Madame la présidente, madame la présidente de la commission, chère Catherine Morin-Desailly, monsieur le rapporteur, cher Jacques Grosperrin, madame la rapporteur pour avis, chère Frédérique Gerbaud, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, au cœur du projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui, il y a une ambition, celle de refonder durablement l’entrée dans l’enseignement supérieur autour de trois principes : la confiance, l’ouverture et la réussite.
La confiance, tout d’abord. Elle a été ébranlée par le recours au tirage au sort et les difficultés de toutes sortes que les lycéens et leurs familles ont rencontrées avec « Admission post bac », ou APB. Il nous faut donc, à présent, instituer de nouvelles règles, de nouvelles procédures, qui soient claires, justes et transparentes.
Nous avons tous ici en mémoire la situation rencontrée cet été. Notre responsabilité collective, c’est d’y apporter des réponses qui nous permettent d’aborder sereinement la rentrée 2018. C’est une nécessité juridique, certes, et la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL – ainsi que le Conseil d’État l’ont dit très clairement. Mais, plus profondément, c’est une obligation politique : nous avons le devoir de refonder, sur des bases saines, l’entrée dans le premier cycle de l’enseignement supérieur et d’accompagner enfin de manière satisfaisante les étudiants et leurs familles.
C’est la raison pour laquelle, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai souhaité que « Parcoursup » ne soit pas une sorte de boîte noire automatisée, comme l’était APB, dans laquelle les candidats entraient une série de vœux et dont il sortait, à l’issue d’un processus obscur aux yeux de l’immense majorité des familles, une proposition et une seule – dans le meilleur des cas…
J’ai tenu à ce que Parcoursup devienne le lieu d’un dialogue : un candidat exprime son intérêt pour des formations et des établissements, ceux-ci lui répondent et peuvent lui faire une proposition adaptée à son projet et à sa motivation et, à la fin, le futur étudiant et sa famille choisissent d’accepter l’une de ces propositions.
Il ne s’agit pas d’optimiser un logiciel d’affectation. L’enjeu, c’est de permettre aux futurs étudiants et à leurs familles de décider de leur avenir et de le faire sur la base de propositions concrètes, après un dialogue avec les équipes pédagogiques et en étant pleinement informés des débouchés professionnels des formations. C’est la condition même de la confiance.
Le deuxième principe, c’est l’ouverture. Le baccalauréat est le premier grade de l’enseignement supérieur et chacun des jeunes qui l’obtiennent se voit garantir le droit d’y poursuivre ses études. C’est un principe fondamental, auquel nous devons redonner tout son sens.
Ce sens, c’est celui d’une formation qui conduit vers la réussite et, plus largement, vers l’emploi. Nous ne devons jamais perdre cet objectif de vue, c’est la raison pour laquelle le Gouvernement s’est engagé dans une démarche globale, qui articule la réforme de l’entrée en premier cycle, la modernisation de la scolarité au lycée et du baccalauréat et la rénovation profonde de nos politiques de formation professionnelle et d’apprentissage tout au long de la vie.
La conviction profonde du Gouvernement, c’est que notre pays et notre économie ont besoin de qualifications, qui sont souvent nouvelles, voire inconnues à ce jour. Les métiers se transforment, le cadre de notre vie collective aussi, et le grand défi que nous avons à relever, c’est celui d’armer notre jeunesse pour lui permettre de trouver toute sa place.
Vous êtes aujourd’hui saisis d’un texte qui porte sur l’entrée dans l’enseignement supérieur. Je sais – vos amendements en témoignent – que vous avez également à l’esprit les autres chantiers ouverts par le Gouvernement. Le Sénat aura à y tenir toute sa place le moment venu, mais je crois utile qu’au fil de nos débats nous puissions ainsi replacer ce projet de loi dans le cadre d’une vision plus globale.
Au cœur de cette vision, il y a une volonté, celle de garantir à chacun de nos jeunes qu’il aura toutes les chances d’aller jusqu’au bout de ses possibilités et de ses projets. Or, nous le savons, il faut, pour cela, mieux informer et ouvrir plus largement les portes des formations et des qualifications à notre jeunesse, à toute notre jeunesse.
La réalité, c’est que le système actuel ne rendait pas les bacheliers égaux. En effet, ceux qui étaient issus des filières technologiques et professionnelles étaient nombreux à ne pas parvenir à obtenir la poursuite d’études de leur choix, notamment en BTS et en IUT. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite, en plein accord avec votre rapporteur, développer fortement ces formations et prendre les mesures utiles afin de permettre à ces bacheliers d’y accéder effectivement, s’ils le souhaitent.
L’ouverture, c’est aussi l’ouverture sociale et territoriale. Je sais, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’attachement profond de la Haute Assemblée pour la méritocratie républicaine et pour cette idée simple, selon laquelle un jeune lycéen doit, où qu’il réside dans notre pays – en métropole ou en outre-mer, en milieu urbain ou dans un territoire rural –, avoir les mêmes chances d’aller jusqu’au bout de ses capacités, et ce quels que soient son origine sociale ou son milieu.
Ce principe irrigue profondément le texte qui vous est aujourd’hui soumis, car il réaffirme deux objectifs simples : les futurs étudiants doivent pouvoir accéder aux formations d’enseignement supérieur proposées dans leur académie à proximité de chez eux, mais ils doivent aussi pouvoir, si c’est leur projet, rejoindre d’autres formations ou d’autres établissements, partout en France.
La réalité, c’est qu’avec APB les futurs étudiants se sont trouvés enfermés dans leur académie, dès lors qu’ils souhaitaient rejoindre une filière en tension. Ils n’avaient en effet plus aucune chance – je dis bien, plus aucune – de rejoindre une université située dans une autre académie, s’ils voulaient faire du droit ou médecine, par exemple. C’est pourquoi le Gouvernement propose, au travers de ce projet de loi, de rendre à nouveau possible la mobilité géographique dans les formations universitaires.
Bien entendu, je veillerai à ce que toutes les formations conservent un bassin naturel de recrutement, les futurs étudiants en étant systématiquement informés sur Parcoursup, mais il y aura, dans chacune d’elles, un nombre minimal de places ouvertes aux bacheliers venus d’autres académies. Ce nombre devra être pensé et proposé par les recteurs pour préserver l’attractivité des territoires, dans lesquels les universités continueront à jouer un rôle de référence.
De même, l’introduction de planchers minimaux de boursiers dans les cursus, y compris dans les filières sélectives, permettra de garantir que le principe de méritocratie républicaine se doublera d’un principe d’ouverture sociale. Nous pourrons nous appuyer largement sur les initiatives qui marchent, comme les « cordées de la réussite », pour continuer à lever l’autocensure et accompagner tous les étudiants.
Enfin – je veux le souligner –, c’est bien pour favoriser l’ouverture sociale et géographique de notre enseignement supérieur que le Gouvernement a souhaité placer la vie étudiante au cœur du plan Étudiants, qui traduit également une ambition nouvelle dans ce domaine.
C’est tout le sens de la suppression du régime autonome de sécurité sociale, qui ne permettait pas aux étudiants de bénéficier du même niveau de service et d’accompagnement que les assurés du régime général. Et, là encore, c’étaient bien les étudiants les plus fragiles qui n’étaient plus en mesure de supporter les fréquents retards de remboursement et qui, parfois, étaient contraints de renoncer aux soins.
C’est tout le sens également de la refondation de nos politiques de prévention en direction des étudiants et des jeunes actifs, qui ont trop longtemps été laissés de côté dans ce domaine. En plein accord avec Agnès Buzyn, et en cohérence avec la stratégie nationale de santé, nous avons fait le choix d’une nouvelle organisation nationale et territoriale de nos actions en matière de prévention. Votre rapporteur pour avis a souhaité clarifier le texte à ce sujet, le Gouvernement s’en réjouit.
C’est tout le sens, enfin, du choix que nous avons fait de rendre 100 millions d’euros de pouvoir d’achat aux étudiants grâce à la suppression, dès 2018, de leur cotisation de sécurité sociale étudiante et la création d’une contribution « vie étudiante ». Cette contribution permettra de donner un nouvel élan aux actions de vie étudiante dans les universités et les établissements et de renforcer la vie de campus, qui joue un rôle si important dans les parcours de réussite.
Car le troisième principe, c’est bien de placer la réussite des étudiants au cœur de notre système d’enseignement supérieur. Je veux être très claire sur ce point : la réussite ne se décrète pas et, comme professeur d’université, je mesure toutes les raisons de douter des démarches volontaristes qui tombent d’en haut, lorsqu’il s’agit de parler de pédagogie et d’accompagnement.
Mais je sais aussi, pour l’avoir vu et l’avoir vécu, que nous avons le devoir de mieux prendre en compte les besoins et les attentes singulières de nos bacheliers, qui sont tous profondément différents.
Nombreux sont aujourd’hui les enseignants-chercheurs et les enseignants qui s’efforcent, souvent sans moyens ni cadre véritable, d’accompagner les étudiants qui en ont le plus besoin. Certes, comme j’ai pu le constater au cours des dernières semaines, en dialoguant avec plus de cinquante présidents d’université, dans un nombre grandissant d’établissements, cet accompagnement s’est peu à peu structuré : tous se sont saisis de la question de la diversité des publics. Ce qui manque désormais, ce sont des moyens supplémentaires et un cadre institutionnel.
Les moyens sont là : le Premier ministre a annoncé, dès le lancement du plan Étudiants, qu’il s’accompagnait d’un investissement de plus de un milliard d’euros sur le quinquennat à travers à la fois le Grand plan d’investissement, notamment l’appel « Nouveaux cursus à l’université », qui a été doté de 450 millions, au lieu des 250 millions initialement prévus, et un effort budgétaire supplémentaire de 500 millions d’euros sur cinq ans.
Au demeurant, vous l’avez constaté lors du débat budgétaire, des crédits supplémentaires, fléchés vers l’augmentation des capacités d’accueil et la mise en place des modules d’accompagnement pédagogique, ont été ouverts. Et je vous confirme que les moyens que vous avez votés arrivent effectivement dans les établissements. Les recteurs d’académie travaillent avec les présidents d’université pour utiliser ces nouveaux financements de la manière le plus efficace possible.
Quant au cadre institutionnel, c’est le présent projet de loi qui va nous permettre de le mettre en place, grâce à la consécration des dispositifs d’accompagnement et des parcours personnalisés, qui prendront désormais toute leur place dans l’offre de formation, et non pas à côté, et qui permettront de mieux accompagner vers la professionnalisation, que ce soit après trois, cinq ou huit années d’études.
L’objectif, vous le savez, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est qu’un étudiant puisse désormais obtenir son diplôme de licence au rythme qui lui convient, en bénéficiant de modules de méthodologie ou d’enseignements de consolidation dans les disciplines où il en a besoin.
Il s’agit d’aller plus loin, beaucoup plus loin, dans la logique de spécialisation progressive, autour d’une licence modulaire, en s’appuyant sur les connaissances, mais aussi les compétences, et d’imaginer de nouvelles manières de travailler à la professionnalisation des cursus de premier cycle.
C’est pourquoi, si le Parlement adopte, comme je l’espère, le projet de loi qui vous est soumis, je serai amenée, dans les prochaines semaines, à ouvrir la concertation sur les évolutions nécessaires de l’arrêté « Licence » et du cadre national des formations, afin de permettre aux établissements de disposer de toute la latitude nécessaire pour accueillir, dans les meilleures conditions, les étudiants dès la rentrée prochaine.
Nous devons aussi donner davantage d’informations, en particulier sur les sujets qui intéressent les étudiants et leur famille. Il s’agit notamment de clarifier les attendus des formations. Ces attendus existent dans la pratique depuis des années : nous savons bien que, au moment où débute son premier cours, tout enseignant est obligé de présupposer que les étudiants qui sont en face de lui maîtrisent certaines notions enseignées dans le secondaire. C’est une réalité !
La difficulté, c’est que les étudiants, eux, en ont rarement été informés et pensent, en toute bonne foi, qu’ils peuvent s’engager dans le cursus de leur choix, sans avoir besoin d’un accompagnement complémentaire dans certaines disciplines.
Parfois, la difficulté est même plus profonde. Chacun de nous connaît le poids des imaginaires collectifs, qui jouent un rôle majeur dans l’orientation. Je pense, par exemple, au cursus de STAPS, qui fait une place très importante aux sciences et dans lequel des milliers d’étudiants s’engagent, en pensant qu’il s’agit d’une formation uniquement sportive.
L’objectif des attendus, c’est donc de redonner toutes les cartes à nos futurs étudiants et de leur permettre de décider en toute connaissance de cause, en disposant de toutes les informations nécessaires, par exemple sur le taux de réussite, les modalités de poursuite des études ou l’insertion professionnelle.
Certains craignent qu’informer ainsi les étudiants sur le contenu réel d’une formation, sur les attentes de leurs futurs enseignants et sur les possibilités de poursuivre les études ou de trouver un emploi ne risque de les décourager.
Pour ma part, je ne crois pas que dire aux étudiants les choses comme elles sont pour leur permettre de décider, c’est prendre le risque de les décourager. Au contraire, notre rôle à tous, comme adultes, c’est de leur donner toutes les informations nécessaires et de les accompagner dans leur choix, une fois que celui-ci est fait.
Nous avons un devoir de vérité, pour permettre à nos étudiants de faire leur choix en étant pleinement éclairés, et un devoir de responsabilité, en les accompagnant lorsque leur décision est prise en toute connaissance de cause.
C’est pourquoi la rénovation de l’orientation a été placée au cœur de ce projet de loi. Chacun le sait – le Sénat lui-même y a insisté à de très nombreuses reprises –, nous avons à faire, dans ce domaine, de profonds progrès. Le dispositif de deux professeurs principaux par classe, déjà mis en place par Jean-Michel Blanquer, y contribuera, comme les nouveaux outils qui seront pensés pour s’appliquer tout au long du cycle du lycée réformé.
La plateforme Parcoursup constitue l’un de ces outils d’orientation et d’information. Elle doit être exemplaire dans ce domaine, comme dans tous les autres.
Au-delà des données pédagogiques et des informations sur les taux de réussite ou d’insertion professionnelle, je sais que vous êtes nombreux à vouloir garantir que ces informations soient obligatoirement et systématiquement offertes sur la plateforme. Le Gouvernement y est favorable.
Je veux être très claire : quand un lycéen voudra rejoindre une formation dont les attendus sont, sur certains points, en décalage avec son parcours, il pourra néanmoins le faire. Aucune porte ne lui sera fermée, mais il devra accepter de bénéficier d’un accompagnement personnalisé lui donnant toutes les chances de réussir.
En somme, aux étudiants, la liberté du choix de leur formation, mais accompagnés et sur la base d’informations claires ; aux universités et aux établissements d’enseignement supérieur, la responsabilité pédagogique. Tel est l’équilibre fondamental de ce projet de loi.
Confiance, ouverture et réussite, tels sont donc les principes fondateurs de ce projet ; ils sont issus de la très large concertation que j’ai engagée, dès juillet dernier, avec l’ensemble de ceux qui font vivre l’enseignement supérieur : les étudiants, les lycéens et les parents d’élève, mais aussi les enseignants-chercheurs, les enseignants, les chefs d’établissement, les présidents d’université et les représentants du monde socio-économique.
C’est cette concertation qui a permis d’élaborer le projet de loi qui vous est soumis et de rassembler largement autour de lui. Événement peu courant, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CNESER, a émis un avis favorable sur ce texte ; j’y vois le signe de l’écho qu’il a rencontré auprès de la communauté universitaire, qui est aujourd’hui à pied d’œuvre pour préparer la prochaine rentrée.
Je veux, d’ailleurs, rendre hommage devant vous à l’ensemble de la communauté universitaire. Partout en France, les équipes pédagogiques ont engagé un travail remarquable pour être prêtes en temps et en heure. C’est un travail lourd, exigeant, parfois ingrat, mais nécessaire pour reconstruire l’ensemble du premier cycle universitaire.
Afin de joindre les actes à la parole et au-delà des 24 millions d’euros qui ont déjà été dégagés pour accompagner cette réforme, je souhaite ouvrir, dans les prochaines semaines, une large concertation afin de reconnaître pleinement l’engagement pédagogique des personnels universitaires.
Vous le savez, les circonstances qui président à cette réforme sont particulières. Les décisions de la CNIL et du Conseil d’État nous ont obligés à saisir le législateur dans des délais resserrés afin de construire le nouveau cadre légal qui sera applicable dès la prochaine rentrée. Dans ces conditions, je souhaite vous remercier d’avoir accepté l’engagement, par le Gouvernement, de la procédure accélérée.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis certaine que la Haute Assemblée pourra se retrouver dans les principes que j’évoquais à l’instant et dans le projet de loi qui vous est soumis, car il a été largement nourri par des travaux menés ici même il y a parfois plusieurs années, sans qu’ils obtiennent toujours l’attention nécessaire de la part du Gouvernement.
C’est vrai dans tous les domaines, que ce soit l’orientation, à laquelle Guy-Dominique Kennel a consacré un rapport important au nom de votre commission de la culture, de l’éducation et de la communication, ou encore le régime étudiant de sécurité sociale, sur lequel Catherine Procaccia a beaucoup travaillé. Le Sénat a donc été précurseur sur de nombreux sujets. J’en veux aussi pour preuve l’attention accordée par votre rapporteur à la notion de prérequis dans ses différents rapports budgétaires, à un moment où la question n’était que rarement abordée.
Parce que les délais nous obligent et dans l’intérêt direct des étudiants et de leurs familles, mais aussi par conviction – je crois profondément que le Sénat doit pouvoir imprimer sa marque à ce projet de loi –, j’ai souhaité construire une relation de confiance avec votre commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Sa présidente, Catherine Morin-Desailly, que je salue, a bien voulu accepter de m’accompagner dans cette démarche et je l’en remercie chaleureusement. Je veux également saluer la qualité du travail réalisé par votre rapporteur, Jacques Grosperrin, qui s’est d’ores et déjà traduit par de profondes évolutions du texte en commission.