La question de la blockchain, que vous avez distinguée à juste titre des crypto-monnaies qui n'en sont qu'un usage possible, est transversale. Le Trésor a concentré son attention sur ses applications dans le secteur financier, à travers le double prisme des opportunités et des enjeux réglementaires.
Notre approche consiste, comme pour la Fintech, à permettre et encourager l'innovation dans un cadre assez robuste pour assurer la stabilité financière, la protection du consommateur et la lutte contre le blanchiment. On oppose souvent règlementation et innovation, mais les deux sont à mon sens complémentaires ; au demeurant, les acteurs du marché sont eux-mêmes demandeurs de clarté réglementaire.
Le Gouvernement souhaite rendre la norme évolutive et flexible pour assurer la neutralité technologique du droit. Cela consiste, lorsque de nouvelles applications se développent, à faire en sorte que rien ne bloque indûment ce développement, tout en garantissant un cadre réglementaire robuste. Cette approche nous semble préférable à celle dite du « bac à sable » qui a cours, notamment, au Royaume-Uni : c'est une sorte de franchise réglementaire accordée aux acteurs pour leur permettre de se développer - mais jusqu'où ? - avant de mettre en place un cadre de droit commun. Le « bac à sable » crée, chez les acteurs, l'illusion qu'il n'y a pas de règle ; et surtout, l'expérience montre que l'on ne sait pas gérer la transition entre la période dérégulée et le retour à la réglementation de droit commun. Nous préférons ajuster le droit de manière dynamique.
La réglementation en matière de services financiers a connu deux évolutions récentes. D'abord, l'ordonnance de 2016 sur le financement participatif a créé une nouvelle catégorie de bons de caisse, les « minibons », destinés au financement des petites entreprises, qui peuvent être émis et échangés dans le cadre d'une blockchain. L'ordonnance du 8 décembre 2017, issue d'une initiative du Parlement, permet quant à elle le transfert de certains titres financiers comme les parts de fonds, les titres de créance négociables, les actions et obligations non cotées, au moyen d'une blockchain. Elle entrera en vigueur l'été prochain.
Cette ordonnance autorise ainsi les acteurs à se passer de tiers de confiance, dès lors que la transaction s'effectue dans un cadre conforme aux exigences du législateur. C'est une première en Europe ; elle permet d'expérimenter la blockchain sur des marchés représentant des volumes très importants, de l'ordre de 400 milliards d'euros. Nous souhaitons qu'elle soit reprise au niveau communautaire. En effet, nous avons réglementé là où le droit européen était muet, c'est-à-dire sur les produits non cotés ou les parts de fonds ; pour les autres produits, le droit communautaire impose un tiers de confiance.
Ces évolutions sont un vecteur d'innovation et de sécurisation - car les exigences en la matière sont substantielles - et un facteur de professionnalisation : pour ce type de titres, les échanges sont souvent manuels, sur titre papier ou sur feuille Excel.
Le Trésor travaille avec l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur les jetons ou tokens, pour lesquels les enjeux sont très importants. Nous tirerons avec l'AMF les conséquences de la consultation sur les Initial Coin Offerings (ICO) menée à l'automne. Sur les crypto-actifs en général, le ministre de l'économie et des finances a confié à Jean-Pierre Landau, ancien sous-gouverneur de la Banque de France, une mission pour dresser un état des lieux du phénomène. Enfin, les ministres français et allemand des finances et les gouverneurs des banques centrales de ces deux pays ont écrit au G20 pour porter le sujet sur la scène internationale.