Vous m'avez interrogée, monsieur Pemezec, sur l'identification des responsabilités ayant conduit au constat dressé par notre rapport. En réalité, les dysfonctionnements relevés sont imputables à chaque niveau de gouvernance, qui collectivement ont soumis la SGP à des injonctions contradictoires, selon l'expression justement utilisée par M. Capo-Canellas : les services de la SGP ont mené des études préalables insuffisamment approfondies et largement sous-évalué le niveau des provisions pour aléas et imprévus ; le directoire a fait preuve d'une trop tardive transparence envers le conseil de surveillance et les tutelles concernant la dérive des coûts prévisionnels ; le conseil de surveillance n'a pas utilisé tous les pouvoirs de contrôle que lui attribuent les textes ; les tutelles, enfin, n'ont cessé de confier à la SGP des contributions supplémentaires sans guère se préoccuper, pendant fort longtemps, du pilotage du projet. De fait, la multiplication des tutelles - les ministres du développement de la région capitale, de l'économie, des transports et de l'urbanisme- a conduit la SGP à poursuivre des intérêts parfois divergents. En outre, depuis la suppression du poste de ministre en charge du développement de la région capitale, l'absence d'un chef de file capable de synthétiser les objectifs et d'arbitrer les différends ne lui permet pas d'agir suivant une feuille de route clairement définie.
À vrai dire, les administrations de tutelle ne se sont guère investies dans la gestion de la SGP, à laquelle il a en conséquence été laissé une large autonomie, ce qui peut surprendre compte tenu du caractère hors norme du projet et de l'abondance des financements afférents. Ainsi, la SGP n'a jamais conclu de contrat d'objectifs avec les tutelles, pas plus que son président ne s'est vu remettre de lettre de mission : les annonces politiques en ont seules tenu lieu. La présence de personnalités politiques de premier plan au conseil de surveillance de la SGP a également pu freiner l'implication de l'administration en matière de contrôle comme d'établissement de directives ou d'émission d'objections. Il a ainsi fallu attendre l'année 2013 pour affirmer la tutelle technique de la DGITM sur le projet et 2015 pour sa reconnaissance formelle. Une étape supplémentaire a été franchie en mars 2017, en application des conclusions de la mission conjointement menée par le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et l'inspection générale des finances (IGF), avec la création d'un comité des tutelles, transféré depuis au Préfet de la région Ile-de-France. L'État compte désormais exercer fermement le pilotage du projet, comme en témoigne le récent courrier de la ministre des transports.
Vous vous êtes également inquiété, monsieur Pemezec, des moyens envisageables pour éviter que la déroute annoncée ne soit trop calamiteuse. Notre rapport propose, à cet effet, plusieurs recommandations, notamment d'assigner à la SGP un coût d'objectif fixé ligne par ligne, fondé sur une évaluation réaliste - l'état d'avancement des études et le résultat des premiers appels d'offre le permettent - et intégrant des provisions suffisantes pour les aléas et les imprévus eu égard aux difficultés de construction des tunnels en milieu urbain. Des améliorations peuvent déjà être observées, en particulier, depuis le mois de juin dernier, l'adoption, par la SGP, de règles satisfaisantes et conformes aux usages de la profession pour établir le niveau des provisions pour aléas et imprévus. Ces normes, madame Lavarde, sont fixées par le centre d'études des tunnels (CETU) et ne diffèrent guère de celles qui s'appliquent à l'étranger. À titre d'illustration, des règles identiques à celles établies par le CETU pour la SGP concernant les provisions pour aléas et imprévus sont suivies par le gestionnaire du projet Crossrail à Londres. Afin de s'assurer du respect du coût d'objectif fixé ligne par ligne - et il s'agit là des recommandations n° 4 et n° 5 de notre rapport - il convient de mettre en oeuvre un contrôle renforcé de la SGP par les tutelles et d'élargir, pour les renforcer, les compétences du conseil de surveillance.
La Cour recommande également de garantir la soutenabilité de long terme du financement de la SGP en révisant le périmètre du projet et le phasage des dépenses ou, à défaut, en octroyant à l'opérateur des recettes supplémentaires. Pour mémoire, le modèle financier de la SGP intègre d'ores et déjà la redevance d'utilisation du réseau, pourtant toujours privée de base légale, situation que je qualifierais de « hiatus de financement ». Nous n'avons en revanche pas, pour répondre à la préoccupation de M. Chaize, examiné avec précision l'évolution du financement de la SGP dans le cas où lui seraient affectées de nouvelles recettes, hypothèse qui relève de la mission sur le financement du projet de transports du Grand Paris récemment confiée par le Premier Ministre à M. Gilles Carrez.
M. Pemezec m'a également interrogée sur la responsabilité de la candidature aboutie de la ville de Paris à l'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 dans la dérive financière de la SGP, confrontée à l'obligation d'accélérer sensiblement le calendrier de réalisation des travaux. Je vous renvoie à notre rapport, dans lequel vous trouverez un tableau retraçant, pour chaque tronçon de ligne, les conséquences des Jeux sur le calendrier de livraison des travaux, établi en conseil des ministres le 9 juillet 2014 s'agissant des lignes 14, 16, 17 et 18. Ainsi, l'allongement de la ligne 14 du métro vers le Sud, qui devait initialement être mise en service entre 2025 et 2030, devra finalement être livré au deuxième trimestre 2024. Sans vouloir m'engager dans le commentaire d'une décision politique, je doute que les données transmises au Comité international olympique (CIO) sur ce dossier aient été parfaitement réalistes... Or, le calendrier d'ouverture des lignes à l'appui du dossier de candidature pourrait s'avérer plus tendu encore si survenaient des aléas de chantiers, fréquents lors de creusements souterrains en milieu urbain comme l'indique l'étude du CETU que cite notre rapport.
J'ai entendu, monsieur Bignon, votre préoccupation s'agissant des moyens limités dont dispose le conseil de surveillance d'un opérateur de projet d'infrastructure pour mener efficacement ses missions. La société du canal Seine-Nord Europe, à laquelle vous faites allusion, a effectivement calqué ses statuts sur ceux de la SGP, mais le modèle de gouvernance importe peu en réalité : la priorité réside dans la capacité des acteurs concernés à piloter rigoureusement le projet. Ainsi, si je reprends l'exemple de la SGP, parallèlement à un exercice effectif de la tutelle par l'État, il convient de renforcer les compétences du conseil de surveillance grâce à une composition resserrée intégrant des personnalités qualifiées en matière de gestion des grands projets d'infrastructure.
Monsieur Capo-Canellas, le modèle de financement de la SGP a été initialement établi pour un projet qui se limitait à la réalisation du Grand Paris Express. L'extension des dépenses qui lui ont été attribuées, ajoutée à la sous-évaluation des charges par les études préalables et à l'insuffisance des provisions pour aléas et imprévus, l'ont, progressivement, rendu insoutenable dans sa configuration actuelle. À ma connaissance, il n'est pas, pour autant, prévu d'en réduire le périmètre de 10 % comme vous semblez le craindre. Notre rapport, d'ailleurs, n'a pas évalué cette hypothèse. Je ne puis pas vous répondre s'agissant des raisons de l'inertie de l'État avant sa décision du 14 septembre dernier de desserrer certaines contraintes de calendrier.
Notre rapport ne s'est pas non plus penché, monsieur Chaize, sur une hypothèse de financement de la SGP plus favorable en matière de recettes ou, monsieur Dallier, sur les conséquences d'une capitalisation de la SGP par l'État à hauteur de 4 milliards d'euros sur le modèle du Crossrail londonien : nous avons seulement examiné différents scenarii en fonction du montant de dépenses et d'éventuelles dégradations du marché. Il peut effectivement sembler étrange que la SGP ait été incapable de nous transmettre, comme à sa tutelle, des éléments solides pour documenter ses premières estimations de dépenses. Je n'ai pas, pour ma part, d'explication à cette défaillance.
Le choix de créer la SGP sur le modèle que nous connaissons était éminemment politique : il s'agissait de donner les moyens à l'État de jouer un rôle majeur d'impulsion dans la mise en oeuvre du projet. D'autres pays développant des projets d'infrastructure similaires ont opté pour une organisation proche, même si, à défaut d'une gouvernance adaptée et d'une tutelle véritable, elle peut légitimement susciter des réserves. Monsieur Bascher, la RATP est déjà maître d'ouvrage des travaux de la ligne 14.