Intervention de Marie-Anne Montchamp

Commission des affaires sociales — Réunion du 6 février 2018 à 18h05
Audition de Mme Marie-Anne Montchamp présidente de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie Mme Anne Burstin directrice générale et M. Simon Kieffer directeur des établissements et services médico-sociaux sur la situation dans les ehpad

Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie :

Je vous remercie, Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, pour votre accueil et vos propos introductifs. Vous vous êtes donné pour objectif d'identifier des solutions de court terme - il s'agit d'une mission courte -, mais vous n'en oubliez pas de réfléchir de façon plus prospective sur les enjeux de moyen terme.

Si l'on examine la situation en partant de l'objectif final pour interroger l'existant, on est conduit à s'interroger sur notre modèle et à reconnaître qu'il est important de veiller à sa transformation.

Le vieillissement de la population française est une donnée bien connue, mais on a trop eu tendance à l'envisager de façon linéaire, en anticipant les besoins de demain par extrapolation des besoins d'aujourd'hui. Or on ne vieillit pas au début du XXIe siècle comme l'on vieillissait dans l'après-guerre ou même pendant les Trente Glorieuses : le vieillissement est aujourd'hui plus long et s'accompagne de pathologies chroniques, notamment neurodégénératives, qui en affectent cruellement les conditions. Les établissements accueillent ainsi - pour une durée moyenne inférieure à deux ans - des personnes de plus en plus âgées et en situation de perte d'autonomie de plus en plus forte, souvent affaiblies et désorientées.

La mobilisation qui s'est récemment fait jour, relativement suivie, a d'autant plus marqué les esprits qu'elle a été accompagnée de reportages durs témoignant de la réalité au sein des Ehpad, notamment des conditions de travail difficiles des personnels accompagnants. Pourtant, dans le cadre des divers plans qui se sont succédé, la Nation a consenti un effort important en faveur des établissements sociaux et médico-sociaux, en particulier par une augmentation sensible du nombre de places offertes en Ehpad.

La situation est ainsi paradoxale : d'un côté, l'effort s'accroît - il avoisine pour la partie financée par l'assurance maladie, les 10 milliards d'euros en 2017, contre 6 milliards en 2006 - et les plans successifs affinent les réponses apportées à nos concitoyens en perte d'autonomie, en particulier à ceux atteints de la maladie d'Alzheimer ; de l'autre, l'inquiétude grandit chez nos compatriotes, qui comprennent de moins en moins bien notre modèle et ne le souhaitent pas véritablement pour eux-mêmes, tout en en ayant besoin pour faire face à la dépendance de leurs proches.

Les collectivités territoriales aussi s'inquiètent : comment pourront-elles continuer d'assumer leur part du financement de la prise en charge de la dépendance ?

Au milieu de cette situation, les personnels sont dans une situation de grande fragilité, mise en évidence par les récents mouvements sociaux à grand renfort de témoignages sur des situations qui confinent tout de même à de la maltraitance involontaire.

La première question que vous nous avez adressée, Monsieur le rapporteur, porte sur la manière dont les efforts consentis par la puissance publique peuvent soulager les besoins des Ehpad, notamment en matière de personnel.

Compte tenu de son organisation et de l'expertise de ses personnels, la CNSA est en mesure de produire une information qu'on ne trouve pas ailleurs. J'ai ainsi sous les yeux une étude, que nous tenons à votre entière disposition, sur la situation des Ehpad en 2017. Issue de l'agrégation de données transmises par les établissements via les agences régionales de santé, cette analyse contient plusieurs éléments qui éclaireront votre réflexion - même si elle n'épuise pas toutes les questions que vous vous posez.

Les ressources allouées aux établissements financent à 89 % des dépenses de personnel. Nous ne sommes pas en mesure de vous renseigner sur le fléchage précis des ressources établissement par établissement et ses conséquences en matière d'amélioration du taux d'encadrement, mais il ressort de notre étude que ce taux s'est globalement amélioré : s'il n'atteint pas l'objectif, fixé par le Plan solidarité grand âge (PSGA), de 65 équivalents temps plein (ETP) pour 100 personnes accueillies, le taux d'encadrement médian oscille entre 61 et 63 équivalents temps plein pour 100 résidents, en fonction du nombre de places réellement occupées.

Nous avons bien entendu les différents mots d'ordre : l'association des directeurs d'établissements prône un taux de 8 pour 10, certains représentants des personnels plaident même pour le « 1 pour 1 ». Je ne puis que rappeler les limites de nos capacités de financement, mais le fait est que la tendance est à l'amélioration de l'encadrement et qu'il n'y a pas eu de décrochage, ou seulement ponctuel.

Reste que ces données générales masquent évidemment la diversité des situations locales et des besoins de nos concitoyens. Il est souhaitable que nous disposions à l'avenir de données plus précises sur la transformation de l'argent public en emplois dans les différents établissements.

Les financements ont été globalement renforcés, afin notamment de médicaliser les établissements. Monsieur le rapporteur nous a néanmoins demandé si des effets de fongibilité un peu commodes entre les sections du budget des Ehpad ne permettaient pas d'obtenir des résultats d'affichage.

Notre enquête montre que certains déterminants sont d'un grand poids : la taille de l'établissement, son statut, la présence ou non d'une pharmacie à usage interne (PUI), son adossement éventuel à un établissement de santé. La diversité de ces réalités doit être examinée dans le détail.

Aujourd'hui, les financements les plus élevés, jusqu'à 16 000 euros annuels par place, vont aux établissements de plus de 200 places. Les établissements moyens, ceux qui offrent entre 60 et 99 places, reçoivent les financements les plus faibles, parfois seulement de l'ordre de 12 300 euros. Les plus petits établissements sont dans une situation intermédiaire.

Les ressources allouées par les agences régionales de santé aux Ehpad pour renforcer leur médicalisation ont été importantes : en 2016, 136,6 millions d'euros. La même année, les crédits non reconductibles versés par ces agences se sont élevés à 162 millions d'euros, majoritairement au bénéfice d'Ehpad publics. Ces sommes ont servi un peu plus à des investissements qu'à la prise en charge de frais de personnel.

Dans l'analyse des dépenses de personnel - un sujet qui vous préoccupe particulièrement, Monsieur le rapporteur, à juste titre -, il n'est pas possible de faire l'économie d'un examen des salaires moyens des différents métiers en fonction du statut des Ehpad. Ce travail permet de mettre en évidence des points d'attention qui doivent être considérés.

Ainsi, s'agissant du personnel infirmier, le salaire annuel brut médian s'établit à 56 600 euros dans le secteur privé commercial, à 55 600 euros dans le secteur privé à but non lucratif et à 52 000 euros dans le secteur public. Il est intéressant d'examiner les conventions collectives pour affiner ce travail sur la structure des dépenses de personnel.

Mesdames, Messieurs les sénateurs, ce qui m'apparaît surtout, c'est que nous doutons de notre modèle, alors même que la mise en oeuvre des réponses à domicile n'est pas si simple ; nous constatons ainsi des sous-consommations de l'allocation personnalisée à l'autonomie 2 (APA 2). Nous sommes donc à la croisée des chemins.

Le modèle Ehpad ne saurait constituer l'alpha et l'oméga d'une politique du vieillissement. La société doit veiller à ce que le nombre de personnes relevant de structures médicalisées pour la fin de leur vie ne soit pas corrélé au vieillissement de la population. Il faut pour cela construire des ralentisseurs, ce qui suppose de prévenir et d'anticiper, comme le prévoit la stratégie nationale de santé.

Ainsi, il faut inciter nos concitoyens, dès la fin de leur vie active, à faire les bons choix de lieu de vie et de logement et à prévenir la perte d'autonomie dès ses premiers signes.

Alors même que nous devons consentir cet effort, il nous faut produire une réponse de qualité très médicalisée pour la fin de vie des victimes de pathologies neurodégénératives et soutenir la transition du maintien à domicile. Or le modèle de l'aide à domicile, en particulier, peine à être solvable. Il n'est pas soutenable, en particulier dans les territoires ruraux, alors même qu'il est l'une des parades contre la perte d'autonomie progressive sur les groupes iso-ressources (GIR) 3 et GIR 4, que l'on ne cible pas car on se concentre sur les GIR 5 et GIR 6.

La réussite de la transition, nécessaire, se fera en maintenant le modèle existant et en faisant décoller le modèle d'après. Il y va de l'équilibre des finances publiques.

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