En 1988, les accords de Matignon-Oudinot ont prévu la tenue d'un référendum au plus tard en 1998 pour déterminer les conditions de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. L'Accord de Nouméa, conclu en 1998 et approuvé par une consultation référendaire en Nouvelle-Calédonie, a renvoyé au plus tard à 2018 la détermination par les électeurs de la Nouvelle-Calédonie de leur avenir et mis en place les institutions actuelles à titre transitoire, pour ne pas préjuger de l'avenir institutionnel du territoire. L'année de la consultation est venue. Comme il ne faut pas que des Français de passage en Nouvelle-Calédonie puissent prendre part à ce scrutin d'autodétermination, une liste électorale spéciale est établie, distincte de la liste générale, ce qui soulève la question des critères d'inscription.
Nous avons déjà approuvé en 2015 la possibilité d'une inscription d'office sur la liste électorale spéciale. Avec ce projet de loi organique, il s'agit d'élargir les conditions de l'inscription d'office. C'est une innovation juridique importante, puisqu'il n'existe en France d'inscription d'office que pour les jeunes majeurs de 18 ans. En l'espèce, le but est de s'assurer que les électeurs qui relèvent du corps électoral référendaire puissent effectivement voter, même s'ils négligent de demander leur inscription sur les listes électorales.
Pour être inscrit sur la liste électorale spéciale à la consultation, il faut d'abord être inscrit sur la liste électorale générale. L'article 1er du projet de loi organique prévoit donc l'inscription d'office sur cette dernière des électeurs qui remplissent les conditions de domicile ou de résidence de droit commun.
L'article 218 de la loi organique du 19 mars 1999 dispose en outre que les électeurs nés en Nouvelle-Calédonie qui y ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux sont admis à participer à la consultation d'autodétermination. Toutefois, les critères d'appréciation du centre des intérêts matériels et moraux n'étaient pas précisés. Dès lors, il était très difficile d'obtenir son inscription à ce titre, et cela nécessitait de produire un important dossier. Je précise que la notion de centre des intérêts matériels et moraux est inspirée du droit de la fonction publique.
Après les progrès déjà accomplis en 2015, les parties signataires de l'Accord de Nouméa de 1998 ont décidé, le 2 novembre 2017, qu'un électeur né en Nouvelle-Calédonie ayant résidé au moins trois ans en Nouvelle-Calédonie serait présumé y avoir le centre de ses intérêts matériels et moraux. On substitue à l'appréciation qualitative, reposant sur un faisceau d'indices, un critère de durée. Je n'ai pas estimé nécessaire de soulever de contradiction entre le critère du centre des intérêts matériels et moraux et celui de la durée de résidence.
Je vous proposerai donc d'approuver cette innovation. L'article 2 est toutefois un peu particulier, car si la loi organique de 2015 prévoyait une inscription d'office dès lors qu'un certain nombre de conditions étaient remplies, l'inscription n'est ici pas automatique. Par ailleurs, il s'agit d'une présomption simple. Il est aussi précisé que la commission chargée de l'établissement de la liste électorale spéciale à la consultation ne devra prendre en compte que les éléments fournis par l'État, c'est-à-dire ceux qui résultent du croisement de fichiers administratifs, le principal étant celui de la sécurité sociale. Les parties signataires ont convenu que ce dernier fichier était celui qui permettait de déterminer le plus sûrement la durée de présence sur le territoire. En cas de litige, il reviendra au juge de trancher.
Je ne vous proposerai pas de modifier l'équilibre de cet accord.
Le projet de loi organique prévoit également d'ouvrir des bureaux de vote délocalisés à Nouméa, à l'intention des électeurs inscrits sur les listes électorales de cinq communes insulaires qui résident habituellement sur la Grande Terre. Ils n'auront donc pas à retourner dans leur commune pour participer au référendum. La contrepartie de cette disposition est le resserrement des conditions d'exercice du vote par procuration. Par le passé, le recours massif à cette modalité de vote a induit le doute sur la sincérité de certains scrutins dans les îles Loyauté. Après un avis du Conseil d'État et un vote du Congrès de Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement a déposé un amendement sur cette question que nous examinerons tout à l'heure.
Je me suis rendu en Nouvelle-Calédonie avec Jacques Bigot pour 48 heures au début du mois de janvier, afin de m'assurer que le projet de loi organique correspondait à la volonté des parties calédoniennes. Il était moins coûteux pour la République que nous allions sur place plutôt que de faire venir toutes les personnes que nous souhaitions entendre...
Il est essentiel que le processus de la consultation, qui n'est pas dénué de risques y compris pour la concorde civile en Nouvelle-Calédonie, respecte scrupuleusement l'accord des parties quoi qu'on pense de la rigueur de sa traduction juridique. En droit français, la Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes, mais l'Accord de Nouméa est, en quelque sorte, au-dessus de la Constitution... Le Conseil constitutionnel se réfère à l'Accord pour s'assurer de la conformité de la loi organique à la Constitution, qui y renvoie. La question est à ce point sensible qu'il m'a paru nécessaire, en tant que rapporteur, de ne pas m'écarter de la volonté des Calédoniens.
L'enjeu pratique n'est pas considérable - nous sommes à la recherche de quelques milliers d'électeurs supplémentaires qui ne se sont pas manifestés pour voter -, mais l'enjeu politique pour la Nouvelle-Calédonie l'est assurément.