Intervention de Nicolas Dufourcq

Commission des affaires économiques — Réunion du 7 février 2018 à 10h45
Audition de M. Nicolas duFourcq directeur général de bpifrance

Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance :

Je serai bref sur le bilan et vous présenterai les grandes lignes du plan stratégique qui vient d'être validé par notre conseil d'administration. L'année 2017 a été très dynamique et marquée par de nombreux événements. Notre résultat net a été un peu supérieur à 1 milliard d'euros. Un tel chiffre résulte de la conjonction d'une activité bancaire soutenue, grâce à des taux bas qui n'ont pas pour nous induit de pincement de marges, avec les plus-values dégagées lors d'importantes cessions de blocs de participations. Notre portefeuille représente 25 milliards d'euros, dont 20 milliards de fonds propres. Puisque les marchés boursiers sont bons, nous construisons, en haut de cycle, de la valeur et la stockons pour l'avenir. Certes, le cycle économique mondial, amorcé il y a une dizaine d'années aux États-Unis - la Chine y étant pour le moment soustraite avec sa croissance continue -, devrait se retourner dans les deux prochaines années. L'Europe, arrimée à l'économie américaine, devrait être touchée par ce revirement. Notre mandat est ainsi de stocker un maximum de puissance pour pouvoir agir très fortement par la suite. Notre portefeuille comprend, en direct, 800 entreprises, ainsi que 4 200 en portefeuille indirect, via les fonds privés que nous finançons. Il ne faut pas hésiter à vendre les entreprises dont la valorisation est haute aujourd'hui mais qui, lors du prochain revirement, ne manqueront pas de se trouver en difficulté. Cette démarche a été la nôtre en 2017.

Je vais à présent évoquer les différents métiers du groupe. Le premier concerne la garantie, qui a cru en 2017 de 6% et reflète ainsi le taux de bancarisation des très petites entreprises (TPE), dans un contexte plus global qui a connu une croissance de 20% en raison des montants levés en dettes par les grandes entreprises. Bpifrance finance à la fois la création et la transmission d'entreprises. Après avoir garanti 9 milliards d'euros de crédit en 2017, nous avons de quoi continuer notre activité de garantie, dans les standards actuels, en 2018, mais plus en 2019. Aussi, travaillons-nous de concert avec la direction générale du Trésor sur les voies et moyens de garantir une offre publique de crédits risqués des banques françaises ; une telle tradition existant, en France, depuis la création de la SOFARIS en 1974.

Nous finançons également le court terme des entreprises françaises, avec le préfinancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et la mobilisation de créances de PME qui sont essentiellement des créances publiques. Le préfinancement du CICE connaît une croissance de 16 % de son encours pour 13 320 entreprises, dont 12 000 TPE. Ce produit de trésorerie, bien ancré dans le paysage, va disparaître et sera remplacé par la mobilisation de créances. Cette dernière est demeurée stable en 2017 du fait de la limitation des stocks des entreprises françaises, de l'amélioration de la conjoncture et du retour des banques dans le financement du découvert des entreprises. Le besoin de mobilisation de créance privée a été moins important en 2017, tandis que la mobilisation de créance publique est demeurée très présente.

Les crédits d'investissement - via les prêts avec garanties et le crédit à long et moyen termes - bénéficient de la spécialisation historique de Bpifrance dans le tourisme, l'immobilier et la transition énergétique ; ce dernier secteur ayant enregistré une croissance de nos financements en 2017 de 35 %, pour un montant global de 1,2 milliard d'euros pour 180 projets financés. Concomitamment, la place bancaire a cru de 40 % dans ce secteur ; Bpifrance n'accordant de crédit à l'investissement qu'en complément de celui accordé par une banque française.

2017 n'est pas une année de très grande croissance pour Bpifrance qui a enregistré une hausse de 6 % de ses crédits d'investissement, contre 20 % de croissance annuelle dans les années 2013-2015. Notre budget devrait connaître, en 2018, une hausse de 1,5 %. Bpifrance a ainsi atteint un palier, de l'ordre de six à sept milliards d'euros par an, soit le seuil du déclenchement d'effets démultiplicateurs, tout en assurant ses missions dans les secteurs du tourisme, de la transition énergétique et, plus largement, d'intérêt général autour des prêts sans garantie qui lui sont spécifiques. Sur les 7,2 milliards d'euros de prêts accordés en 2017, 2,5 milliards d'euros l'ont été sans garantie. Allant jusqu'à sept ans, avec des différés de remboursement, ces prêts permettent de financer l'immatériel - le « good will » - fondamental au développement intime de l'entreprise. L'offre de Bpifrance est extrêmement simple : ces prêts, qui se déclinent sur un ensemble de thématiques, sont accordés sur une durée de sept ans avec deux ans de différé de remboursement et peuvent être soit bonifiés, soit adossés à des fonds de garantie français ou européens. Leurs taux sont compris entre 1,5 % pour les prêts TPE bonifiés par les régions françaises, et 4 à 5 % pour les prêts à l'innovation les plus risqués du fait de leur absence de co-financement par des banques françaises ; soit une moyenne de 2,5 %.

Bpifrance est aussi la grande banque de la « French Fab » ; notre exposition à l'industrie est deux fois supérieure à la place de l'industrie dans le PIB. Cette tendance va s'affirmer, puisque la BPI est le partenaire financier de l'Alliance pour l'industrie du futur. Bpifrance devient également la grande banque publique de l'export et du commerce extérieur grâce au soutien de nos actionnaires qui nous ont confié de plus en plus de responsabilités. Nos agences sont ainsi capables de proposer tout un continuum de solutions pour accompagner les entreprises à l'international, depuis la prospection des marchés, le financement des ventes et du développement, la sécurisation des projets et l'implantation sur les marchés. La boîte à outils déployée est complète et comprend tout un accompagnement avec Business France et les chambres de commerce. Il faut à présent déployer un porte à porte de masse auprès des TPE et des ETI pour les convaincre d'aller à l'étranger et d'en déjouer les peurs, alors qu'il suffit de près de deux ans pour définir une stratégie gagnante à l'international ! Une telle démarche est capitale pour attirer de nouveaux talents, les jeunes français diplômés ne souhaitant pas rejoindre des entreprises qui ne se sont pas confrontées à la mondialisation et n'innovent pas. Lorsqu'ils ne se rendent pas directement à l'étranger, ces jeunes acceptent de travailler au sein d'une ETI française, à la condition de pouvoir être expatriés à plus ou moins brève échéance.

En 2018, dès que les conditions seront réunies, la BPI lancera des opérations de crédit-acheteur destinées à tous les grands groupes français en Iran. Cette démarche devrait concerner près de 1,5 milliard d'euros de contrats publics et privés. Les autorités iraniennes souhaitent que les choses avances et je participerai, demain matin, à une conférence Euromoney sur le financement des activités en Iran.

S'agissant des activités de couverture en garantie, transférées de la COFACE à Bpifrance-Assurance-Export, 2017 a été une très belle année avec 19 milliards d'euros de garanties accordées. Le dynamisme de l'assurance-change mérite également d'être signalé et l'objectif, pour 2018, est de décliner ces prestations vers les PME, dont la demande d'accès à la garantie publique a déjà cru de 40 % l'année passée, et les TPE qui sont insuffisamment couvertes.

Le financement de l'innovation demeure stable avec 1,3 milliard d'euros et fait de Bpifrance un acteur de la politique industrielle pour le compte de l'État. 5 400 entreprises, dont de plus en plus de start-up, sont couvertes, dans le contexte du Grand plan d'investissement et du troisième programme d'investissements d'avenir, qui représente une chance pour l'industrie française.

Les objectifs 2018 se résument avec un certain nombre de mots-clés. D'abord, « l'international » avec Bpifrance comme banque publique de l'export, comme devrait l'affirmer le Premier ministre le 23 février prochain. Le dispositif public d'accompagnement à l'export dans les domaines non financiers est également renforcé, avec Business France et les chambres de commerce, ainsi que les structures privées, qui s'occupent en priorité des primo-exportateurs, c'est-à-dire des entreprises qui ne se sont jamais positionnées à l'international. La BPI se consacre, quant à elle, aux entreprises déjà exportatrices, à faible niveau, en accélérant leurs activités grâce aux cinquante chargés d'affaires internationaux qui vendent des produits d'accompagnement et ont déjà démarché près de 1500 entreprises. Près de 350 sociétés prometteuses sont accueillies, pendant deux ans, dans des structures de démultiplication de la performance qui sont actuellement déployées sur l'ensemble du territoire. La réussite de cette démarche est telle que le ministre Bruno Le Maire nous a demandé de la déployer pour 4 000 entreprises françaises. Notre démarche est unique, alors que la prise de conscience des impératifs de la mondialisation, qui évince toute forme d'amateurisme, est désormais réelle. Ces accélérateurs sont organisés en partenariat : soit à l'échelle nationale, soit à l'échelle régionale sous financement des régions. Désormais, les filières industrielles, comme le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) actuellement et bientôt la plateforme automobile, voire l'Union des industries chimiques, les soutiennent également. L'année 2018 devrait ainsi connaître le lancement de trois nouveaux accélérateurs, en partenariat avec les régions Ile-de-France, Grand-Est et Centre-Val de Loire, et l'engagement de 863 entreprises réunies dans 26 promotions de deux ans - soit 195 dans les accélérateurs nationaux, 288 dans les accélérateurs régionaux et 260 dans les accélérateurs sectoriels. Le financement de ces accélérateurs provient de nos fonds propres et de la participation des entrepreneurs, à hauteur de 40 000 euros par an, mais il nous manque encore 20 millions d'euros par an pour atteindre l'objectif de 4 000 entreprises fixé par le ministre des finances. Le grand plan, dont l'un des objectifs est d'actualiser la formation en France, pourrait nous aider en ce sens, tant il est vrai qu'il est fondamental que les compétences des chefs d'entreprise soient, elles aussi, actualisées.

Autre mot-clé pour 2018 : « French Fab ». L'industrie française dispose désormais d'un point de ralliement. La psychologie de l'industrie française n'était pas bonne et des outils de rassemblement et de motivation collective s'avéraient nécessaires. La French Fab doit susciter le même engouement que la French Tech, écosystème de start-up que de nombreux pays européens nous envient, à la condition toutefois de procéder de manière ordonnée ! Avec l'ensemble de ces moyens et une méthode rigoureuse, la France devrait redevenir, en une dizaine d'années, le grand pays industriel qu'elle a été par le passé.

« TPE » est aussi un mot clé pour 2018. Ces entreprises, où la déperdition des énergies est inouïe, représentent le plus fort vivier d'emplois. La BPI leur propose une gamme de prêts sans garantie financés totalement par les régions. Vous pouvez nous aider à faire connaître l'existence de ces produits destinés à être distribués sur l'ensemble du territoire cette année. Ils suppléent la faiblesse du crédit-bail - qui ne peut notamment porter sur l'acquisition de matériel d'occasion - et permettent ainsi de financer toutes ces « courbes en J », comme l'informatisation, qui nécessitent une trésorerie accrue.

Enfin, Bpifrance ne cherchera pas à croître fortement en 2018, mais plutôt à calibrer ses actions sur les besoins critiques de l'économie française. L'innovation sera aussi un mot clef pour 2018, puisque notre établissement va reprendre la gestion du fonds pour l'innovation de rupture de dix milliards d'euros destiné à soutenir les start-up de la deep tech, c'est-à-dire provenant du transfert de technologies. Ce dernier thème, concerné pourtant par le programme des investissements d'avenir, demeure peu traité en France par rapport à la Scandinavie et Israël, sans parler des États-Unis. De grands efforts doivent ainsi porter sur l'émergence de ces start-up deep tech que la BPI est prête à financer.

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