Intervention de Benoît de Juvigny

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 février 2018 à 9h35
Les nouveaux usages et la régulation des chaînes de blocs blockchain — Audition

Benoît de Juvigny, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers :

Deux exemples de cette technologie blockchain, entre régulation et soutien à l'innovation : le projet de réorganisation complète des 12 000 fonds opérant en France dans le post-marché, porté par la société SETL associée à cinq sociétés françaises de gestion, et le projet Liquidshare qui vise à mettre en place un post-marché des PME plus économique et rapide. Il y a aussi des exemples plus négatifs, comme les plateformes de dérivés sur bitcoin qui escroquent le Français moyen en promettant des rendements surréalistes et se développent à une très grande vitesse. Les nouvelles technologies apportent le meilleur et le pire.

Nous avons vu, ces derniers mois, le développement d'Initial Coin Offering (ICO), un nouveau type de levée de fonds reposant sur des jetons (tokens) qui sont des codes informatiques créant des actifs numériques plus ou moins échangeables sur la blockchain. En moins d'un an, 21 porteurs de projets d'ICO ont sollicité l'AMF, dont quatre ont d'ores et déjà levé, grâce à cette technologie, 50 millions d'euros ; d'autres arrivent, qui représentent 350 millions d'euros en levées de fonds cumulées. Il convient, pour l'accompagnement de ces démarches, d'entamer une réflexion juridique. Nous avons lancé une grande consultation publique sur ce thème au mois d'octobre dernier, en rappelant les risques associés et en proposant des qualifications juridiques à droit constant et des pistes d'évolution réglementaire.

En droit existant, assimiler les ICO à des titres financiers - de capital ou de créance - n'est pas l'approche qui fonctionne le mieux, car elle implique de leur imposer un prospectus qui n'est pas adapté à leur activité. Une deuxième piste, les règles de gestion collectives, manque elle aussi de pertinence pour ce cas. La troisième possibilité, plus intéressante, est la catégorie des biens divers, créée voici trente ans et complétée par la loi dite sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique « Sapin 2 », qui vise des projets ou actifs n'entrant pas dans les catégories traditionnelles. Il est possible d'y faire entrer les levées de fonds par ICO, mais cela induit des documents d'enregistrement à soumettre à l'AMF. De plus, il est très facile pour les porteurs de projet d'échapper à cette catégorie : un bien divers « étendu », tel que créé par la loi Sapin 2, se caractérise par la promesse d'un rendement financier direct ou indirect ou un effet économique similaire. Il suffit de ne pas le présenter ainsi pour échapper à la réglementation.

Les tokens à droit constant restent donc des objets juridiques non identifiés. Notre consultation publique a reçu un total sans précédent de 82 réponses, venues de tous horizons : porteurs de projets, avocats, banques, acteurs étrangers, etc. La France est en pointe dans la réflexion sur ce sujet. Nous avons formulé plusieurs propositions : rester au niveau non réglementaire d'un code de bonne conduite sponsorisé par l'AMF, mais cette solution a reçu un accueil mitigé des répondants ; ou réguler, soit par une loi s'appliquant à tous les porteurs d'ICO, soit par un cadre législatif optionnel. Cette dernière option ayant recueilli le plus de suffrages, le collège de l'AMF s'en inspirera probablement pour proposer une évolution législative au Gouvernement et au Parlement.

Qualifier juridiquement les tokens n'est donc pas la bonne approche. En revanche, on peut demander au porteur de projet de présenter des white papers - les documents de présentation des ICO -, de se doter d'une personne morale identifiable, de décrire précisément les risques et droits conférés par le token : soit un droit d'usage des projets développés, soit des perspectives de revente sur un marché secondaire, parfois associées à des droits financiers ou de gouvernance sur le projet. Il sera beaucoup plus difficile de définir ce marché secondaire proposé, et les garanties afférentes.

Autre question complexe : quel type d'expertise informatique peut-on exiger dans ces projets ?

Enfin, il faudra identifier les investisseurs dans un registre, pour les besoins de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, et prévoir une sorte de séquestre, sous la forme d'un portefeuille électronique géré en ligne : il est important de fixer des règles du jeu claires pour savoir où vont aller les fonds levés.

Les résultats de la consultation sont en cours de dépouillement ; vous serez probablement sollicités à l'issue de ce processus, dans les prochaines semaines ou les prochains mois.

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