Merci de nous avoir fait partager votre expérience et vos compétences, et de votre capacité à intégrer toutes les questions qui vous ont été posées. Ce précieux éclairage sera fort utile à notre rapport sur la compétitivité des entreprises.
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Notre mission a pour ambition, au-delà d'Alstom, d'évaluer la stratégie industrielle de notre pays. Or, cette stratégie ne doit pas concerner seulement les grands groupes, mais également les PME et les ETI.
En quelques années, vous avez créé une entreprise sur un segment de l'industrie textile - le sous-vêtement masculin - en adoptant une stratégie de communication « impertinente » mais aussi en mettant en avant la production en France. C'est aujourd'hui sur votre expérience que nous voulons vous interroger, et sur les pistes qui, selon vous, devraient être davantage explorées à l'avenir pour retrouver un véritable essor industriel.
Voici mes interrogations. En France, aujourd'hui, peut-on être compétitif dans un secteur où l'innovation technologique n'est pas nécessairement le levier fondamental de la croissance, et où domine une logique de « bas coûts » ? Dans l'affirmative, cette compétitivité peut-elle dépasser la compétitivité « de niche », c'est-à-dire s'exercer au-delà d'une gamme de produits très restreinte destiné à un public en nombre très limité ?
Au cours de votre processus de création d'entreprise, puis de développement industriel, quelles sont les difficultés majeures que vous avez rencontrées ? Comment les avez-vous résolues ? Comment éviter que d'autres PME y soient confrontées ?
Dans l'environnement juridique, ou en termes de formation, quelle besoin d'évolution ressentez-vous ?
Une partie de votre production est assurée dans un village de la Dordogne. À l'heure de la mondialisation, et alors que nombre d'experts poussent à un regroupement des sites d'entreprises sur des points localisés du territoire, comment de petites entités de fabrication disséminées sur le territoire peuvent-elles rester compétitives ?
En termes de projection à l'international, avez-vous fait appel à des dispositifs d'aides publics ou parapublics particuliers ? Ces dispositifs, d'une manière générale, vous semblent-ils pertinents ?
Je suis ravi que vous ayez pensé à nous dans le cadre de vos travaux. Notre éclairage portera sur le secteur du textile, qui a beaucoup souffert depuis les années 1990.
La marque a été créée en 2011, par Guillaume Gibault, que j'ai rejoint deux ans plus tard en tant que directeur général. L'entreprise a fait en 2017 un peu plus de 13 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous employons directement une soixantaine de personnes, dont une quarantaine a été recrutée les deux dernières années. Par ailleurs, nous avons calculé que nous avons soutenu ou créé 200 emplois chez nos partenaires. Nous en sommes fiers.
Nous avons des ambitions, pour grandir et continuer à fabriquer en France. Nous fabriquons exclusivement en France, y compris le packaging et le moindre détail de nos produits. C'est un parti pris dès le début. Nous avons souhaité nous appuyer sur le savoir-faire français dans le textile, un secteur qui était assez poussiéreux en France, en particulier pour les sous-vêtements.
Nous sommes une marque digitale : l'une de nos innovations a été d'utiliser, dès le départ, Internet comme notre principal canal de vente et d'échange avec nos clients. Il nous a permis de développer un modèle économique rentable, malgré nos marges qui sont inférieures à celles d'une entreprise qui produit à l'autre bout du monde.
Ce n'est pas un modèle franco-français, il existe aussi, dans les pays anglo-saxons, des marques digitales verticalement intégrées, qui contrôlent leur image, leur distribution et leur production.
Pour répondre à vos questions, aujourd'hui, la question de l'innovation technologique n'a pas été abordée dans le secteur du textile. Nous avons une cinquantaine de partenaires industriels en France. Il s'agit de petites PME de 30 à 100 personnes dotées d'un appareillage âgé de 50 à 100 ans. Les personnes qui utilisent ces machines ont trente à quarante ans d'expérience. Il n'y a pas d'améliorations technologiques, alors que, dans le secteur automobile, on a beaucoup investi et automatisé la production, pour la maintenir en France. Cela n'a pas été le cas pour le textile, et il s'agit d'un enjeu de développement.
Sur les 100 millions de sous-vêtements achetés en France chaque année pour les hommes, moins de 5 millions y sont produits : nous voulons faire grossir cette part. Il ne s'agit pas d'être particulièrement patriote, mais de croire en un autre modèle de fabrication et de consommation, qui s'appuie sur un circuit court. Si tout le monde n'est pas prêt à dépenser trente euros aujourd'hui pour un sous-vêtement, 60 % des gens sont prêts à payer plus cher - certes 10 % de plus, et non trois fois le prix d'un produit de grande distribution - pour acheter un produit fabriqué en France.
Le sens de l'achat et l'origine de la production sont de réels sujets, dans la mesure où l'industrie textile est la deuxième plus polluante après l'industrie pétrochimique. Des scandales ont été mis au jour dans la presse à ce sujet.
Nous avons commencé à nous intéresser à l'innovation technologique dans le processus de fabrication, même si nous ne sommes pas en première ligne car nous ne possédons pas d'atelier en propre. Nous y travaillons avec nos partenaires, par exemple dans le cadre du R3iLab. Des start-ups commencent également à y travailler.
Arriver à baisser le coût de fabrication d'un produit est un enjeu important, car notre industrie manufacturière produit à un coût trois fois plus élevé qu'en Afrique du Nord, et cinq à six fois plus élevé qu'en Asie. Il existe aujourd'hui des pistes pour fabriquer les produits à un coût près de deux fois moins important.
Le secteur textile représentait 400 000 emplois dans les années 1990, et 60 000 aujourd'hui. Il n'existe plus véritablement de filière de formation. Il n'y a plus de techniciens pour entretenir les machines, et les mécaniciens ont déjà un certain âge. Les entreprises recrutent des titulaires d'un CAP menuiserie, ou d'une formation qui n'a rien à voir, et doivent ensuite les former pendant 12 à 18 mois pour les rendre productifs. Cette question devient un réel enjeu pour nous, car nos besoins doublent, alors qu'il n'est pas facile de doubler la capacité d'entreprises de 30 à 100 salariés. Ces ateliers procèdent à de grandes vagues de recrutement, mais il faut encore prévoir 12 à 18 mois de formation.
Nous avons aussi des motifs de satisfaction et d'optimisme. La France est reconnue pour sa mode et sa créativité, et nous pouvons nous appuyer sur le savoir-faire français dans le modélisme et le stylisme. Cela ouvre des portes à l'international. La « marque France » est la sixième marque nationale.
Nous n'avons pas vraiment rencontré de difficultés dans le processus de création de l'entreprise. Le coût du travail peut être un frein, mais il est le même pour tous. Il existe des financements, publics ou privés, ce qui est un véritable atout. Nous avons toujours été aidés et soutenus dans ce domaine, même s'il y a toujours des sujets de trésorerie lorsque l'on est une entreprise en très forte croissance.
Sur le plan de l'environnement juridique, il existe des lourdeurs au démarrage, car les mêmes normes s'appliquent à toutes les entreprises, qu'elles emploient 10 ou 500 salariés. Cela oblige à avoir recours à des avocats spécialisés en droit social et en droit des affaires, ce qui représente un coût important.
Vous évoquiez la Dordogne. La production s'effectue effectivement dans plusieurs villages, où sont implantés nos partenaires, souvent dans d'anciens bassins miniers. Ce n'est pas un frein ou une organisation incompatible avec la mondialisation. La proximité de la fabrication permet une certaine agilité, car elle permet d'être livré en quelques jours, de relancer une production très rapidement, etc.
Il n'existe pas vraiment de regroupement dans le secteur textile. Les ateliers emploient en moyenne une centaine de personnes, et le plus gros d'entre eux en emploie 200. Nous ne faisons pas de production de masse, mais jouons sur la personnalisation du produit, et sur l'adaptation de la production en fonction des besoins. Nous ne sommes pas dans une logique de diminution des prix et de soldes, qui est l'un des torts du secteur du textile aujourd'hui : 80 % des volumes y sont vendus à 40 % ou 50 % de réduction, et une grande partie des surproductions sont brûlées, y compris dans le secteur du luxe. Ce n'est pas notre modèle : nous essayons d'acheter au plus juste les quantités dont nous avons besoin. Ainsi, nous avons un modèle plus responsable, plus éthique et plus vertueux, auquel les consommateurs commencent à adhérer.
Notre site Internet, qui est le seul à vendre nos produits, représente 70 % des ventes. Nous avons également sept boutiques et devrions en ouvrir cinq autres dans les prochains mois.
Le produit se prête très bien à la vente par Internet : il est léger, et il n'est pas nécessaire de l'essayer une fois que l'on connaît sa taille. Nous élargissons la gamme vers le prêt-à-porter. Nous avons peu recours aux revendeurs, en raison de nos faibles marges.
Vous êtes emblématique d'une niche qui peut encore se développer dans nos territoires. Vous me faites penser aux chaussettes Broussaud, dans le Limousin, qui ont peut-être moins pris le tournant d'Internet, ou aux sous-vêtements Allande, fabriqués en Haute-Vienne, avec un mode de diffusion encore différent.
Vous avez évoqué vos points forts : votre agilité, le savoir-faire de vos personnels et leur fidélité à votre maison. Qu'attendez-vous d'un État stratège ? Du législateur ? Je pense aux enjeux spécifiques rencontrés par les TPE sur les territoires.
Vos produits sont certes un peu cher, mais possèdent de nombreux atouts : la qualité, la modernité et le confort.
Nous avons parlé de la Haute-Vienne, visitons maintenant l'Alsace ! Nous avons la chance d'avoir à Mulhouse un musée du textile, qui valorise l'histoire de cette industrie ; nous avons les nappes Beauvillé, qui équipent la présidence de la République, les chaussettes Labonal... L'Alsace héberge aussi l'entreprise Schlumberger, qui produit des machines textiles vendues dans le monde entier. Dans l'est, et particulièrement dans la vallée vosgienne, l'industrie textile est donc très présente.
Votre profession est-elle organisée ? Existe-t-il de l'entraide ou, au contraire, chacun reste-t-il trop dans sa niche pour qu'une véritable synergie puisse être créée ?
Mme Pérol-Dumont a cité vos qualités : agilité, audace. J'y ajouterai le marketing : vous avez su trouver un slogan accrocheur, on retrouve le drapeau français sur tous vos produits... c'est formidable ! Selon vous, à quoi tient votre réussite ? Comment peut-on faciliter votre développement ?
Je m'interroge sur la création de votre entreprise. Vous avez dit vous être appuyés sur d'autres entreprises pour vous développer : tout cela n'est pas apparu ex nihilo.
Le textile a beaucoup souffert en France ; il faut aujourd'hui assurer la transmission du savoir-faire, des techniques. Or, d'après vos explications, vous vous appuyez sur des territoires dispersés, dépourvus de grosses industries, et où vous avez détecté des savoir-faire. Comment faites-vous pour assurer un même niveau de qualité à tous vos produits alors même qu'ils sont réalisés sur différents sites ? Comment les nouvelles générations sont-elles formées ?
Votre force vient beaucoup de votre marketing, et notamment votre slogan : « Si vous voulez changer le monde, commencez par changer de slip ! » ; tout de suite, cela accroche ! Ce qui est innovant, dans votre fonctionnement, c'est le mode de vente et le plan marketing ; la fabrication, elle, reste très traditionnelle. Votre expérience prouve qu'il est possible de s'appuyer sur de petites unités et du matériel qui n'est pas forcément neuf. Lors d'autres auditions, on nous a dit : « Les machines sont trop vieilles, elles ont 40 ans ». Pourtant, je crois que ces « vieilles bécanes » fonctionnent encore très bien - pourvu que l'on sache en assurer la maintenance. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez trouvé vos partenaires aux quatre coins de la France ? Comment pourrait-on pérenniser cette démarche ?
Tous nos partenaires industriels sont très spécialisés : nous avons des ateliers dédiés aux sous-vêtements, d'autres dans lesquels sont uniquement produites des chaussettes - c'est le cas pour notre partenariat avec l'entreprise Broussaud. Nos maillots de bain sont exclusivement confectionnés en Bretagne, entre Rennes et Saint-Malo, car c'est un des rares ateliers que nous avons pu identifier en France et qui soit capable de nous offrir la qualité que nous recherchons. Nos ateliers sont donc presque tous « mono-produit ». Certes, les machines sont vieilles, mais je vous confirme qu'elles fonctionnent encore très bien !
Peut-être parce qu'on y trouve moins d'informatique que dans des machines plus récentes ?
Effectivement ! Et on les aime, ces vieilles machines. Le problème est que le process reste très manuel : 75 % du prix de revient d'un produit correspond en réalité à la main d'oeuvre. Cela est considérable, d'autant que ce sont des tâches simples et très répétitives, sur lesquelles il faudrait certainement aller vers plus de robotisation. Cette robotisation n'est pas nécessairement synonyme de perte d'emploi : en optimisant le prix de fabrication, elle permettrait de rapatrier en France des volumes de production actuellement délocalisés. Par ailleurs, il est très difficile, aujourd'hui, de recruter : les filières sont certes un peu éteintes, mais surtout, les jeunes n'envisagent plus de travailler sur une machine toute leur carrière. Robotiser la production, c'est donc également attirer des profils de techniciens, une main d'oeuvre qualifiée. Je suis convaincu que le renouveau de l'industrie textile passe par la technologie, la modernisation et l'innovation.
Aujourd'hui, les choses fonctionnent bien avec les anciennes machines. Mais, alors même que nous sommes un donneur d'ordre de taille moyenne, nous allons bientôt rencontrer des problèmes de capacité. Nous avons désormais identifié la majorité des acteurs de la fabrication textile. Comme nous n'avons pas nos propres ateliers - pas encore du moins, car ce sera peut-être le sens de l'histoire -, nous travaillons avec ces acteurs - nous représentons pour certains 20 % à 30 % de leur chiffre d'affaires. Ces ateliers et unités de production sont d'accord pour dire qu'il faut déverrouiller la productivité. Là est l'enjeu et, pour le relever, il faudra intégrer plus de technologie.
Pour le moment, oui.
Bien sûr, disposer de nos propres unités de production est tentant. Mais c'est un autre métier, et jusqu'ici nous n'étions pas assez nombreux pour nous permettre cette diversification - nous étions 20 il y a deux ans, nous sommes aujourd'hui près de 60. Ce serait la suite logique de l'histoire, et nous y réfléchissons. Certaines des personnes avec lesquelles nous travaillons vieillissent, et ont cette envie de transmettre leur savoir-faire. Pour l'instant, nous ne sommes pas prêts à franchir le pas, ni d'un point de vue financier, ni d'un point de vue organisationnel.
Pourquoi avoir choisi de distribuer vos produits uniquement par Internet ?
Principalement pour réduire le nombre d'intermédiaires, et donc le coût du produit. Internet permet aussi de toucher un maximum de personnes avec une mise de départ relativement faible - notamment grâce aux réseaux sociaux, qui offraient, jusqu'à récemment, une vitrine gratuite pour les produits. Internet est aujourd'hui le premier canal de communication.
Nous avons eu la chance de lancer la marque fin 2011, au moment où le « made in France » est devenu l'un des axes majeurs de la campagne présidentielle. À l'époque, nous n'avions pas offert de slips aux candidats, mais nous avions détourné les affiches officielles de campagne : cela a été notre premier coup de communication impertinent. Cela a très bien fonctionné !
Au final, ce qui n'était au départ qu'un slogan de campagne a fini par s'installer durablement dans le débat : il existe aujourd'hui des Assises annuelles du « Produire en France » - nous y sommes d'ailleurs invités -, qui permettent de fédérer les acteurs. L'entraide existe déjà, nous parlons d'ailleurs bien de « partenaires ». Nous travaillons beaucoup avec Saint-James, Aigle...
Je pense que renforcer la labellisation et le contrôle des marques offrirait un véritable soutien à ce tissu industriel, car le consommateur ne s'y retrouve plus. Il existe le label « Origine France Garantie », qui assure que plus de la moitié de la valeur ajoutée du produit est réalisée en France ; le label « Entreprise du Patrimoine Vivant », qui promeut les savoir-faire industriels spécifiques. Le Slip Français est labellisé « Origine France Garantie », comme la plupart des entreprises avec lesquelles nous travaillons. Le flou autour du « made in France » gagnerait à être éclairci.
Combien d'étapes conduites nationalement permettent d'écrire « Fabriqué en France » sur une étiquette ?
Je crois que cela est possible dès lors que la dernière étape de fabrication a lieu en France.
L'un de nos choix stratégiques initiaux a été une fabrication 100 % française, que nous avons renforcée en utilisant le « bleu-blanc-rouge » et la cocarde. De fait, nous avons choisi de nous mettre en marge des tendances dès le début : on ne court donc pas après les labellisations. Cependant, c'est un sujet sur lequel il faudra avancer.
Certains sont dubitatifs devant cette campagne de promotion de la marque française, arguant que c'est une niche. Pensez-vous que les choses sont en train d'évoluer ?
Vous dites que votre force réside dans votre campagne marketing. Ne croyez-vous pas que le fait que vos produits soient 100 % français joue également un rôle important dans votre succès ?
Tout à l'heure, vous avez évoqué le domaine automobile. Aujourd'hui, certaines voitures sont presque 100 % françaises, et cela est un atout fort des campagnes de marketing. Pensez-vous que la France fait ce qu'il faut dans le domaine de la communication ? Pourrait-on faire plus ou mieux ?
C'est une question difficile. Pour notre part, nous le faisons naturellement, sans chercher à en faire uniquement un objet de marketing.
À sa création, le Slip Français était totalement inconnu. Notre chance, c'est que la campagne présidentielle de 2012 ait fait une large place au sujet du « Fabriqué en France » : cela a été un élément déclencheur. Depuis, les choses sont un peu retombées, mais nous avons continué sur notre ligne, car une fabrication française est signe de savoir-faire, de qualité. Au départ, nous avons ciblé une clientèle plutôt aisée, mais nous nous rendons compte qu'aujourd'hui, nous touchons une large tranche d'âge et que nos clients sont répartis partout en France. Ces personnes sont prêtes à acheter un seul produit dans l'année, pourvu que celui-ci soit de qualité - c'est un fait, nos produits sont qualitativement meilleurs que d'autres, ils tiennent plus longtemps dans la durée.
Je pense que la France soutient un certain nombre d'initiatives : il y a des financements, des aides ; le savoir-faire et la qualité de la fabrication française sont reconnus, y compris à l'étranger. Ce sont en tout cas les valeurs que nous défendons.
Comment organisez-vous la vente par Internet ? Vous vous servez également de campagnes impertinentes : qui produit vos slogans ?
Le marketing est géré en interne depuis le début. Nous savons communiquer avec très peu de moyens et quelques bonnes idées : il s'agit de l'un de nos savoir-faire !
Nous faisons sourire les gens en réagissant sur l'actualité : cela crée du lien, tant avec les clients qu'avec le tissu industriel. Nous sommes très transparents dans notre communication, notamment sur la fabrication du produit et sur son coût de revient. Nous n'avons pas de secrets, et cela plaît au consommateur. Nous sommes donc portés par une tendance de fond.
Félicitations ! Il est très plaisant de voir des entreprises réussir. Vous vous appuyez sur un savoir-faire, mais également sur votre fougue, votre impertinence, et un grain de folie. Nous avons besoin d'entrepreneurs avec ce petit grain de génie. Bravo, on est très fiers !
Vous avez indiqué que peu de fournisseurs étaient capables de produire avec le niveau de qualité que vous attendez. Vous vous appuyez donc sur quelques entreprises, qui ont un matériel industriel performant mais vieillissant, et sur quelques personnes qui ont, à titre individuel, le défaut de vieillir elles aussi : la problématique de la transmission des entreprises est donc essentielle. Nous avons bien entendu que vous n'étiez pas prêts à prendre le relais sur la production, sauf peut-être si vous y étiez obligés : comment peut-on vous aider à vous engager dans cette voie ? Que faudrait-il pour que vous vous jetiez à l'eau ?
Peut-on mutualiser certaines tâches en s'appuyant sur les réseaux d'industries du textile ? Quel mode de financement vous semble nécessaire ? Doit-on trouver de nouvelles formes de sociétés ?
Je suis très inquiète de voir tous ces outils industriels disparaître parce qu'ils n'ont plus la cote. La jeunesse a peur d'une vie d'asservissement derrière une machine, pourtant, il y a un savoir-faire incroyable. Si on le perd, on vous perd également : et nous n'en avons aucune envie !
Ce n'est pas tant la qualité - c'est bien l'une des forces de la fabrication française aujourd'hui - que la capacité à produire qui va rapidement poser problème.
Les entreprises avec lesquelles nous travaillons comptent en moyenne une centaine d'employés. Nous allons rapidement être limités sur les volumes produits.
Lorsque vous contractez avec une entreprise, quel volume vous engagez-vous à lui commander ?
En 2017, nous avons créé 400 000 pièces. Nous nous engageons dans un partenariat à long terme avec chacun de nos sous-traitants, et nous leur donnons une visibilité de 8 à 12 mois.
Nous sommes dans une période d'hypercroissance - nous doublons notre volume de production tous les ans -, cela rend parfois compliqué les prédictions de volume à moyen terme. Nous sommes dans une position un peu particulière : nous allons très vite, et c'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas encore prêts à mettre un pied dans le domaine industriel. Peut-être d'ici deux ans serons-nous prêts à franchir le pas.
Nous n'avons pas encore déterminé ce qui nous permettrait de nous engager dans cette voie dans les meilleures conditions. Concernant le financement, Bpifrance est un formidable outil et nous l'avons beaucoup utilisé - pour obtenir des garanties de prêt, pour ouvrir des boutiques... Il nous a permis de financer notre croissance. Je suis persuadé que si nous arrivons à déverrouiller la production, nous parviendrons à trouver des financements, notamment européens. Mais cela prendra du temps, et nous ne sommes pas assez nombreux pour l'instant pour pouvoir monter les dossiers.
Des initiatives voient le jour, et nous commençons tout juste à nous inscrire dans cette dynamique, car certaines des entreprises avec lesquelles nous travaillons peinent à trouver des repreneurs. Cette année, un de nos sous-traitants a mis la clé sous la porte, nous avons dû réaffecter les volumes. Nous avons conscience de ce problème lié aux capacités de production, et les idées viendront !
Je ne suis pas inquiet sur la reprise des entreprises, car il y a un regain d'intérêt des jeunes pour l'industrie. Parmi les repreneurs, nous trouvons de plus en plus de jeunes trentenaires : Seven Fashion est née sur les cendres de Lejaby grâce à Agathe, qui n'a pas 30 ans ; notre fabricant de maillots de bain a pris la suite de l'entreprise familiale, il vient de souffler ses 30 bougies. Nous les mettons en relation avec les start-up que nous avons identifiées pour automatiser certaines étapes de fabrication. Ça bouillonne, nous avons des raisons d'être optimistes !
Comment êtes-vous organisés ? Existe-t-il des organisations par filière ou par pôle de compétitivité ?
Tout à fait ! Nous sommes membres de la fédération de la maille et de la lingerie, qui subventionne notre présence sur certains salons, et nous possédons le label « Origine France Garantie », qui est notamment à l'origine du salon du Made in France, le MIF.
Vous avez dit que l'un de vos sous-traitants avait « mis la clé sous la porte ». À quel point vos sous-traitants sont-ils dépendants des commandes que vous leur passez ? Travaillent-ils uniquement pour vous ?
C'est très variable. Nous pesons 20 % à 30 % du chiffre d'affaires de certaines entreprises. C'est la limite à partir de laquelle nous cherchons d'autres relais. Certaines entreprises cherchent à s'accroître, mais ce n'est pas le cas pour toutes. D'un côté, nous avons des personnes en fin de carrière qui n'ont pas envie de relancer un cycle de croissance, d'autant qu'ils ont connu près de vingt ans de crises de restructuration. On ne peut pas leur en vouloir ! De l'autre côté, des jeunes motivés, qui ont envie de reprendre des ateliers et de s'appuyer sur les capacités dormantes. Ce sont deux dynamiques différentes. Pour quelques grandes maisons, il faudra trouver un repreneur avec les reins solides.
Je m'associe aux félicitations de mes collègues. Bravo ! Nous devons valoriser des réussites comme la vôtre.
Je m'interrogeais sur votre engagement dans la voie de la production. Certes, ce n'est pas le même métier, mais je crois que ce sera le sens de l'histoire. D'ailleurs, vous l'avez dit : s'il n'y a plus d'entreprises, vous devrez vous y mettre si vous ne voulez pas vous délocaliser !
Par ailleurs, vous avez dit que vous n'avez pas eu de problèmes de financement : cela m'interpelle ! C'est un discours que l'on a rarement l'occasion d'entendre de la part des TPE/PME. Pouvez-vous nous indiquer plus précisément comment vous avez obtenu vos financements ?
En tant que législateur, je suis également intéressé par les « lourdeurs juridiques » que vous avez évoquées.
Je rebondis tout d'abord sur la question des besoins. J'ai reçu ce matin même une proposition de l'entreprise d'innovation textile TopTex Cube, sur la création, à l'horizon 2019, d'une chaîne de fabrication de sous-vêtements robotisée. Le budget d'investissement se monte à 600 000 euros. Nous réfléchissons sérieusement à investir : nous sommes plus que simplement « chatouillés » par l'idée ! Les choses deviennent concrètes.
Concernant le financement, je ne dirais pas que les choses sont faciles ; en revanche, aujourd'hui, il existe des financements pour les TPE innovantes qui génèrent de la croissance. S'il est essentiellement privé, grâce à des fonds d'investissement, il existe également du financement public : Bpifrance est un comptoir unique incroyable. Ce qui est important, c'est de limiter le nombre d'interlocuteurs.
Quant aux lourdeurs, je peux citer un exemple : nous avons reçu une subvention de la région Ile-de-France, le décaissement se fait sur facture. Très franchement, aujourd'hui, je m'y perds encore sur les critères d'éligibilité des factures... Il m'arrive d'envoyer des factures sans savoir si elles rentrent ou non dans le cadre de la subvention ! Heureusement, nous ne sommes plus à l'euro près en fin de mois, donc ce n'est pas un réel problème. Mais il y a trois ans, cela aurait été beaucoup plus compliqué à gérer...
On nous disait : « Le textile, c'est terminé. » Vous nous prouvez le contraire.
Vous vous êtes volontairement éloigné des produits à bas-coûts. Vous allez même plus loin, en assurant la qualité de votre produit tout en annonçant aussi votre marge : c'est une stratégie étonnante ! Et elle est soutenue par une campagne marketing forte. Vous faites les prix, vous limitez les intermédiaires : il semblerait que ce soient les ingrédients de la réussite !
Votre succès vient probablement de votre politique de prix, présentée comme un gage de qualité. Pourtant, vous avez annoncé que vous alliez améliorer le processus industriel, ce qui va diminuer le coût de fabrication. Si votre objectif est de baisser les prix, je pense que c'est une grave erreur ! Allez-vous réellement baisser les prix, ou envisagez-vous d'augmenter votre marge ? Le prix n'est-il pas un gage de qualité ?
Oui et non ! Ce qui est rare est cher, l'inverse n'est pas nécessairement vrai... Aujourd'hui, 75 % du prix de fabrication de nos produits correspond à la main d'oeuvre. Le processus de fabrication d'un caleçon n'a pas été revu depuis 60 ans : c'est à cela que nous allons réfléchir.
Mais si le coût du caleçon passe de 35€ à 20€, ne pensez-vous pas que les consommateurs vont associer cette baisse à une diminution de la qualité ?
Nous l'expliquerons ! C'est du marketing, à nous de savoir raconter les choses... Les marges que nous dégageons actuellement nous permettent d'être tout juste rentables. Si on maintient ce niveau de marge et que l'on parvient à diminuer le coût de fabrication, le prix final du produit baissera.
Peut-être créerons-nous une autre gamme ? Rien n'est arrêté, mais nous sommes conscients du besoin de toucher une population plus large.
J'aime vous comparer au Coq Sportif, car à mes yeux, c'est également une belle réussite.
Dans leur boutique du boulevard Saint-Germain à Paris, ils présentent à la fois le produit « standard » et celui fabriqué en France, dont le prix est 20 % à 30 % supérieur. C'est au client de faire son choix. Est-ce quelque chose que vous envisagez de mettre en oeuvre ?
On ne différenciera pas le produit sur l'origine. Sans être moins abouti ou moins qualitatif, ce sera tout simplement un produit différent. Nous y réfléchissons.
Nous savons que tout le monde ne peut pas se payer un caleçon à 35 €. Nous sommes sur une niche qui n'a pas encore atteint sa capacité maximale, d'autant que nous avons d'autres produits que les sous-vêtements. Mais l'enjeu, c'est de changer le monde ! Et pour changer le monde, il faut commencer par toucher tout le monde.
Vous déclinez le drapeau français sur tous vos produits. À quel moment avez-vous fait ce choix ? Pourquoi ? Pensez-vous que le besoin d'identité actuel vous a porté ? Ne croyez-vous pas qu'il serait risqué pour votre marque d'abandonner la cocarde ?
Notre première série, en 2011, était déjà siglée « bleu-blanc-rouge ». Ce que nous n'avions pas prévu, et qui a sans conteste porté notre développement, c'est que le « fabriqué en France » s'inviterait dans le débat lors de la campagne présidentielle de 2012. C'est un heureux hasard ; cela a été notre chance.
À l'époque, lorsque les journalistes qui souhaitaient entendre l'industrie textile française s'adressaient à nous en disant : « On n'a pensé qu'à vous ». La marque s'est donc rapidement retrouvée dans les médias, mais ce n'était pas prévu. C'est un petit « miracle ».
Notre identité est la même depuis nos débuts : nous sommes fiers de la cocarde, elle cible nos produits, et nous la garderons.