Intervention de Marie Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 7 février 2018 à 9h40
Projet de loi organique relatif à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la nouvelle-calédonie — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier, rapporteur :

Ce sujet est lourd, grave et difficile. L'année 2017 aura été marquée par de nombreuses affaires de violences sexuelles.

Au mois d'octobre 2017, la commission des lois a créé en son sein un groupe de travail pluraliste sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, afin d'établir un état des lieux partagé et de mener une réflexion sereine et approfondie. Ce groupe était composé de M. Arnaud de Belenet, Mme Esther Benbassa, M. François-Noël Buffet, Mmes Maryse Carrère, Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie et M. Dany Wattebled. Ces travaux ont été menés en concertation avec la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, Mme Annick Billon, présidente de la délégation, et Mme Laurence Rossignol, qui nous a fait part de tout son savoir sur ce sujet particulièrement lourd.

Le groupe de travail a souhaité évaluer le cadre législatif, l'organisation et les moyens de notre politique de lutte contre les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, ainsi que l'offre de prise en charge des mineurs. Sur la base de ce diagnostic, nous avons choisi de vous présenter une stratégie globale.

Nous avons effectué quatre déplacements, nous avons enregistré 426 témoignages sur l'espace participatif ouvert sur le site du Sénat et avons entendu plus de 120 personnes, soit plus de 50 heures d'auditions. Notre approche a été sereine, large et approfondie.

Combien de victimes, combien d'enfants concernés ? Il n'y a pas de réponse à cette question, car il n'existe pas d'étude approfondie sur le sujet. Nous disposons de quelques chiffres qui émanent de l'enquête Violences et rapports de genre (Virage) et de données judiciaires. Nous avons ainsi appris que plus de 49 % des condamnés en 2016 pour des faits de viol sur mineurs sont eux-mêmes mineurs ; plus de 87 % des victimes connaissent leur agresseur et 44 % des mis en cause sont mineurs. La plupart de ces drames se passe donc dans un cadre intrafamilial ou familier.

Nous nous sommes également rendu compte que l'arsenal législatif était étoffé, voire complet. En revanche, il nous est apparu que se posait un problème dans son utilisation par les magistrats et les professionnels de santé. Plus que modifier la loi, il faut d'abord changer les mentalités.

L'atteinte sexuelle est un comportement encadré par l'article 227-25 du code pénal : aucun majeur n'a le droit de toucher un cheveu d'un mineur de 15 ans, sous peine d'amende et de prison. L'agression sexuelle et le viol sont caractérisés lorsqu'il y a contrainte, menace, surprise ou violence, la différence entre les deux étant que le viol implique pénétration. Or, le viol n'est pas toujours facile à démontrer, même par des professionnels de santé, car les sphincters des jeunes enfants sont élastiques. Je suis désolée mais je vais être obligée d'utiliser des mots crus pour vous décrire les résultats de notre travail.

Nos réflexions s'appuient sur quatre piliers : prévenir efficacement les violences sexuelles à l'encontre des mineurs ; faciliter la libération et l'accueil de la parole ; réformer la réponse pénale ; améliorer la prise en charge des victimes.

Pour prévenir les violences sexuelles à l'égard des mineurs, l'éducation est primordiale. Pour recenser les violences sexuelles, nous ne disposions que des données des associations : selon elles, 20 % d'une classe d'âge est victime d'atteintes sexuelles. Ce taux est tellement impressionnant que nous proposons de mener une étude circonstanciée.

Notre proposition n° 2 a trait à Internet et à la pornographie. Internet est un iceberg, c'est un royaume sans roi ni frontière. Les enfants disposent d'outils dont ils connaissent le fonctionnement, mais pas les parents. La surveillance est quasiment impossible. Les téléphones portables permettent aux enfants d'aller sur les réseaux sociaux. Pour être populaires, les jeunes utilisent Snapchat et prennent des photos de leur sexe, de leurs seins. Une fois que ces photos partent sur Internet, impossible de les arrêter. Ensuite, on se sert de ces photos pour se venger d'eux sur les réseaux sociaux.

Un chef de service d'un hôpital nous a dit qu'il avait interdit les téléphones portables dans son service : ce n'était pas exagéré, car certains enfants prenaient des photos des autres malades de leur âge sur leurs lits et les envoyaient sur les réseaux. Il n'y a donc aucune notion de pudeur, même dans la maladie.

Il existe aussi des sites de rencontre pour adolescents avec des mots et des expressions particulièrement crus.

Pour accéder à la pornographie, il faut taper sept lettres : youporn. Un enfant sur deux de moins de 10 ans a déjà eu un contact avec la pornographie, et à 14 ans et 5 mois, un adolescent a déjà vu un film pornographique. Ces films donnent l'image de relations sexuelles dénuées de toute tendresse et qui relèvent de la performance. Les ados ont envie de faire la même chose et, comme ils n'y parviennent pas, ils se retrouvent dans un complexe d'échec. En outre, l'addiction à ces films est réelle, même pour des couples adultes.

La pédopornographie est sans doute ce qu'il y a de plus noir dans l'homme. Lorsque nous sommes allés à l'Office central pour la répression des violences aux personnes, nous avons vu des images dont on ne peut sortir indemne. Nous n'avons pas voulu visionner de films. Il y a plusieurs profils de pédophiles : celui de 18 ans, qui ne se rend pas compte de la réalité des choses et qui s'étonne lorsque les gendarmes sonnent à sa porte. Il existe aussi des pédophiles collectionneurs, qui ont jusqu'à 500 000 photos sur leur disque dur, mais qui en veulent toujours de plus rares, de plus précieuses et ils commanditent des scènes de viols, notamment aux Philippines. Les photos de nos enfants sur ces sites sont récupérées par ces prédateurs. 92 000 adresses IP de prédateurs sont repérées chaque année en France.

Dans Terre des hommes, Saint Exupéry fait dire à Guillaumet : « Ce que j'ai fait, aucune bête ne l'aurait fait. » Une bête ne fait pas ce que nous avons vu sur les écrans. Il faut trouver le moyen d'arrêter ce cycle infernal de la pédopornographie, mais, pour l'instant, nous sommes démunis.

La proposition n° 3 propose de garantir les moyens d'assurer sur tout le territoire l'obligation légale d'éducation à la sexualité. Il faut en parler à l'école afin que les jeunes soient mieux informés et ne se contentent pas du « Tu n'es pas cap' », qui fait faire n'importe quoi, au détour d'un coin sombre.

La proposition n° 4 « Sensibiliser l'ensemble des classes d'âge, des enfants aux parents, à la question des violences sexuelles et à l'interdit de l'inceste » est rattachée à la parentalité. L'éducation est le ciment de la société de demain. Il faut que le couple mère-enfant soit pris en charge lorsqu'il y a des signaux faibles. Il faut dire à une maman qu'elle ne calmera pas son petit garçon de trois ans en lui faisant une fellation. Il faut dire à un papa qu'il est interdit de se masturber dans le bain avec sa petite fille, et qu'il n'est pas permis de changer la couche de son enfant en lui faisant des caresses. Nous devons poser ces interdits.

Quelques exemples : un enfant de quatre ans est signalé à l'école car il a un comportement un peu particulier. On arrive à savoir qu'il sait très précisément comment sa petite soeur a été conçue. Le gendarme interroge le père qui lui répond : « il faudra bien qu'il le sache un jour, autant que ce soit avec nous. »

Un papa fait la sieste et est réveillé par sa fille de huit ans qui lui fait une fellation. Horrifié, il va à la gendarmerie pour faire un signalement, et la petite fille lui explique que c'est son cousin de 10 ans qui lui a dit que pour faire plaisir aux hommes, il fallait procéder de la sorte. La petite fille voulait faire plaisir à son papa, au même titre qu'elle pouvait lui offrir des fleurs des champs. Voilà pourquoi en CE2, des garçons demandent des fellations à leurs camarades de classe.

Tout cela existe, tout cela est à nos portes, en 2018.

Chez les adolescents, il faut expliquer qu'on ne se prostitue pas pour un téléphone portable. Le mot « dignité » est absent ; personne ne le leur a inculqué.

Vous le voyez, nous partons de loin...

Cette étude de terrain de quatre mois nous a permis d'y voir plus clair. Peut-être faut-il laisser entrer plus largement les associations de victimes dans les écoles pour sauver nos enfants.

N'oublions pas que l'inceste se traduit souvent par l'omerta. L'enfant n'a pas les moyens de savoir que cela ne se fait pas. L'inceste est souvent bien préparé par le prédateur. Cela commence par un jeu et, petit à petit, le passage à l'acte est effectué. Ne croyons pas non plus que les violences sexuelles n'ont lieu que dans les milieux défavorisés. L'inceste se retrouve dans tous les milieux, y compris les plus privilégiés.

La proposition n° 11 « Garantir à chaque victime le droit de voir sa plainte enregistrée et d'accéder, en tout point du territoire, à des structures adaptées » est importante. Les structures adaptées sont les unités médico-judiciaires (UMJ) que nous avons visitées et où travaillent ensemble la justice, la police et les professionnels de santé. Il convient d'accorder un crédit temporaire de bonne foi aux victimes même s'il arrive que des enfants servent de monnaie d'échange dans les couples qui se séparent : certains sont manipulés et il faut pouvoir décrypter leur langage. L'enfant ne ment pas dans sa souffrance, mais il peut très bien dire sa vérité qui n'est pas la vérité. La sexualité de l'enfant existe, mais elle existe pour l'enfant, avec les enfants. En aucun cas il ne s'agit de la même sexualité que l'adulte. Dans les UMJ, il y a deux poupées : une fille et un garçon. Lorsqu'on soulève la jupe ou qu'on enlève le pantalon, il y a des sexes d'adultes. On imagine le choc des enfants lorsqu'ils sont confrontés à de tels actes et les dégâts provoqués à court, moyen et long termes.

La proposition n°13 « Instaurer, pour les faits de viol, une présomption simple de contrainte fondée sur l'incapacité de discernement du mineur ou la différence d'âge entre le mineur et l'auteur » a pour but d'améliorer la répression pénale. Cette proposition instaure une présomption simple de contrainte. La présomption de non-consentement n'a pas de sens. Le discernement n'a pas d'âge : de multiples facteurs entrent en ligne de compte.

J'en arrive à la proposition n° 16 « Allonger de dix ans les délais de prescription de l'action publique de certains crimes et délits sexuels commis à l'encontre de mineurs, tout en soulignant la nécessité de dénoncer les faits le plus tôt possible ». Lorsque nous avons mené notre travail, deux questions revenaient sans cesse : l'âge de la majorité sexuelle et la prescription. Nous proposons d'allonger de dix ans les délais de prescription, tout en sachant qu'il s'agit d'un symbole et que la preuve sera extrêmement difficile à apporter au bout de 30 ans. Le fait d'allonger le délai de prescription prend en compte les évolutions de la société : les femmes n'ont plus leur premier enfant à 20 ans, mais à 32 ans. Lorsqu'on a subi des violences sexuelles, avec l'allongement de la prescription, les faits pourront être dénoncés jusqu'à l'âge de 48 ans pour un crime.

Beaucoup de scientifiques ne reconnaissent pas l'amnésie post-traumatique. En fait, il s'agit d'un déni, enfoui dans la mémoire, et qui ressort lorsque le patient n'a plus besoin du déni pour sa survie. Les médecins ne peuvent lier l'atrophie de l'hippocampe aux traumatismes. Le cerveau humain peut se construire sur un déni pour organiser la survie de la victime. Cela explique sans doute des prises de conscience si tardives.

Enfin, nous proposons de disjoindre la prise en charge des victimes d'infractions sexuelles du procès pénal. La victime a bien compris que l'auteur n'allait pas forcement se retrouver en prison. Elle veut avant tout être reconnue comme victime, et non pas installée dans le statut de victime. On n'existe pas parce qu'on est une victime ; on se construit autour d'une résilience qui se met en place lorsque l'enquêteur affirme à la victime qu'il la croit. Le parquet de Paris accueille ainsi toutes les plaintes. Ce n'est pas parce que l'imaginaire et les faux souvenirs interviennent qu'il faut rejeter les victimes.

Il convient d'orienter systématiquement les victimes vers des personnels formés. Un nouveau traumatisme s'ajoute au premier lorsque la victime est mal reçue.

En conclusion, notre priorité a été de prendre en compte avant tout l'intérêt de l'enfant. En France, tous les soirs, un enfant ne passera pas une nuit tranquille. Nous devons protéger les victimes mineures. À nous de faire prendre conscience aux institutions de l'ampleur de la tâche. À nous aussi de leur donner les moyens de mener leurs actions. (Applaudissements)

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