Je suis ravi que vous ayez pensé à nous dans le cadre de vos travaux. Notre éclairage portera sur le secteur du textile, qui a beaucoup souffert depuis les années 1990.
La marque a été créée en 2011, par Guillaume Gibault, que j'ai rejoint deux ans plus tard en tant que directeur général. L'entreprise a fait en 2017 un peu plus de 13 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous employons directement une soixantaine de personnes, dont une quarantaine a été recrutée les deux dernières années. Par ailleurs, nous avons calculé que nous avons soutenu ou créé 200 emplois chez nos partenaires. Nous en sommes fiers.
Nous avons des ambitions, pour grandir et continuer à fabriquer en France. Nous fabriquons exclusivement en France, y compris le packaging et le moindre détail de nos produits. C'est un parti pris dès le début. Nous avons souhaité nous appuyer sur le savoir-faire français dans le textile, un secteur qui était assez poussiéreux en France, en particulier pour les sous-vêtements.
Nous sommes une marque digitale : l'une de nos innovations a été d'utiliser, dès le départ, Internet comme notre principal canal de vente et d'échange avec nos clients. Il nous a permis de développer un modèle économique rentable, malgré nos marges qui sont inférieures à celles d'une entreprise qui produit à l'autre bout du monde.
Ce n'est pas un modèle franco-français, il existe aussi, dans les pays anglo-saxons, des marques digitales verticalement intégrées, qui contrôlent leur image, leur distribution et leur production.
Pour répondre à vos questions, aujourd'hui, la question de l'innovation technologique n'a pas été abordée dans le secteur du textile. Nous avons une cinquantaine de partenaires industriels en France. Il s'agit de petites PME de 30 à 100 personnes dotées d'un appareillage âgé de 50 à 100 ans. Les personnes qui utilisent ces machines ont trente à quarante ans d'expérience. Il n'y a pas d'améliorations technologiques, alors que, dans le secteur automobile, on a beaucoup investi et automatisé la production, pour la maintenir en France. Cela n'a pas été le cas pour le textile, et il s'agit d'un enjeu de développement.
Sur les 100 millions de sous-vêtements achetés en France chaque année pour les hommes, moins de 5 millions y sont produits : nous voulons faire grossir cette part. Il ne s'agit pas d'être particulièrement patriote, mais de croire en un autre modèle de fabrication et de consommation, qui s'appuie sur un circuit court. Si tout le monde n'est pas prêt à dépenser trente euros aujourd'hui pour un sous-vêtement, 60 % des gens sont prêts à payer plus cher - certes 10 % de plus, et non trois fois le prix d'un produit de grande distribution - pour acheter un produit fabriqué en France.
Le sens de l'achat et l'origine de la production sont de réels sujets, dans la mesure où l'industrie textile est la deuxième plus polluante après l'industrie pétrochimique. Des scandales ont été mis au jour dans la presse à ce sujet.
Nous avons commencé à nous intéresser à l'innovation technologique dans le processus de fabrication, même si nous ne sommes pas en première ligne car nous ne possédons pas d'atelier en propre. Nous y travaillons avec nos partenaires, par exemple dans le cadre du R3iLab. Des start-ups commencent également à y travailler.
Arriver à baisser le coût de fabrication d'un produit est un enjeu important, car notre industrie manufacturière produit à un coût trois fois plus élevé qu'en Afrique du Nord, et cinq à six fois plus élevé qu'en Asie. Il existe aujourd'hui des pistes pour fabriquer les produits à un coût près de deux fois moins important.
Le secteur textile représentait 400 000 emplois dans les années 1990, et 60 000 aujourd'hui. Il n'existe plus véritablement de filière de formation. Il n'y a plus de techniciens pour entretenir les machines, et les mécaniciens ont déjà un certain âge. Les entreprises recrutent des titulaires d'un CAP menuiserie, ou d'une formation qui n'a rien à voir, et doivent ensuite les former pendant 12 à 18 mois pour les rendre productifs. Cette question devient un réel enjeu pour nous, car nos besoins doublent, alors qu'il n'est pas facile de doubler la capacité d'entreprises de 30 à 100 salariés. Ces ateliers procèdent à de grandes vagues de recrutement, mais il faut encore prévoir 12 à 18 mois de formation.
Nous avons aussi des motifs de satisfaction et d'optimisme. La France est reconnue pour sa mode et sa créativité, et nous pouvons nous appuyer sur le savoir-faire français dans le modélisme et le stylisme. Cela ouvre des portes à l'international. La « marque France » est la sixième marque nationale.
Nous n'avons pas vraiment rencontré de difficultés dans le processus de création de l'entreprise. Le coût du travail peut être un frein, mais il est le même pour tous. Il existe des financements, publics ou privés, ce qui est un véritable atout. Nous avons toujours été aidés et soutenus dans ce domaine, même s'il y a toujours des sujets de trésorerie lorsque l'on est une entreprise en très forte croissance.
Sur le plan de l'environnement juridique, il existe des lourdeurs au démarrage, car les mêmes normes s'appliquent à toutes les entreprises, qu'elles emploient 10 ou 500 salariés. Cela oblige à avoir recours à des avocats spécialisés en droit social et en droit des affaires, ce qui représente un coût important.
Vous évoquiez la Dordogne. La production s'effectue effectivement dans plusieurs villages, où sont implantés nos partenaires, souvent dans d'anciens bassins miniers. Ce n'est pas un frein ou une organisation incompatible avec la mondialisation. La proximité de la fabrication permet une certaine agilité, car elle permet d'être livré en quelques jours, de relancer une production très rapidement, etc.
Il n'existe pas vraiment de regroupement dans le secteur textile. Les ateliers emploient en moyenne une centaine de personnes, et le plus gros d'entre eux en emploie 200. Nous ne faisons pas de production de masse, mais jouons sur la personnalisation du produit, et sur l'adaptation de la production en fonction des besoins. Nous ne sommes pas dans une logique de diminution des prix et de soldes, qui est l'un des torts du secteur du textile aujourd'hui : 80 % des volumes y sont vendus à 40 % ou 50 % de réduction, et une grande partie des surproductions sont brûlées, y compris dans le secteur du luxe. Ce n'est pas notre modèle : nous essayons d'acheter au plus juste les quantités dont nous avons besoin. Ainsi, nous avons un modèle plus responsable, plus éthique et plus vertueux, auquel les consommateurs commencent à adhérer.