Nous pensons, à l’inverse, qu’une bonne loi est une loi lisible et intelligible, qui transpose en droit des choix politiques clairement énoncés.
Le code de l’éducation actuel interdit la sélection pour l’entrée à l’université, tout en autorisant un grand nombre d’établissements à déroger à ce principe de droit. Vous voulez étendre ce système dérogatoire à l’ensemble des établissements. Alors, pourquoi ne pas le dire franchement ? Vous pourriez alors réduire le premier article de votre projet de loi à deux simples phrases, que je vous livre : « Le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat. Les inscriptions sont prononcées par le président ou le directeur de l’établissement dans la limite des capacités d’accueil. » Voilà, c’est simple ! Tout le reste relève du décret. Nous saisirons donc le Conseil constitutionnel pour lui demander de délégaliser ces dispositions et vous obliger à les prendre par décret.
Enfin, vous défendez aujourd’hui ce projet de loi, alors que votre collègue ministre de l’éducation nationale présentera sa réforme du baccalauréat au conseil des ministres dès la semaine prochaine.
M. Pierre Mathiot, chargé d’une mission sur la réforme du baccalauréat, expliquait à la commission de la culture la semaine dernière que, si ses préconisations étaient retenues, il faudrait nécessairement réécrire le texte que vous nous soumettez aujourd’hui. Il relevait à raison que votre projet donnait une place marginale au baccalauréat et que l’entrée à l’université se déciderait essentiellement à partir des notes du lycée.
Nous le savons, d’autres réformes sont en cours, sur l’apprentissage ou encore sur le statut des enseignants. Toutes ces réformes participent d’un projet d’ensemble qui fait système. Il eût été préférable, pour la qualité de nos débats et le respect du rôle du Sénat dans le dispositif législatif, que le Gouvernement nous le présentât globalement.
Au lieu de cela, nous sommes réduits à examiner, dans l’urgence, des textes qui défilent devant notre assemblée comme des perles que l’on enfile sur un collier. Cette tactique de saturation de l’espace législatif par un déferlement continu de textes partiels imposés dans le cadre de la procédure accélérée est, sans conteste, réfléchie. Je pense même qu’elle est, de la part de l’exécutif, une stratégie politique pour asphyxier le Parlement et étouffer toute mobilisation populaire.
Elle aboutit néanmoins à des projets et des dispositifs élaborés dans la précipitation et sans réelle étude d’impact. En l’occurrence, vos services et ceux des universités sont incapables de nous expliquer de quels moyens ils vont disposer pour analyser la grande masse des dossiers de candidature ou mettre en place des dispositifs d’accompagnement pédagogique. À ces problèmes matériels s’ajoutent les interrogations légitimes des spécialistes, qui doutent des capacités du nouveau logiciel à trier les huit millions de vœux non hiérarchisés des lycéennes et lycéens.
À tout le moins, et avant de lancer cette nouvelle plateforme, il eût été de bonne politique d’analyser dans le détail le fonctionnement de celle qu’elle remplace, à savoir APB. Ainsi, alors que la réforme est lancée, votre service des systèmes d’information et des études statistiques vient seulement de publier les résultats d’une enquête sur les choix d’orientation après le baccalauréat.
Les enseignants des lycées et des universités, leurs organisations représentatives vous ont alerté sur les difficultés qu’ils pressentent pour organiser la rentrée dans de bonnes conditions : celle de septembre 2017 a été chaotique ; celle de 2018 s’annonce apocalyptique !
Madame la ministre, si votre intention est vraiment de trouver une place dans l’enseignement supérieur à tous les nouveaux bacheliers, comme vous l’avez déclaré à plusieurs reprises, alors, vous n’avez pas besoin de cette loi, mais il vous faut dégager rapidement des moyens supplémentaires. Et si vous ne savez pas comment trouver les 500 millions d’euros nécessaires sur cinq ans, demandez conseil à M. le ministre de l’économie, lui qui a réussi l’exploit de trouver en quelques minutes 4 milliards d’euros pour les 1 % les plus riches en supprimant l’ISF.