nouvelles embauches? ;
« Qu'il ne peut être utilisé dans le seul but de précariser la situation d'un salarié et d'éluder le droit de licenciement ;
« Qu'en l'espèce il apparaît que la SARL ACTE connaissait exactement les qualités professionnelles du salarié, qui avait passé deux mois dans la SARL ACG avec laquelle elle est intimement liée ;
« Condamne l'entreprise à indemniser le salarié. »
Comme vous pouvez le constater, nous sommes en pleine substitution de contrat. Le salarié, en l'espèce, perd un contrat à durée indéterminée, qui est remplacé, dans une autre société, par un contrat nouvelles embauches.
Dans le cas de ce jugement, l'employeur avait littéralement requalifié un CDI en CNE et l'ambiguïté de son comportement ne fait aucun doute. Il est même d'une certaine naïveté, mais cela aurait gravement porté préjudice au salarié si un ami syndicaliste ne lui avait pas conseillé de présenter son recours.
Le plus souvent, qu'en sera-t-il ?
Un salarié en CDI sera licencié ou bien un CDD ou une mission d'intérim prendra fin, et le salarié nouvellement recruté le sera en CPE ou en CNE, tout de même après un court délai.
Votre texte ne prévoit rien pour répondre à cette hypothèse. Comment l'expliquez-vous ?
Comptez-vous sur le comportement vertueux des employeurs ou sur leur prise de conscience après avoir pris connaissance des jugements prononcés ? Ou bien espérez-vous que les salariés ne feront pas de recours et que l'habitude sera bientôt prise de ne pas réagir à cette nouvelle aggravation de la précarité ?
Il est vrai que, déjà, les responsables du personnel conseillent à leur employeur de ne pas préciser dans la lettre de licenciement d'un salarié en CNE qu'il dispose d'un an pour contester la rupture du contrat. Cela crée, paraît-il, des contentieux portant sur le motif de la rupture, et pourrait aboutir à renforcer les motifs invocables sur l'abus de droit.
Ce n'était pas l'effet souhaité mais, que voulez-vous, les salariés se défendent encore.