Intervention de Martin Vanier

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 1er février 2018 à 8h31
Audition de M. Martin Vanier géographe professeur à l'école d'urbanisme de paris

Martin Vanier, géographe :

Notre territoire n'a pas cessé de s'équiper, depuis les canaux de Louis XIV... La prochaine génération d'équipements sera constituée d'infrastructures de guidage et de la distribution des carburants nouveaux : électricité, gaz et hydrogène. Comme toujours, l'équipement ne se fera pas partout à la même vitesse, et commencera là où le marché l'aura décidé. Les canaux, l'électrification, le téléphone filaire ont d'abord été des projets privés, car il y avait un profit à faire. C'est seulement dans un deuxième temps que la puissance publique est intervenue. Il y aura donc certainement un décrochage sur certains territoires, comme il y en a eu un pour le mobile. C'est que nous avons des écarts de densité de un à mille : 10 à 20 habitants par kilomètre carré dans certains cantons ruraux, contre 40 000 dans le onzième arrondissement de Paris.

Michel Savy, également membre du conseil scientifique de l'Institut des hautes études de développement et d'aménagement des territoires en Europe (Ihedate), est un ingénieur et ne dira jamais rien sans chiffres. Au contraire, je suis un bavard et moins j'ai de chiffres, plus c'est stimulant. On ne peut pas faire de prospective sans intuition. La diffusion des populations diffuse la ségrégation. Auparavant, on distinguait bien les quartiers riches et pauvres, les flancs est ou ouest des villes. Maintenant, on voit cela dans les campagnes. La société se déploie dans ses inégalités. On peut ensuite estimer que c'est scandaleux...

La promesse de la réciprocité est d'activer les complémentarités. Par exemple, le Médoc et Bordeaux n'ont pas du tout les mêmes capacités territoriales. Le Médoc est l'un des espaces les plus ruraux de France, et il a des ressources alimentaires, de biomasse, d'ingénierie, de stock de logements différents de la ville de Bordeaux, qui est à 15 kilomètres. Il faut déployer une économie de transactions entre les territoires et arrêter les récriminations du type « on n'a pas le même taux de... » ou « on n'a pas accès à... ».

La grande ruralité - je n'aime pas trop le terme d'hyper ruralité - est dépositaire d'un espace naturel et agricole, avec une occupation humaine très lâche. Évoquer un désert est stigmatisant, car ces territoires sont très peu peuplés depuis longtemps - et non en raison de l'influence des métropoles. La « diagonale du vide » n'en est plus une, elle est fractionnée. Depuis deux siècles, ces territoires déjà peu denses ont été surtout touchés par la guerre de 1914-1918, notamment le Massif central et le Nord-Est du pays, qui les a gravement fragilisés. Il s'agit d'une tendance structurelle, et non de l'exaspération des différences. Voyez comment la société gère ces espaces de faible densité : désormais, ces territoires sont une richesse écologique. Certains s'y engagent à fond, comme pour le projet de Parc naturel des forêts de Champagne et de Bourgogne, dans le Châtillonnais, avec une valorisation des forêts et des chasses. Le territoire n'a que dix habitants au kilomètre carré, et tient à conserver ce ratio. Certes, il faut aller chercher des soutiens financiers et des partenariats, sur vingt à soixante ans. On façonne des forêts, magnifiques, pour des siècles ! J'ai du mal à vivre l'angoisse du vide de la grande ruralité. Certains territoires, quasi morts il y a quelque temps, en Lozère, dans le Lot, dans la Drôme, sont désormais habités de personnes très actives.

Nous ne pouvons plus nous payer de grandes infrastructures lorsqu'on a conscience du vieillissement de celles existantes, comme le montrait le dernier rapport de l'Arafer, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières. Soyons raisonnables : il nous faut encore compter deux décennies pour la maintenance des réseaux existants. Hier, un article du Monde citait un maire refusant le transfert de la compétence eau à l'intercommunalité : imaginez la situation lorsqu'il faut fermer des vannes à 3 heures du matin... Le temps de la production des infrastructures est momentanément interrompu. L'argent public doit être concentré sur la modernisation et la sécurisation des infrastructures.

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