Intervention de Laurent Lafon

Réunion du 7 février 2018 à 14h30
Orientation et réussite des étudiants — Discussion générale

Photo de Laurent LafonLaurent Lafon :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants a pour objet, avant tout, de mettre fin au système de tirage au sort qui a prévalu l’année dernière pour l’inscription des étudiants à l’université.

Même si les délais d’élaboration de la loi et de mise en œuvre de la nouvelle procédure peuvent sembler courts, nous partageons la préoccupation du Gouvernement : il importe de mettre en place un système opérationnel pour assurer la prochaine rentrée universitaire en tenant compte des impératifs de calendrier que constituent, d’une part, les épreuves du baccalauréat en mai et juin prochains et, d’autre part, le début des cours dans l’enseignement supérieur en septembre et en octobre. La mise en demeure de la CNIL et l’arrêt rendu par le Conseil d’État en 2017 rendaient de toute façon inéluctable une nouvelle organisation pour la rentrée 2018.

Autant le dire tout de suite, nous partageons les grandes orientations qui sous-tendent ce texte.

Il s’agit, en premier lieu, de mettre en place un processus de sélection dans les filières en tension, pour éviter que des bacheliers ne se trouvent affectés dans des filières où ils seront en difficulté et que nombre d’entre eux abandonneront quelques semaines ou quelques mois après leur entrée à l’université. Je tiens d’ailleurs dès à présent à saluer, comme l’a fait notre rapporteur il y a quelques minutes, le travail de notre ancien collègue Jean-Léonce Dupont qui, il y a plusieurs mois, avait déjà travaillé, dans ce même hémicycle, dans la même direction.

En second lieu, ce texte maintient le principe de l’accès à l’enseignement supérieur pour chaque bachelier qui le souhaite ; c’est le corollaire de la mise en place de la sélection, ou cela l’équilibre.

Par ailleurs, le projet de loi instaure un principe d’accompagnement pour les étudiants dont le niveau est insuffisant pour réussir leur première année.

Enfin, il crée des liens entre les lycées et les établissements d’enseignement supérieur en impliquant les professeurs principaux et les conseils de classe dans la procédure d’orientation et en transmettant les notes obtenues en première et en terminale aux établissements d’enseignement supérieur.

Deux dispositions d’une autre nature nous semblent, elles aussi, aller dans la bonne direction.

Il s’agit, d’une part, de la suppression du régime de sécurité sociale spécifique aux étudiants et de son rattachement au régime général. Force est de reconnaître que cette spécificité ne se justifiait plus et n’était pas efficiente en termes de délais de remboursement ou de coûts de gestion.

Il s’agit, d’autre part, de la possibilité offerte à tout étudiant qui le demande d’effectuer une année de césure sans que cela pénalise son parcours étudiant.

Si les grandes orientations du texte vont dans le bon sens, il nous paraît néanmoins insuffisant sur plusieurs aspects. Il serait selon nous erroné de penser que la réforme de l’enseignement supérieur et celle de l’orientation devraient s’arrêter à ce texte. En quelque sorte, ce projet de loi ouvre des pistes qu’il conviendra d’approfondir à travers d’autres textes législatifs.

C’est notamment le cas de la question, centrale à nos yeux, de l’orientation. Le chômage frappe en France près d’un jeune sur quatre, et le taux d’échec dans les premières années d’université est énorme : 60 % des étudiants inscrits en première année n’auront pas leur licence. Ces deux chiffres illustrent bien les défauts de notre système d’orientation. C’est un sujet qui préoccupe depuis plusieurs années la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. La question reste malheureusement d’actualité ; il serait bon que le Gouvernement s’inspire du rapport de notre collègue Guy-Dominique Kennel sur ce sujet essentiel.

Autant le dire, nous ne pensons pas que le présent projet de loi améliorera significativement la situation dans ce domaine. Peut-être permettra-t-il aux quatre filières en tension d’afficher des taux de réussite plus satisfaisants en première année et durant le cycle de la licence, mais cela ne sera pas suffisant au regard de l’ampleur des difficultés.

La question de l’orientation nécessite d’être repensée au prisme d’une triple idée.

Nous devons, d’abord, aider le jeune à trouver les filières qui correspondent le mieux à ses aptitudes, bien entendu, mais aussi aux perspectives d’emploi dans le marché du travail.

Il faudrait, ensuite, mettre en place un système d’orientation qui commence dès la fin de la troisième et continue jusqu’à la fin de la licence ; cela donnerait au jeune, en fonction de sa maturité et de sa capacité à se projeter dans l’avenir, la possibilité d’avoir différents temps d’orientation.

Enfin, nous voudrions accorder au jeune un droit à l’erreur en lui permettant de changer d’orientation non seulement au cours de ses années de lycée, mais aussi au cours de son premier cycle d’enseignement supérieur.

De ce point de vue, le présent projet de loi n’aborde que faiblement la question de l’orientation. C’est pourquoi, malgré son titre, il ne peut s’agir pour nous d’une vraie réforme de l’orientation des jeunes.

Le deuxième sujet sur lequel ce projet de loi nous paraît insuffisant est l’organisation du premier cycle de l’université. La licence est encore très marquée par des schémas anciens, pour lesquels des évolutions devront intervenir.

De ce point de vue, plusieurs idées nous semblent devoir être approfondies.

Il faudrait organiser le premier cycle de manière plus souple, en permettant à l’étudiant de changer de filière sans qu’il doive recommencer au point de départ, avec le sentiment d’avoir perdu plusieurs mois. C’est pourquoi nous privilégions un système modulaire, capitalisable et semestriel, qui serait plus souple et donnerait plus de facilité pour s’orienter en cours de cycle. Cette organisation permettrait également à des étudiants d’adapter leur scolarité en passant leur licence en quatre ans, pour ceux qui en ont besoin, voire en deux ans, pour ceux qui le peuvent.

Il faut par ailleurs renforcer le lien avec le marché du travail. Le premier cycle est certes la voie d’accès aux masters, mais il peut aussi être, pour certains étudiants, une voie directe d’accès au marché du travail à l’issue de la licence. Le succès des formations courtes – BTS et, surtout, IUT – montre l’attrait de formations directement professionnalisantes. L’université aussi devrait pouvoir permettre, à travers des licences adaptées, d’accéder au marché du travail au bout de trois ans d’étude.

Le présent projet de loi introduit l’idée d’un accompagnement individualisé et d’une remise à niveau pour les étudiants dont le niveau semble insuffisant pour réussir leur première année.

Cela va, à nos yeux, dans le bon sens ; néanmoins, la rédaction actuelle et les moyens mis en œuvre nous paraissent notoirement insuffisants. Si l’on veut lutter contre les taux d’échec en première année et, au-delà, en licence, l’instauration d’une année propédeutique, qui permettrait à la fois de remettre à niveau le jeune et de mieux l’orienter sans le mettre dans une situation d’échec, nous semble devoir être étudiée sérieusement. Sur ces divers points, nous défendrons des amendements.

Le troisième et dernier sujet qui nous semble être insuffisamment traité dans ce projet de loi est celui de l’accès à l’enseignement supérieur des bacheliers professionnels et technologiques.

Nous partageons la crainte de ceux qui pensent qu’un processus de sélection met sur le côté les élèves les plus fragiles. Certes, il n’est pas non plus souhaitable de les laisser s’inscrire à l’université, comme c’était le cas jusqu’à présent. En effet, nous savons qu’ils s’y retrouvent souvent en situation d’échec.

Nous avons bien pris note de la mesure prise par le Gouvernement consistant à leur réserver un minimum de places dans les IUT et les sections de techniciens supérieurs, ou STS. Si cette initiative va dans le bon sens, elle sera néanmoins insuffisante pour affecter de nombreux bacheliers professionnels et technologiques de manière pertinente et sans les mettre dans des situations d’échec. Avec Parcoursup, le risque est réel qu’ils se retrouvent affectés à l’université dans des filières qui ne sont pas en tension, mais dans lesquelles ils connaîtront probablement les mêmes difficultés pour réussir.

Les difficultés de la rentrée de 2017 ont souvent été présentées comme l’échec de l’algorithme APB. Nous savons qu’il n’en est rien : c’est d’abord l’échec des gouvernements successifs qui n’ont pas anticipé le double phénomène de l’accroissement du taux de réussite au baccalauréat et du baby-boom de l’an 2000, aboutissant de manière inéluctable à l’augmentation significative du nombre d’entrants dans l’enseignement supérieur.

La nouvelle procédure mise en place par ce projet de loi apporte des solutions pour les filières en tension. Elle ne restaure pas, en revanche, la capacité de notre système d’enseignement supérieur à faire face au pic démographique pour les prochaines années.

Le Gouvernement a annoncé une augmentation des crédits, à hauteur de 1 milliard d’euros sur l’ensemble du quinquennat. Ces crédits seront affectés à l’aménagement et à la création de locaux, mais aussi au recrutement de personnel pour la mise en place de la réforme. Nous serons évidemment attentifs à la question des moyens. Bien qu’elle ne soit pas l’alpha et l’oméga des maux de l’université, il s’agit néanmoins d’un aspect important des mesures à prendre pour faire face aux difficultés actuelles.

Madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe de l’Union Centriste est plutôt favorable au présent projet de loi. Nous considérons que ce texte constitue une première étape, qui a le mérite de débloquer une situation qui n’était plus tenable. C’est donc dans un esprit de responsabilité que nous le voterons. Mais nous restons aussi conscients que, si nous voulons mieux former et préparer nos jeunes à leur vie future, il faut aller plus loin et être plus ambitieux dans la réforme. Tel sera le sens des amendements que nous défendrons. Telle sera aussi, je l’espère, l’ambition du Gouvernement dans la réponse qu’il leur apportera.

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