Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous le savons, les scandales sanitaires sont au nombre des menaces qui pèsent le plus lourdement sur notre démocratie, tant ils entament la confiance des Français.
Votre proposition de loi vise à répondre à un impératif de santé publique et de reconnaissance du préjudice subi. Vous souhaitez créer un fonds assurant la réparation intégrale des victimes de pathologies liées aux produits phytopharmaceutiques, que leur exposition soit d’origine professionnelle ou environnementale. Ce fonds serait financé exclusivement par une taxe prélevée sur les produits concernés.
Votre texte, mesdames, messieurs les sénateurs, est empreint d’une noble intention, et je la comprends. Toutefois, la création d’un tel fonds d’indemnisation m’apparaît prématurée.
En effet, nous connaissons encore trop mal les risques sur la santé d’une exposition à un ou plusieurs produits phytopharmaceutiques. Les pathologies en question, vous le savez, peuvent avoir plusieurs causes. Aussi ne peuvent-elles être directement imputées, en tous les cas pour la majorité d’entre elles, aux seuls produits phytopharmaceutiques.
Ce dispositif renverserait la charge de la preuve. Ce serait alors au fonds de démontrer l’absence de lien direct et essentiel entre une pathologie et les expositions, dès lors que la victime alléguerait une exposition. Or, compte tenu de l’utilisation massive des pesticides, il convient de considérer que tout le monde est exposé : le champ des indemnisations s’étendrait aux victimes environnementales, et ce de façon difficilement contrôlable.
Par ailleurs, un tel dispositif d’indemnisation serait, à mes yeux, déresponsabilisant, en particulier vis-à-vis des industriels. Les effets sur la santé des expositions professionnelles aux produits phytopharmaceutiques font l’objet d’un consensus scientifique. Or votre texte s’engage sur la voie d’une indemnisation systématique, sans détermination préalable de responsabilité. §En outre, cette indemnisation serait financée exclusivement par le produit d’une taxe sur les produits phytopharmaceutiques. Malgré l’intention qui vous anime, les industriels bénéficieraient, de fait, d’une décharge de responsabilité individuelle contre une prise en charge mutualisée du risque.
Nous devons plutôt renforcer l’indemnisation dans le cadre du système des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ce système facilite l’indemnisation des victimes concernées. En effet, lorsqu’une maladie est inscrite dans un tableau de maladies professionnelles et répond aux conditions prévues par ce tableau, elle est présumée d’origine professionnelle.
Qui plus est, pour les maladies n’étant pas inscrites dans les tableaux, une voie complémentaire de reconnaissance permet un examen, au cas par cas, des demandes par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, les CRRMP.
Au total, pas moins de 700 maladies professionnelles, liées aux produits phytopharmaceutiques, sont reconnues dans ce cadre.
Cela étant, je suis évidemment consciente des limites de ce système d’indemnisation. En effet, comme vous le dites très justement, il ne permet pas à tous les travailleurs concernés d’être indemnisés de manière équitable.
Les tableaux de maladies professionnelles existants n’ont pas été actualisés au regard des connaissances scientifiques les plus récentes. Je pense en particulier à l’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale – INSERM – de 2013.
Quant aux maladies non inscrites dans les tableaux, les décisions rendues après avis des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles sont hétérogènes, les connaissances scientifiques n’étant pas assez diffusées.
Afin de résoudre ces écueils, Mme la ministre du travail, M. le ministre de l’agriculture et moi-même demanderons aux commissions chargées d’élaborer ces tableaux d’améliorer l’indemnisation des travailleurs concernés. Précisément, des études devront être menées pour adapter les tableaux de maladies professionnelles à l’état actuel des connaissances scientifiques.
Toutefois, au-delà de l’indemnisation elle-même, la priorité ira à la prévention des effets des produits phytopharmaceutiques sur la santé. La feuille de route du Gouvernement, à la suite du rapport sur les produits phytosanitaires, doit renforcer l’effort de recherche afin de mieux connaître les liens entre pathologies et exposition, mais également de développer les actions de protection des travailleurs et des populations. Je pense en particulier aux publics les plus fragiles et les plus vulnérables, les enfants et les femmes enceintes.
Nous devons également étudier les conclusions du rapport de la mission diligentée auprès de l’inspection générale des affaires sociales, de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, rapport qui vient de m’être communiqué et qui étudie l’éventualité d’un dispositif d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques. Nous avons besoin de temps pour analyser les conclusions de ce rapport, ainsi que les enjeux juridiques, financiers et sociaux de ses propositions.
Cela étant, ce rapport semble pointer l’absence de certitudes scientifiques sur le lien de causalité entre maladie et exposition à des substances nocives, ce qui, comme je le disais, constitue le principal obstacle à la reconnaissance des victimes environnementales.
Le rapport précise : « Devant cette difficulté de démonstration du lien de causalité pour un nombre de victimes important, l’amélioration du régime accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) par extension du périmètre des maladies prises en charge, pour le rendre cohérent avec l’évolution des connaissances scientifiques, pourrait être une option possible. »
Par ailleurs, le plan santé au travail 3, élaboré par les partenaires sociaux, prévoit des actions de substitution de certains produits phytopharmaceutiques, ainsi qu’un travail sur le port d’équipements de protection pour les travailleurs.
Quant aux amendements visant à intégrer la problématique du chlordécone aux Antilles, je crains qu’ils n’engendrent une confusion avec le plan Écophyto…